Babacar Ndiaye
On ne pouvait peindre un tableau aussi sombre pour l’Afrique face au Covid-19. Le discours « catastrophiste » voire « eschatologique » du secrétaire général des Nations Unies Antonio Guterres le 27 mars 2020 sur France 24 sur les millions de morts à venir sur le continent et les projections les plus effroyables des rapports occidentaux font de l’Afrique la zone qui sera la plus touchée par le virus en termes de victimes.
Quoi qu’elle fasse, il semble que l’Afrique soit déjà condamnée dans cette crise sanitaire sans précédent. Il faut entendre et analyser froidement les arguments des uns et des autres qui évoquent la faiblesse des systèmes de santé, le mode de vie sociale très favorable à la propagation et plus globalement, la structure des économies africaines qui ne résisteront pas aux conséquences du virus.
Au vu de cette liste, les pays africains partent à la « guerre » contre le Covid-19 avec beaucoup de limites et de contraintes. Les gouvernements sont à la manœuvre et les ministères de la Santé en première ligne depuis que le premier cas a été identifié le 14 février 2020 en Égypte. Qui pouvait prédire une crise d’une telle ampleur ? Pourtant en décembre 2019, les reportages sur la ville chinoise de Wuhan, lieu d’émergence du Covid-19 nous semblaient lointains.
Aujourd’hui, il est présent dans plus de 45 pays en Afrique et a déjà causé la mort de plus de 150 personnes. Sur certains plateaux de télévisions occidentales, la fiabilité des chiffres actuels sur les cas de contamination en Afrique fait débat. Ils sont jugés très faibles et même « sous-estimés » pour ceux qui connaissent les contextes africains et comparés à ce qui se passe actuellement en Europe et aux États-Unis.
La faiblesse des systèmes de santé en Afrique, un constat renforcé par le Covid-19
La première raison évoquée pour justifier que l’Afrique connaitra potentiellement un nombre élevé de victimes est la faiblesse des systèmes de santé. L’argument est non seulement implacable, mais il est indéniable. Pour illustrer cette réalité, le nombre de pays africains disposant de laboratoires en capacité d’identifier le Covid-19 au moment de sa propagation vers les autres continents était de deux (l’Afrique du Sud et le Sénégal). Début février, l’Institut Pasteur de Dakar (IPD) a formé au protocole de diagnostic du nouveau coronavirus des représentants de laboratoires de quinze pays africains.
La première raison évoquée pour justifier que l’Afrique connaitra potentiellement un nombre élevé de victimes est la faiblesse des systèmes de santé
La capacité de surveillance actuelle de la pandémie en Afrique est très faible. Le risque important de ne pas détecter des cas de Covid-19 est réel. La principale difficulté dans la phase de détection du coronavirus avant la décision de fermeture des aéroports était que le voyageur porteur du virus pouvait être en phase d’incubation et ne pas présenter le symptôme de la fièvre. Le contrôle de la température dans les aéroports était loin d’être le moyen le plus efficace pour contenir la propagation. Cela a permis une circulation rapide de la pandémie dans le monde.
La grande interrogation en Afrique est qu’en l’absence de test à grande échelle dans les pays, comment est-il possible de déterminer le nombre de personnes contaminées et de porteurs sains qui transmettent le virus ? L’épidémie d’Ebola avait révélé les fragilités des systèmes sanitaires de certains pays de la région en termes d’infrastructures, mais aussi de procédures. Le Covid-19 amplifie les constats de carences et de vulnérabilité.
La principale crainte pour les médecins africains est l’incapacité à contenir l’épidémie et à traiter les victimes si le nombre venait à exploser. La plupart des pays africains n’auraient pas les moyens de traiter les cas sévères nécessitant des soins intensifs aussi bien dans les capitales que dans les zones reculées.
Pour la prise en charge des malades, un pays comme le Sénégal est passé en quelques semaines d’une capacité d’accueil d’une douzaine de lits au service des maladies infectieuses du Centre hospitalier national universitaire de Fann (CHNU) à 500 disponibles. Le ministère de la Santé a indiqué cette disponibilité en lits répartis sur 7 sites le 2 avril. Le 29 mars, le ministère ivoirien de la Santé et de l’hygiène publique a annoncé la disponibilité de 300 nouveaux lits d’hospitalisation pour contenir le Coronavirus (Covid-19) en cas d’explosion de la maladie.
Au Nigeria, le pays le plus peuplé d’Afrique et la première puissance économique, le ministre de la Santé a indiqué lors d’une récente conférence de presse que le pays ne comptait que 350 unités d’urgences. L’autorité chargée de piloter la lutte contre le virus était dans l’incapacité de communiquer les chiffres sur les appareils respiratoires dans le pays. Le président de l’Association des médecins du Nigeria (NMA), Francis Faduyile affirmait que son pays ne disposerait que d’un seul centre d’isolement de qualité à Lagos avec une capacité de 50 lits seulement.
En cette période de crise, les limites encore constatées démontrent à suffisance qu’un véritable électrochoc sera nécessaire dans le secteur de la santé
Cela en dit long sur le système de santé au Nigeria. En Allemagne, la capacité en nombre de lits en réanimation est passée de 12 000 à 40 000 et le pays dispose de 30 000 respirateurs. Selon l’Association des médecins du Nigeria (NMA), le pays compte 42 000 médecins généralistes enregistrés en 2019, en France, il est de 226 000. Des pays comme la Centrafrique, le Burkina Faso ou le Tchad, comptent moins d’un médecin pour 10 000 habitants.
Même si aucun pays au monde n’était préparé à affronter cette crise, les systèmes de santé africains se débattent avec des contraintes comme le manque d’eau, l’insuffisance de matériels de réanimation respiratoire, de masques et l’absence des centres de test sur l’ensemble du territoire pour mener des dépistages à grande échelle sur la population. En cette période de crise, les limites encore constatées démontrent à suffisance qu’un véritable électrochoc sera nécessaire dans le secteur de la santé.
Un mode de vie sociale propice à la propagation du virus et «incompatible » avec le confinement
Le mode de vie sociale en Afrique est très propice à la propagation du virus. On a souvent entendu ce type de propos dans les analyses. Chaque pays africain tente d’apporter des réponses immédiates contre le Covid-19. Elles ont pour nom l’état d’urgence, le couvre-feu, le confinement, le confinement partiel… Des mesures exceptionnelles ont été prises ces derniers jours. Certaines décisions même semblaient impensables il y a quelques semaines.
Les autorités ont décidé de la fermeture de tous les lieux qui recevaient du monde. Les plus symboliques dans un pays comme le Sénégal sont la fermeture des mosquées et des églises. Un couvre-feu nocturne a été décrété dans certains pays. Toutefois, les rassemblements au coin de la rue, dans les marchés, dans les rues marchandes, les baptêmes et mariages qui voient l’immobilisation des petites routes des quartiers constituent des réalités africaines.
L’économie est dominée par le secteur informel avec les nombreux marchés de Sandaga à Dakar, de Treichville à Abidjan ou Dantokpa à Cotonou. Des millions de personnes vivent du commerce informel. Évidemment, la propagation du coronavirus est un réel danger dans ces milieux qui sont loin d’être règlementés.
Le confinement est apparu comme une réponse évidente pour arrêter la propagation du virus. C’est le cas depuis le 28 mars pour 57 millions de Sud-Africains qui ne sont plus autorisés à sortir de leur domicile pendant une période de trois semaines. Les autorités du Zimbabwe et le Royaume du Maroc ont également suivi cette voie. Plus surprenant encore, en République Fédérale du Nigéria, le président Buhari a décidé le 30 mars le confinement de Lagos, la ville grouillante aux 20 millions d’habitants.
Il est clair qu’un confinement total à la française ou à l’italienne aurait des conséquences désastreuses sur le tissu social et économique
La question du confinement est un choix difficile à imposer dans les réalités africaines. Il suffit de lire l’argument avancé par le président béninois Patrice Talon pour s’en convaincre. « Contrairement aux citoyens des pays développés d’Amérique, d’Europe et d’Asie, la grande majorité des Béninois ont un revenu non salarial. Combien de personnes au Bénin ont un salaire mensuel et peuvent attendre deux, trois ou quatre semaines sans travailler et vivre des revenus du mois ? […] Comment peut-on, dans un tel contexte où la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille, décréter sans préavis, un confinement général de longue durée ? ».
Il est clair qu’un confinement total à la française ou à l’italienne aurait des conséquences désastreuses sur le tissu social et économique. Pour autant si la crise s’accentue, une telle position sera-t-elle tenable ? Aux États-Unis, les hésitations des autorités pour le confinement de la ville de New York sont sans doute dictées par l’économie. Il faut rappeler que La Chine a procédé seulement au confinement de la ville de Wuhan. Les chercheurs chinois affirment que ce choix a potentiellement évité plus de 700 000 cas supplémentaires.
Une compréhension collective des gestes préventifs et leur respect scrupuleux, l’arme principale contre le virus
Le combat contre le Covid-19 est certes piloté par l’État à travers ses différents démembrements dans les différents pays, mais il doit être porté par le paysan, le boulanger, le mécanicien, le chauffeur du « Car rapide » à Dakar ou du « danfo » à Lagos , du vigile à la banque, l’imam, le chef de village, le laveur de voiture, la restauratrice, le commerçant, le secteur formel, le secteur informel… bref de toutes les couches de la population.
La prévention reste la principale arme pour freiner la circulation de la pandémie. A vrai dire, c’est la seule arme dont dispose l’Afrique dans le contexte actuel. Il faut inlassablement partager la bonne information concernant les « gestes barrières » dans toutes les langues et sur tous les canaux de diffusion (radios, télévisions, réseaux sociaux). Il est heureux de voir la diffusion en boucle des messages de prévention. Ils doivent être amplifiés pour toucher toutes les composantes de la population.
Tous les milliards en train d’être récoltés pour combattre le virus n’y feront rien si chaque Africain n’agit pas en « soldat » pour protéger son voisin à travers des gestes simples
Il faut lutter contre les « fakenews » sur les soi-disant remèdes contre le virus. Les médias doivent tendre les micros aux scientifiques, aux médecins et surtout pas aux « faux sachants » et experts de tout. La responsabilité de tous les Africains est engagée pour que le continent ne connaisse pas les millions de morts annoncés. Tous les milliards en train d’être récoltés pour combattre le virus n’y feront rien si chaque Africain n’agit pas en « soldat » pour protéger son voisin à travers des gestes simples. Chacun doit revoir ses habitudes et éviter les déplacements non essentiels.
Le slogan « Restez chez vous » doit être une réalité et se laver les mains régulièrement avec savon, un réflexe de tout instant. Il faut bien expliquer l’importance de la recommandation de se placer à un mètre de son interlocuteur, cela demandera une autodiscipline et de la solidarité. Dans ce combat contre le Covid-19, toutes les voix qui ont écho auprès des populations doivent jouer leur partition (les religieux, les chefs traditionnels et coutumiers, les artistes, les mouvements citoyens, les associations de jeunes, le monde du sport…) en relayant ces gestes qui sauveront des vies. Gouvernements et populations mènent le même combat.
Source photo : republicoftogo.com
Babacar Ndiaye est diplômé en Sciences politiques et relations internationales de l’Université d’Auvergne Clermont 1 (France). Il travaille sur les questions de sécurité et de gouvernance en Afrique de l’Ouest.