Auteurs : Abdourahmane Mbengue et Lionel Meinertzhagen
Site de publication : Open Edition Journals
Type de publication : Dossier
Date de publication : avril 2019
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Depuis deux décennies, on assiste à une montée en puissance de la formation à distance (FAD) dans l’enseignement supérieur en Afrique. Au Sénégal, plusieurs formations diplômantes de ce type ont été initiées par les établissements d’enseignement supérieur : à l’Université Cheikh Anta Diop, l’École des bibliothécaires archivistes et documentalistes (Ebad) a été la pionnière. Les facultés de lettres et sciences humaines, de sciences juridiques et politiques, des sciences et technologies de l’éducation (Fastef) lui ont rapidement emboîté le pas. À l’Université Gaston-Berger de Saint-Louis, l’UFR sciences juridiques et politiques et l’UFR sciences appliquées et technologies ont ensuite, elles aussi, proposé des cursus diplômants à distance. Ces formations étaient initialement ciblées et spécialisées, généralement de niveau licence 3 ou master, avec des effectifs réduits. À d’autres niveaux, plus ponctuellement, des initiatives de cours hybrides ont été initiées par des enseignants innovants ou au niveau institutionnel comme une activité d’appoint, réservée à la formation continue.
Genèse de l’Université virtuelle du Sénégal (UVS)
Aujourd’hui, pour répondre aux importantes problématiques que connaît l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne, à savoir la massification et l’inégalité d’accès aux universités, la formation à distance est reconnue comme une solution. En effet, les universités africaines sont confrontées de façon récurrente à de graves difficultés pour gérer les effectifs en présentiel, avec une forte pression sociale de l’accès à l’enseignement supérieur combinée à un déficit d’enseignants et des capacités d’accueil insuffisantes. Au Sénégal, les politiques publiques ont tenu compte de cet état de fait et ont décidé, en septembre 2013, la création de l’Université virtuelle du Sénégal (UVS). On observe, de manière générale, que le cadre règlementaire est de plus en plus favorable aux initiatives de formation à distance. Au niveau mondial, toutes les conventions régionales de reconnaissance des diplômes sont révisées ou sont en train de l’être pour prendre en compte les nouveaux paradigmes que sont l’assurance qualité et l’introduction des TIC.
Au Sénégal enfin, le décret 2015-582 du 11 mai 2015, publié au journal officiel, stipule « qu’il n’y a plus de dichotomie entre public et privé, enseignement classique (traditionnel) et enseignement non traditionnel (à distance ou en ligne) » ; les deux seuls principes à respecter par les institutions de formation pour la reconnaissance de leurs diplômes sont la légalité (habilitation) et la qualité (accréditation)
Au niveau africain, la Convention d’Arusha sur la reconnaissance des études et des certificats, diplômes, grades et autres titres de l’enseignement supérieur dans les États d’Afrique a été révisée à Addis-Abeba, en 2014. Au Sénégal enfin, le décret 2015-582 du 11 mai 2015, publié au journal officiel, stipule « qu’il n’y a plus de dichotomie entre public et privé, enseignement classique (traditionnel) et enseignement non traditionnel (à distance ou en ligne) » ; les deux seuls principes à respecter par les institutions de formation pour la reconnaissance de leurs diplômes sont la légalité (habilitation) et la qualité (accréditation).
Qualité et équipement
La démarche qualité est aujourd’hui une exigence dans les institutions de formation porteuses de formation à distance. Elle vise le renforcement des compétences techniques et pédagogiques des encadrants employés, l’amélioration de l’offre de formation à distance et sa reconnaissance au même titre que la formation présentielle, notamment du point de vue de la qualité de l’encadrement, de la qualité des cursus et de la valeur des diplômes délivrés.
Au Sénégal, l’Autorité nationale d’assurance qualité dans l’enseignement Supérieur (Anaq-Sup) a produit deux référentiels qualité : un référentiel d’évaluation institutionnelle des établissements déployant des formations à distance (comme l’UVS) et un référentiel d’évaluation des programmes de formation à distance. La mise en œuvre de ces procédures spécifiques permet de garantir et de maintenir la qualité de l’enseignement à distance et de créer un climat de confiance. Au niveau africain, le Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (CAMES) a élaboré en 2017 un référentiel d’évaluation des formations à distance.
Parallèlement, l’environnement technologique est de plus en plus favorable en Afrique subsaharienne : le taux d’équipement individuel en matériel informatique est en constante progression tout comme l’amélioration de la connexion à Internet, couplée à une baisse régulière des prix, laissant entrevoir de grandes potentialités de déploiement de l’enseignement à distance dans les universités.
Ainsi, l’Université virtuelle du Sénégal est rapidement devenue la première université publique entièrement numérique en Afrique francophone subsaharienne et la deuxième en termes d’effectif au Sénégal. La formation en ligne à l’UVS repose principalement sur une batterie de plateformes à distance (Moodle), des classes virtuelles (Blackboard collaborate) et un réseau d’espaces numériques de formation disséminés dans différentes régions du Sénégal. Tous les étudiants reçoivent à leur arrivée un ordinateur et une clé 4G avec un forfait internet gratuit. L’UVS dispose d’un studio d’enregistrement pour la production de capsules vidéo de cours et de ressources pédagogiques multimédias.
Au cœur de la formation, les espaces numériques ouverts (ENO)
Le dispositif de l’UVS repose en grande partie sur le réseau d’ENO (« espaces numériques ouverts ») où se déroulent les inscriptions administratives, l’accueil des nouveaux bacheliers, les premiers cours magistraux et activités d’apprentissage de démarrage des enseignements qui se font en présentiel au cours du premier semestre de licence 1, ainsi que les examens finaux. Les ENO sont également des espaces où s’établissent des liens entre les étudiants et avec les communautés environnantes. Aujourd’hui, une quinzaine est déployée dans différentes régions du Sénégal ; à terme un réseau de cinquante ENO est prévu, soit au moins un dans chaque département.
Le dispositif de l’UVS repose en grande partie sur le réseau d’ENO (« espaces numériques ouverts ») où se déroulent les inscriptions administratives, l’accueil des nouveaux bacheliers, les premiers cours magistraux et activités d’apprentissage de démarrage des enseignements qui se font en présentiel au cours du premier semestre de licence 1, ainsi que les examens finaux
Au plan technologique, les ENO sont interconnectés au siège de l’UVS par fibre optique, avec une ligne spécialisée de 10Mbps et un secours ADSL de 10Mbps. Chaque ENO contient des salles avec des clients légers en réseau et une salle de télémédecine. Sur le plan pédagogique, l’ENO est l’espace où se déroule la partie présentielle des cours dans le modèle hybride des formations déployées par l’UVS sous forme de visioconférence de grands groupes. Les évaluations sur table se font aussi en présentiel dans les ENO. C’est également un espace qui joue un rôle important dans la socialisation : les étudiants s’y rencontrent pour faire connaissance, échanger, partager, collaborer, constituer des réseaux et associations, faire du sport, etc. L’ENO a enfin comme vocation de mettre son potentiel technologique à la disposition et au service des communautés vivant dans ses environs. À cette fin, on y trouve une salle de télémédecine, des outils de visioconférence, etc.
L’étudiant nouveau bachelier fraîchement arrivé à l’UVS est directement pris en charge pédagogiquement et démarre sa formation par un programme d’acclimatation dans le nouvel environnement technologique de travail. Ces premières activités se déroulent en présentiel dans l’ENO de rattachement le plus proche du lieu d’habitation de l’étudiant. Au premier semestre, après avoir reçu son ordinateur et sa clé d’accès à internet, l’étudiant suit une formation de trois modules de base : la prise en main de l’ordinateur, l’initiation à l’environnement numérique de travail et à la plateforme (Moodle) de formation à distance ; des cours transversaux en anglais et l’apprentissage de quelques soft skills (développement personnel, leadership, techniques de communication, etc.). À partir du deuxième semestre, une fois qu’il s’est familiarisé avec le dispositif, l’étudiant peut aborder les cours de sa spécialité, lesquels sont dispensés à distance via la plateforme Moodle.
Composition d’un cours à distance
Un cours à distance comprend des lectures de ressources aux formats Web, PDF et des capsules vidéo que l’étudiant exploite en autoformation. Une bibliothèque numérique donne également accès aux milliers d’ouvrages disponibles dans presque toutes les spécialités. Des tests de connaissances en évaluation formative, des travaux dirigés, des notes de lecture, des projets de recherche, des activités de terrain et services à la communauté (au bénéfice des populations ou de la société) font aussi partie des activités d’apprentissage proposées à l’étudiant. Le dispositif à distance propose des interactions en synchrone (dans la classe virtuelle) coachées par des tuteurs avec des groupes restreints, des remises de travaux avec feedback du tuteur, des interactions en asynchrone dans les forums de discussion et la messagerie interne. Le travail collaboratif est une modalité que certains enseignants proposent au niveau master, où les effectifs d’étudiants sont plus réduits et les conditions donc plus favorables. Enfin, le dispositif numérique de l’UVS est aussi un bon cadre pour proposer aux étudiants des travaux personnels (TPE) pour développer leur autonomie, leur aptitude à sélectionner les ressources pédagogiques les plus pertinentes parmi une panoplie de possibilités, le renforcement de leur développement personnel en dehors du cadre formel.
Difficultés de démarrage et conséquences sur la perception de l’opinion
À son lancement en 2014, l’UVS a démarré ses activités dans des conditions d’urgence, avec près de 2 000 étudiants nouveaux bacheliers orientés. Avec la montée en puissance des effectifs, l’UVS est rapidement devenue la deuxième université du Sénégal en termes de nombre d’apprenants. Ainsi, entre 2014 et 2018, chaque année l’UVS a accueilli entre 5 000 et 10 000 nouveaux bacheliers, ce qui a fait passer son effectif de 2 000 à près de 30 000 étudiants.
Le dispositif technologique et infrastructurel n’était toutefois pas suffisamment prêt ni équipé pour accompagner l’augmentation rapide des effectifs et assurer un déploiement optimal des formations. L’UVS n’avait pas, à cette époque, d’instances pédagogiques ou académiques ni de personnel enseignant propre. La plupart des enseignants et des tuteurs étaient issus des universités « présentielles » et étaient liés à l’UVS par un contrat d’association.
Ces conditions ne favorisaient pas une bonne perception de cette université virtuelle au sein d’une opinion publique qui n’avait pas forcément de culture numérique. Cela a été constaté tant chez les nouveaux bacheliers orientés à l’UVS qu’auprès de leurs parents et de beaucoup d’enseignants des universités classiques, qui voyaient en la FAD une formation de moindre qualité que celle donnée en présentiel.
De plus, sur le plan technologique et infrastructurel, la montée en puissance des effectifs d’apprenants a eu comme conséquences de peser sur la capacité de la plateforme de formation Moodle à supporter le nombre de connexions simultanées. Sur le plan pédagogique, une bonne partie des étudiants fraîchement orientés à l’UVS n’était pas suffisamment motivée pour suivre des cours intégralement en ligne. D’autres, à leur arrivée, ne disposaient même pas des connaissances informatiques de base nécessaires pour bien débuter un apprentissage en ligne sans accompagnement physique, à quoi s’ajoutait une faible autonomie, ce qui rendait assez délicate leur prise en charge par des tuteurs insuffisamment formés.
Recrutement d’enseignants propres à l’UVS
L’année 2016 a marqué le début du processus de recrutement de personnels d’enseignement et de recherche (PER) propres à l’UVS, qui aujourd’hui est constituée d’une vingtaine d’enseignants-chercheurs. Ces derniers n’ayant pour la plupart pas reçu une formation en pédagogie, notamment en enseignement à distance, l’UVS, dans le cadre de la politique de renforcement de capacité du personnel, a mis en place un plan annuel de formation des enseignants, incluant des modules sur la scénarisation et la médiatisation de cours en ligne, l’évaluation des apprentissages, le suivi pédagogique dans un dispositif d’enseignement à distance, etc. Les résultats attendus étaient l’amélioration de la qualité des cours en ligne, de la qualité de l’encadrement et de l’évaluation des apprentissages.
Introduction des soft skills
Actuellement, la concurrence entre les établissements de formation ne porte plus uniquement sur la transmission de savoirs disciplinaires, mais également sur leur aptitude à développer des soft skills. L’UVS a introduit dans son offre de formation la maîtrise des soft skills par ses apprenants. Ainsi, à chaque niveau de formation (L1, L2, L3, M1, M2), au moins une unité d’enseignement (UE) est affectée, en totalité ou en partie, à ces soft skills.
Au premier semestre de licence 1, les nouveaux étudiants débutent par une UE transversale intitulée « Ouverture et professionnalisation » portant sur les modules d’initiation à l’Informatique, le leadership, le développement personnel, les techniques d’expression et de communication, l’anglais, etc. qui sont parmi les soft skills les plus demandées sur le marché de l’emploi. Durant les semestres suivants les soft skills enseignées sont classées en trois thématiques : (i) efficacité et pratiques professionnelles, (ii) citoyenneté, société et culture, (iii) connaissance du monde d’aujourd’hui et de demain.
Diversification de l’offre de formations
Pour élargir et diversifier son offre de formations, le nombre de programmes de formations est passé de 7 à 10 au niveau des masters et à 12 au niveau des licences. Ils sont répartis dans les trois pôles de formations : STN (sciences, technologie et numérique) ; SEJA (sciences économiques, juridiques et administration) et LSHE (lettres, sciences humaines et de l’éducation).
L’année 2018 a été celle de la sortie des premiers diplômés de l’UVS titulaires de licence 3, de la diversification de l’offre de formation et de l’ouverture à de nouveaux profils d’apprenants comme les professionnels.
Perspectives
Dans l’optique de partager son expertise mais également de la compléter, l’UVS a rejoint le partenariat REAMOOC « (Réseau africain de développement de MOOC pour l’innovation pédagogique dans l’enseignement), projet Erasmus + (2017-2020) financé par l’Union européenne, co-coordonné entre l’Université libre de Bruxelles et l’Agence universitaire de la francophonie (AUF), ayant pour objectifs de développer un réseau d’excellence africain de production de MOOC et, plus globalement, de développer des pratiques pédagogiques innovantes dans l’enseignement supérieur. Pour ce faire, les enseignants impliqués des six universités partenaires du Sud suivent, en sus de rencontres et stages, deux formations à distance qui les amènent, (1) par isomorphisme, à pouvoir développer, en toute autonomie des dispositifs de cours en ligne adéquatement scénarisés et produits à l’aide d’un matériel de pointe, puis (2) à les intégrer en « hybride » dans leurs programmes en présentiel. Très vite, d’autres projets respectant le cahier des charges et les standards de qualité du réseau pourront le solliciter ou le rejoindre de sorte qu’il s’érige en acteur africain incontournable de la pédagogie universitaire numérique. Il y a, par ailleurs, fort à croire qu’il servira de modèle à l’international puisque plusieurs problématiques auxquelles il sera en mesure de répondre concernent chaque jour un peu plus l’enseignement supérieur des pays du Nord.
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