Auteur (s) : Richard Lalou, Valérie Delauney
Organisation affiliée:Institut de recherche pour le développement (IRD)
Type de publication : Article académique
Date de publication : 2016
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Les déplacements humains comme conséquence des changements de l’environnement et du climat ne sont pas un phénomène nouveau. Pendant des siècles, les populations ont migré, souvent de façon saisonnière, suite aux modifications de leur environnement.
Cette réflexion se globalise au début des années 1990, quand la communauté internationale commence à reconnaître le défi mondial qu’est le changement climatique, ainsi que ses liens et ses impacts sur la mobilité humaine. À cette occasion, le débat se polarise entre deux visions théoriques de la migration environnementale.
La première approche, qui tend à dominer le débat, repose sur les théories conventionnelles de «répulsion/attraction » (push-pull theories). Classiquement, les changements environnementaux dans les pays pauvres résultent d’une pression démographique sur les ressources naturelles, supérieure à la capacité de charge du territoire, provoquant en retour l’exode des populations. La migration environnementale est ainsi une fuite face à une menace urgente un abandon du milieu d’origine devenu inhospitalier, un échec de l’auto-adaptation des individus et des systèmes.
D’un autre côté, les autres théories migratoires, qui incluent la New Economics of Labour Migration, l’approche structuraliste, la théorie des réseaux sociaux ou encore celle du transnationalisme, suggèrent toutes à leur façon que la migration environnementale n’est pas seulement une réponse à un stimulus fort du milieu naturel, mais qu’elle est aussi une migration à part entière, avec ses causalités complexes et son processus décisionnel, et qu’elle ne doit donc pas être analysée totalement différemment des autres migrations. Les personnes se déplacent rarement sous la contrainte d’un seul facteur, à l’exception peut-être des catastrophes naturelles majeures. En ce sens, les migrations environnementales constituent, comme toute autre migration, un phénomène socialement construit et un choix concurrent à bien d’autres options d’adaptation.
La migration, qu’elle soit une stratégie de survie ou une opportunité pour améliorer les conditions de vie, n’est pas nécessairement synonyme de rupture ou d’abandon du territoire d’origine, même quand elle est motivée par des causes environnementales. La migration des campagnes vers les villes est observée en tout lieu en relation avec le milieu de départ. En Afrique de l’Ouest, les études montrent que les mouvements de population sont plus généralement le fait de migrations de travail temporaires et/ou circulaires.
Les migrants entretiennent le lien avec leur village d’origine et participent activement à la sécurité alimentaire et, parfois, au développement d’activités agricoles ou extra-agricoles de leur communauté.
La migration environnementale est ainsi une fuite face à une menace urgente un abandon du milieu d’origine devenu inhospitalier, un échec de l’auto-adaptation des individus et des systèmes
Il peut s’agir alors de stratégies de survie à court terme, qui visent à répondre aux besoins de subsistance du ménage resté au village, par des transferts utilisés pour la consommation ou par un allégement de la pression sur les denrées, avec le départ de consommateurs.
La migration saisonnière, bien que résultant en partie de causes environnementales, peut difficilement s’analyser exclusivement en termes d’échec. Les nombreuses études menées sur cette question en Afrique ont montré que cette forme de mobilité répond souvent à une logique collective, dont la finalité est de maintenir l’exploitation agricole, malgré les contraintes auxquelles elle fait face, et de lui donner les moyens techniques et financiers de se développer davantage.
Le site d’observation de Niakhar au Sénégal fournit une possibilité intéressante d’interroger sur un temps long la relation entre les migrations internes et les changements environnementaux et climatiques à évolution lente.
C’est dans les années 1960 qu’ont débuté les mouvements saisonniers de migration de travail des jeunes hommes et jeunes femmes vers les grandes villes. Ils concernaient alors les villages proches des axes routiers, et essentiellement des ménages appartenant à des castes (les griots, les forgerons, etc.). Les jeunes partaient quelques mois de l’année en dehors de la période de culture, afin de trouver une activité rémunératrice.
En Afrique de l’Ouest, les études montrent que les mouvements de population sont plus généralement le fait de migrations de travail temporaires et/ou circulaires
Dans les années 1990 et 2000, l’État sénégalais se désengage de la filière arachidière sous la pression des programmes d’ajustement structurels imposés par les organisations de Bretton Woods. L’arrêt des subventions des semences, des intrants et du prix d’achat de l’arachide aux producteurs a largement affaibli le rôle de cette culture dans l’économie locale. Le « bassin arachidier » doit alors faire face à une grave crise agricole qui force les paysans à l’innovation agricole et à la diversification des revenus. C’est à cette période que les migrations saisonnières se généralisent et atteignent une ampleur considérable, touchant la population à de très jeunes âges, surtout chez les filles.
Malgré une diversification des profils et des motivations migratoires, le rôle de la vulnérabilité alimentaire reste important encore aujourd’hui.
Face à la dégradation des conditions climatiques, à la libéralisation de la filière de l’arachide et à la crise agricole qui s’en suivit, le phénomène de migration s’est peu à peu diffusé à l’ensemble des villages, à tous les groupes sociaux et à toutes les classes d’âge. Le migrant est donc devenu selon les stratégies des ménages un facteur d’ajustement (stratégie de subsistance) ou un acteur du changement social et économique local (stratégie d’enrichissement).
Les migrations de saison sèche, les « noranes », sont les plus nombreuses et concernent principalement les jeunes partant vers la ville. Les hommes, très souvent célibataires, partent chercher un emploi en ville afin de soulager la famille, préparer leur mariage ou encore subvenir à leurs besoins personnels. Les jeunes filles profitent généralement de la migration en ville pour constituer, grâce à l’argent de leur travail, le trousseau de leur mariage. Filles comme garçons reviennent au moment de la saison agricole. Pendant la saison pluvieuse, des jeunes hommes peuvent partir en zone rurale comme travailleur agricole ou berger. Ces migrations saisonnières, les « navetanes », sont moins fréquentes que les « noranes » et se produisent généralement quand les exploitations agricoles ont un surplus de main-d’œuvre agricole.
Malgré une diversification des profils et des motivations migratoires, le rôle de la vulnérabilité alimentaire reste important encore aujourd’hui
Enfin, à côté de ces mouvements saisonniers calés sur le calendrier des cultures, se développent, depuis le début des années 2000 et avec la massification de la scolarisation, des migrations à dominante féminine dépendantes du calendrier des vacances scolaires. Cette migration leur permet d’assumer les coûts de la scolarité et leurs nouveaux besoins d’écolier (habits, cosmétique, téléphone…).
Migrations saisonnières, facteurs climatiques et sécurité alimentaire
La migration temporaire de travail est de loin la forme de mobilité humaine qui domine sur la zone d’observation de Niakhar. Ces mouvements ont trouvé leurs origines principalement dans les aléas de la pluviosité (les sécheresses des années 1970et 1980), dans leurs impacts sur les performances de l’agriculture et dans la pression foncière qu’a favorisée la croissance démographique.
Même si la relation entre les migrations saisonnières et la pluviométrie est aujourd’hui plus difficile à mettre en évidence ne serait-ce parce que ces déplacements tendent à devenir une pratique homogène au sein de la population, nous observons que les migrations temporaires conservent une sensibilité assez forte aux variations climatiques.
Les migrations temporaires de travail répondent à des motivations diverses, selon que l’on a affaire à des jeunes ou à des adultes, à des hommes ou à des femmes, à des ménages pauvres ou plus aisés. Face aux changements environnementaux et climatiques, les migrations sont vues comme des stratégies souvent de survie,destinées à la fois à atténuer la pression sur les ressources du milieu et à favoriser les transferts de biens et de capitaux qui pourront permettre aux familles de se maintenir sur leur territoire d’origine.
Les mouvements migratoires internes à partir du sud-ouest du bassin arachidier ont depuis longtemps été associés avant même que le changement climatique n’investisse le débat public à la forte densité démographique du milieu d’origine et aux chocs environnementaux du Sahel au XXe siècle. À présent, les migrations se généralisent et s’intensifient, alors que la population croît à un rythme jamais atteint et que le climat change dans le sens de plus d’incertitude et de situations extrêmes.
Pourtant, pas plus aujourd’hui que par le passé, les déplacements de population ne sont assimilables à un exode ou à un abandon. Les migrations définitives restent anecdotiques sur le territoire de Niakhar, et les migrations de travail qui sont très nombreuses impliquent toujours des relations à distance avec les villages d’origine et le retour des migrants à plus ou moins courte échéance.
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