Jacques Ould Aoudia
Transition et concertation au Mali, décembre 2021 – janvier 2022
Les autorités maliennes, issues du coup d’État de mai 2021 ont organisé en décembre 2021 les « Assises nationales de la refondation ». Celles-ci avaient pour but d’identifier les graves difficultés auxquelles le pays est confronté et de proposer des solutions pour les dépasser. Une fraction des partis politiques et groupes armés n’a pas participé à ces Assises.
Une immense pression sur la société
Les autorités de transition, mais aussi les participants à ces Assises et l’ensemble de la société malienne, ont été soumis, depuis des semaines, à une immense pression médiatique et diplomatique de la part des acteurs extérieurs au pays. Une pression concentrée sur une seule donnée : la date de la prochaine élection présidentielle sensée rendre le pouvoir aux civils.
Les conditions sont ainsi réunies pour brouiller l’élaboration de solutions par la société malienne elle-même
Les forces locales qui cherchent des solutions aux crises multiples que traverse leur société entendent sans relâche les mêmes phrases : à quand les élections ? Leurs réflexions sur les graves défaillances de la gouvernance antérieure du pays sont écrasées par cette interrogation. Or ces graves défaillances sont à la racine des difficultés de la société malienne. Elles ont été la cause de la prise de pouvoir par les miliaires. De ces causes, la pression internationale ne dit rien. L’interrogation sur le « chronogramme » des élections est présentée comme l’unique enjeu dans la situation présente.
Cette pression extérieure est instrumentalisée par les partis d’opposition du pays qui ont refusé de participer à ces Assises. Ils se positionnent ainsi dans le jeu politicien local et comme de futurs alliés (et bénéficiaires) de ces acteurs extérieurs en cas de changement de pouvoir.
Au total, la société malienne se retrouve encore plus désorientée
Et sa défiance vis-à-vis des donneurs de leçon démocratique se renforce. Au risque de faire reculer l’idée même de démocratie en son sein. On sait le risque d’une capture durable de l’État par l’armée. Qui déboucherait sur une solution autoritaire comme les pays du Sahel en ont déjà fait l’expérience. Un vent d’autoritarisme souffle sur le monde.
Or ces graves défaillances sont à la racine des difficultés de la société malienne. Elles ont été la cause de la prise de pouvoir par les miliaires. De ces causes, la pression internationale ne dit rien
Pressions extérieures : la CEDEAO tombe dans le piège qu’elle a tendu
La réunion de la CEDEAO, tenu début janvier à Accra au Ghana consacré à la situation au Mali, accentue la pression sur le « chronogramme ». De lourdes sanctions à effet immédiat ont été prises. Sans un mot sur les réformes politiques du cadre constitutionnel à élaborer. Des réformes pourtant nécessaires pour trouver une solution à la crise politique chronique que vit le Mali depuis des années.
Ainsi, le piège de la polarisation sur ce chronogramme se referme sur les dirigeants de la CEDEAO. Tout est suspendu à une question de date. Les élections pour dans 5 ans ? Dans 4 ans ? Dans 3 ans ? Cet aveuglement a pour effet certain de retarder l’émergence de solutions élaborées par les Maliens eux-mêmes. Avec les conseils que pourraient apporter les pays voisins, les forces des sociétés civiles de la région…
Tôt ou tard, il faudra en passer par là. Pour élaborer des solutions politiques innovantes qui seront nécessairement tâtonnantes, complexes, peut-être erronées… Mais qui seront autant d’étapes pour progresser vers un mode de gouvernance renouvelé. Un mode de gouvernance adapté aux données sociales, culturelles, historiques, de ce pays du Sahel pris dans un contexte régional.
La primauté des formes
A la racine de ces graves erreurs, on retrouve la fétichisation des formes de la démocratie, sans égards pour l’ensemble des conditions nécessaires à sa bonne marche. Élection pour faire quoi ? Pour remettre en marche à l’identique la gouvernance précédente ? C’est à dire une gouvernance totalement défaillante ? L’influence anglo-saxonne sur la primauté des formes se retrouve encore là. Elle signe l’indigence de la réflexion des acteurs extérieurs qui prétendent donner des leçons au Mali.
Cet aveuglement a pour effet certain de retarder l’émergence de solutions élaborées par les Maliens eux-mêmes. Avec les conseils que pourraient apporter les pays voisins, les forces des sociétés civiles de la région
D’autres priorités
Les Assises ont certes posé la question de la durée de la transition, mais ont évoqué aussi d’autres urgences. D’autres problèmes sont perçus comme prioritaires par une majorité des participants à ces Assises. A commencer par la sécurité de la population, qui subit depuis des années les assauts des groupes djihadistes.
Les leçons prodiguées et les actions menées jusque-là de l’extérieur n’ont pas donné de résultats positifs. Elles n’ont fait qu’enfoncer le pays dans la crise sécuritaire, sociale, politique, morale. Laissons la société malienne élaborer ses propres solutions ! Et espérons une aide des pays de la région dans l’appui à cette élaboration.
Crédit photo : Baobab7.com
Jacques Ould Aoudia est chercheur en économie politique du développement. Jusqu’en 2011, il était économiste au ministère de l’Économie en France. Il a travaillé sur les économies des pays arabes avec une analyse des fondements institutionnels du développement et du rôle de la gouvernance. Il poursuit ses travaux de recherche sur l’économie politique du développement. Il est chercheur associé à l’Institut royal d’études stratégiques (IRES, Maroc). Il a publié de nombreux articles sur la gouvernance, le développement, la migration et le monde arabe.