Mame Kankou Traoré
Entreprendre pour agir
Quand j’étais plus jeune, je voulais travailler dans les organismes internationaux dans l’optique de contribuer au développement du Sénégal en particulier et du continent en général. Après un stage, je me suis rendu compte que l’action, telle que je l’entendais, était limitée. On y était plus sur des réflexions, sur des débats qui ne correspondaient pas. Je me suis dit que le mieux pour pouvoir être dans une action concrète, c’était d’entreprendre.
Ainsi, après mes études, j’ai tenté plusieurs activités en parallèle de mon activité de salariée. Je me suis engagée dans l’immobilier au Sénégal par conviction. Non seulement parce que c’est un secteur porteur, mais aussi et surtout parce qu’il avait du sens pour moi. En effet, aider les personnes à investir dans un projet immobilier (une maison, un appartement ou même un local commercial), c’est souvent, les aider à concrétiser le rêve d’une vie.
Ainsi, nous avons l’ambition de proposer un service immobilier différent et transparent. Il y a des acteurs qui sont très honnêtes, mais il y en a qui ont conduit malheureusement des personnes à la faillite ou leur ont fait perdre de l’argent. C’est ce que nous voulons combattre.
Le défi de bâtir une confiance et de faciliter l’accès au financement
Il y a plusieurs défis quand on se lance. Le premier est de se faire connaître et de gagner la confiance des clients. Ce qui n’est pas forcément évident parce qu’il y a beaucoup de méfiance vis-à-vis du secteur. Ensuite, on est confronté à un problème de financement. Dans la plupart des cas, c’est plus du côté du client parce que les gens ont envie d’investir, mais ils n’ont pas tous la possibilité de sortir certaines sommes.
Beaucoup d’acquéreurs sont à l’étranger et peuvent difficilement financer des biens aux conditions proposées. Aujourd’hui, la plus grande difficulté est le financement des projets par les clients.
Toujours aller à la source pour relever le pari de la transparence
Dans ce secteur, il y a beaucoup d’intermédiaires. Pour contrer ce schéma à notre niveau, nous essayons de travailler soit directement avec les promoteurs immobiliers, soit directement avec les propriétaires, ou en tout cas avec un intermédiaire qui nous prouve qu’il est en relation avec un propriétaire ou un promoteur. Pourquoi ? Parce qu’on peut se rendre compte que pour un même bien, il y a une horde de personnes qui sont intermédiaires, ce qui peut justement conduire à des problèmes de fiabilité, de manque d’informations voire même la fausseté d’informations parce que certaines d’entre elles sont mal transcrites ou erronées.
Par conséquent, nous préférons aller vraiment à la source, c’est-à-dire aller voir les propriétaires, les promoteurs pour avoir les bonnes informations. Ce n’est pas forcément évident parce que cela réduit l’étendu des propositions du catalogue, mais cela nous permet d’avoir non seulement la conscience tranquille mais aussi de pouvoir proposer à nos clients des biens qui sont vraiment fiables.
L’apport du digital dans l’entreprenariat
Je pense que les réseaux sociaux servent plus à communiquer, à atteindre sa cible et pouvoir avoir ce lien direct avec eux.
Pour la recherche d’informations, internet n’est pas le plus efficace, étant donné que la plupart des informations dont on a besoin, sont dans les services administratifs, les entreprises concernées ou chez les propriétaires de biens. Il nous faut donc consulter directement les personnes sources pour pouvoir avoir l’information la plus pertinente, la plus véridique possible.
Toutefois, si le digital accentue grandement notre productivité grâce à tous les outils qui y sont disponibles, d’un point de vue plus général, il permet d’entreprendre bien plus facilement et a conduit certaines personnes à la richesse.
Il y a plus de femmes qui entreprennent en Afrique
Cela n’est pas surprenant. Parce qu’une femme entreprend même sans le savoir. Quand on gère une famille, on gère un budget, on « coache » les membres de la famille… c’est comme dans une entreprise. Moi j’ai tendance à dire que je gère un petit peu ma famille comme un projet professionnel. En effet, cela nécessite de mettre en place une stratégie d’organisation. C’est comme entreprendre au quotidien.
Par ailleurs, je pense qu’entreprendre, pour une femme ou même pour un homme permet non seulement de pouvoir travailler au jour le jour sur des questions qui nous touchent mais aussi d’ouvrir des portes, des voies. Et pour certaines femmes, qui n’ont peut-être pas forcément eu l’occasion de faire des études ou de bénéficier de certains avantages, cela peut un tremplin vers des voies auxquelles elles n’auraient peut-être même pas pensé en tant que salariées.
L’entrepreneuriat est souvent très positif, que ce soit pour la femme ou pour l’homme, parce que cela permet de sortir de sa zone de confort. C’est une voie qui permet non seulement de faire ce qu’on aime mais aussi de pouvoir s’ouvrir à de nouvelles opportunités. En effet, entreprendre consiste à créer des solutions à des problèmes existants. A partir d’une solution identifiée, on va pouvoir en déceler d’autres et trouver le moyen de se diversifier ou d’aider d’autres entrepreneurs à le faire.
Personnellement, cela fait des années que j’essaie d’entreprendre, mais c’est vraiment depuis que je m’y suis mise à temps plein que j’arrive justement à voir toutes les opportunités. Je me remets souvent en question et je me demande « Comment puis-je faire mieux ? Comment puis-je aider ?”
Par ailleurs, je pense qu’entreprendre, pour une femme ou même pour un homme permet non seulement de pouvoir travailler au jour le jour sur des questions qui nous touchent mais aussi d’ouvrir des portes, des voies
Quand on est salarié, on est souvent focalisé sur les objectifs de son poste, et c’est normal. Quand on est entrepreneur, on est orienté vers les solutions qu’on peut apporter et rendre accessibles aux populations. On est en permanence en recherche d’opportunités. Après, on sait qu’on ne peut pas tout faire mais on peut suggérer des idées à d’autres personnes, à nos partenaires ou à nos proches.
Créer des cadres de rencontres entre les recruteurs et les jeunes
Concernant les financements, il en existe mais les démarches pour y accéder, parfois très lourdes peuvent être décourageantes.
Parfois c’est le temps, parfois ce sont les compétences qui font défaut. On demande des études, des analyses poussées, des prévisions, des projections… certaines personnes ne savent pas les faire. Et souvent les porteurs de projets sont des autodidactes, donc ils n’ont pas forcément ces capacités-là.
Ce qui serait bien, c’est de proposer des financements, mais surtout de proposer des accompagnements. Il y a des structures qui le font, mais qui pourraient aller plus loin, en montrant vraiment aux porteurs de projets ou aux autres entrepreneurs comment faire pour avoir accès à ces financements parce que c’est indispensable pour pouvoir développer son entreprise et aller plus loin.
Le décalage entre la formation et les besoins en entreprise
Par rapport aux ressources humaines au Sénégal, ce que je note c’est un décalage entre les diplômes des jeunes et les besoins des entreprises. Je ne dis pas ça par prétention mais c’est un constat que j’ai fait suite à de nombreux entretiens pour plusieurs postes.
Il y en a qui sont très talentueux, mais il y en a qui ont besoin de plus développer leur potentiel. La formation théorique semble bien trop favorisée par rapport à la pratique. Ce qui fait que quand ils arrivent sur le marché du travail, ils ne sont pas adaptés. Les universités et les écoles devraient intégrer plus de pratiques dans les cursus théoriques. Souvent je vois que les jeunes ne font pas de stages. Mais c’est difficile de passer du stade d’étudiant à celui de professionnel. Au-delà des compétences, il y a un savoir-être à acquérir avec l’expérience. Beaucoup trop de candidats arrivent non ou peu préparés aux entretiens, ce qui les desserre.
D’un côté, c’est peut-être aussi aux entreprises de jouer le jeu en acceptant de former des jeunes en stage, en les faisant monter en compétence. A terme, ce sont eux qui prendront la relève pour développer les entreprises existantes ou créer leurs propres entreprises.
Si, de nombreuses structures n’arrivent pas à pourvoir des postes alors que de nombreux talents sont à la recherche d’un emploi par manque de compétences ou de qualités requises, c’est qu’il faut créer le moyen d’y remédier.
Il faut faire en sorte que les recruteurs d’un côté et les candidats de l’autre se rencontrent, puissent échanger et que les recruteurs expriment ce qui ne convient pas chez un candidat éconduit. Ce n’est pas forcément évident. Personnellement, j’essaie de le faire pour les candidats qui me posent la question, mais ce n’est pas suffisant.
Je suis convaincue qu’il faut d’une part, sensibiliser les jeunes au fait qu’un diplôme ou la renommée d’une école ne suffisent pas à accéder un certain niveau de salaire sans pratique, sans efforts. D’autre part, il faut favoriser les retours d’expériences de recruteurs pour leur permettre de s’améliorer.
La gestion des ressources humaines est un sujet qui me touche vraiment. Je suis entourée de beaucoup d’entrepreneurs qui ont du mal à recruter, alors qu’il y a des jeunes qui sont chez eux, qui devraient pouvoir profiter de ces occasions pour gagner en expérience.
Ce n’est pas indispensable, mais je pense que c’est important de passer par le salariat pour être un bon manager. Si on ne sait pas ce qu’est d’être un salarié, ça va être difficile de se mettre à la place de ce dernier, ce qui peut avoir un impact sur les relations
A notre niveau, il nous est arrivé de prendre des jeunes sans expérience, justement pour leur donner la possibilité d’apprendre. Cependant, ce n’est pas évident pour les petites structures où on doit souvent être polyvalent et gérer plusieurs projets à la fois.
C’est très compliqué de prendre le temps de former correctement le talent, mais il faut le faire.
Ce n’est pas indispensable, mais je pense que c’est important de passer par le salariat pour être un bon manager. Si on ne sait pas ce qu’est d’être un salarié, ça va être difficile de se mettre à la place de ce dernier, ce qui peut avoir un impact sur les relations.
Selon moi, il est important qu’il y ait cette phase d’apprentissage avant de se lancer dans l’entrepreneuriat. On doit impérativement s’immerger en entreprise pour voir comment ça se passe, comment se comporter et surtout comprendre la valeur des efforts à fournir.
Pour finir, il faut noter qu’il y a beaucoup d’avantages à être salarié, il ne faut pas le nier. C’est bien d’avoir cette expérience du salariat avant celle de l’entrepreneuriat, pour pouvoir évoluer personnellement, mais aussi faire évoluer ses futurs collaborateurs.
Source photo : Prieur Immobilier
Mame Kankou Traoré est une entrepreneure sénégalaise. Elle est la cofondatrice de la société Batiboom spécialisée dans l’investissement immobilier au Sénégal. Elle a créé le podcast « Des palabres et des actes », pour sensibiliser la communauté sur l’importance du développement personnel. Dans ce cadre, elle organise des ateliers et des rencontres avec des experts en ligne ou en présentiel.