Jacques Ould Aoudia
Il y a quelques semaines, la CEDEAO imposait des sanctions au pouvoir militaire malien issu du coup d’Etat de mai 2021. Des sanctions aussi sévères que difficiles à appliquer. La raison ? Le refus par l’organisation régionale du « chronogramme » proposé par les militaires pour des élections visant à redonner le pouvoir aux civils. Pire, l’Union européenne et l’ONU ont emboité le pas, et sont tombées elles aussi dans le piège du « à quand les élections ? »
Sur le schéma constitutionnel antérieur qui a conduit le Mali à la grave crise que l’on connait, rien n’est dit, rien n’est demandé, ni proposé. Cela revient à ce que les instances régionale, européenne et internationale demandent ni plus ni moins… la restauration de la situation précédente qui a conduit à la crise structurelle du pouvoir au Mali !
Nous nous interrogeons ici avec la double intention suivante :
1/ Aider le pouvoir actuel qui dirige le Mali à aller dans le sens d’une démarche sincère de construction de la démocratie. Et ce, dans le respect de la nécessaire élaboration endogène des solutions pour construire une gouvernance en phase avec les demandes profondes de la société malienne.
2/ Créer les conditions pour que se renouent des relations apaisées et confiantes entre le Mali et le reste du monde, y compris les instances régionales et internationales.
Comment poser la question autrement ?
On part de l’idée que la démocratie n’est pas seulement une question d’élections, de désignation des dirigeants politiques. La démocratie, c’est un ensemble de dispositifs tournés vers les populations dans leur vie quotidienne, à tous les échelons des territoires. Des dispositifs qui, une fois mis en œuvre, servent de socle compréhensible par l’ensemble de la société, aux processus de désignation des dirigeants politiques. Sans ces dispositifs, sans ces bases, les processus de désignation des dirigeants (dont les élections), sont suspendus dans le vide et nourrissent tous les affrontements possibles.
Des exemples de questionnements sur ces dispositifs qui fondent la démocratie :
- Comment progresser vers l’égalité d’accès aux services publics (santé, éducation) ?
- Comment traiter les enjeux intergénérationnels, les tensions foncières, notamment dans le monde rural ?
- Comment progresser vers l’indépendance de la Justice ?
- Comment assurer des droits pour les populations minoritaires, thème particulièrement important sur le chapitre de la sécurité ?
- Comment améliorer les règles de la décentralisation ?
Ces questionnements (et d’autres), sont à la base de la construction d’une nouvelle gouvernance. Et ce, dans l’urgence, d’une progression sur le terrain de la sécurité qui constitue une forte demande des populations.
La démocratie, c’est un ensemble de dispositifs tournés vers les populations dans leur vie quotidienne, à tous les échelons des territoires
Bien évidemment, c’est à la société malienne d’élaborer ces questionnements et l’ordre de priorité dans lequel ils doivent être traités. Mais n’avons-nous pas une masse de propositions qui émanent des Assises nationales de la refondation, qui se sont terminées fin décembre 2021 ?
On n’a voulu retenir de ces assises que la proposition de fourchette des dates pour des élections, « de 6 mois à 5 ans » pour la durée de la transition. Mais d’autres importantes demandes ont été formulées, notamment en ce qui concerne la sécurité. C’est en prenant en considération ces demandes que l’on peut enclencher un processus de construction d’une gouvernance en phase avec les attentes profondes de la société. Et tant pis si elles ne respectent pas les règles élaborées ailleurs, qui sont présentées comme « universelles » !
On n’a voulu retenir de ces assises que la proposition de fourchette des dates pour des élections, « de 6 mois à 5 ans » pour la durée de la transition
Les sociétés d’Afrique connaissent une crise profonde qui traverse tous les pays, au Sud comme au Nord. A des degrés et selon des modalités divers. Crise sociale et politique, crise écologique, crise intergénérationnelle et crise morale. Toutes ces composantes trouvent leur résultante dans une crise de la gouvernance.
Il n’y aura pas de solution imposée de l’extérieur !
Alors que la situation est tendue au Burkina Faso au moment où nous écrivons ces lignes, c’est plus que jamais aux sociétés africaines de produire leurs solutions, de trouver leurs « arrangements » pour progresser vers une gouvernance adaptée aux composantes profondes des sociétés.
Les pays occidentaux ont du mal à accepter de ne plus être les maitres absolus du monde. Cela les conduit à faire de graves erreurs politiques. Des erreurs qui enfoncent les pays africains dans la crise et les jettent dans les bras d’autres acteurs qui ont mis le pied sur le Continent : Chine, Russie, Israël, Turquie, monarchies du Golfe… Ces acteurs n’ont des intentions ni pacifiques ni désintéressées. Mais il faut désormais compter avec leur présence.
Le monde a changé
Les solutions imposées par les pays du Nord avec l’appui des fonds de l’aide ne fonctionnent pas. On le voit encore plus clairement maintenant. Par ailleurs, d’autres acteurs sont présents. De nouveaux équilibres sont donc à trouver entre l’ensemble des acteurs au plan international. Au Sud, les leçons de la précédente Guerre froide devront être tirées : le chantage au changement d’alliance n’a rien apporté aux pays qui sont passés d’un camp à l’autre ! L’exemple de l’Egypte est édifiant sur ce point.
Et au plan interne, de nouvelles responsabilités par les sociétés africaines sont à prendre en compte dans l’élaboration de nouvelles formules de gouvernance. Sur les plans interne et externe, la situation présente offre des opportunités pour élaborer de nouvelles règles du jeu adaptées aux changements du monde.
Crédit photo : msn
Jacques Ould Aoudia est chercheur en économie politique du développement. Jusqu’en 2011, il était économiste au ministère de l’Économie en France. Il a travaillé sur les économies des pays arabes avec une analyse des fondements institutionnels du développement et du rôle de la gouvernance. Il poursuit ses travaux de recherche sur l’économie politique du développement. Il est chercheur associé à l’Institut royal d’études stratégiques (IRES, Maroc). Il a publié de nombreux articles sur la gouvernance, le développement, la migration et le monde arabe.