Auteur : Ayoko Mensah
Site de publication : Culture et développement
Type de publication : Entretien
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Comment les cultures se métissent-elles en Afrique ? Y a-t-il différents types de processus ?
L’Afrique, à cause des ruptures et mutations qu’elle connaît mais aussi de ses vicissitudes économiques et politiques, manifeste une vitalité créatrice qui donne naissance à de nouvelles combinaisons culturelles. Celles-ci relèvent des problématiques de l’identité et de la différence mais aussi du syncrétisme. Un profond et puissant phénomène de recomposition culturelle est actuellement à l’œuvre, principalement dans les capitales africaines. Il prend en charge à la fois le croisement des cultures nationales et la confrontation à la culture occidentale.
Le terme de métissage culturel est-il fréquemment utilisé dans les sociétés africaines ?
La question du métissage mérite d’être posée sérieusement pour prendre conscience que les cultures africaines s’empruntent des éléments les unes aux autres, se métissent. Ces emprunts viennent enrichir des pratiques culturelles ou artistiques locales, élargir leur horizon anthropologique. Cela a toujours existé.
Les cultures africaines ont une très forte plasticité, une grande souplesse. Elles sont capables d’ingérer beaucoup d’influences, africaines ou occidentales, qu’elles réinterprètent à leur manière. Cette appropriation leur est si naturelle qu’elles ne cherchent pas à désigner ce processus par le terme de métissage. Ceci dit, à notre époque, alors que les frontières explosent, ce processus est une vraie question de société. Nous ne vivons plus dans des univers clos : il faut comprendre le fonctionnement et les enjeux de ces hybridations.
Comment se manifeste cette recomposition culturelle dans les expressions artistiques ?
La scène africaine artistique s’est beaucoup diversifiée en une vingtaine d’années. Progressivement ont émergé des démarches artistiques fondées sur l’expression de consciences individuelles. C’est ce courant artistique qui est confronté avec acuité aux questions du Même et de l’Autre. Ces artistes doivent d’autant plus prendre en charge la recherche d’une identité qu’ils ont vécu le brassage inter-ethnique, subi la dépossession culturelle ou qu’ils sont confrontés à l’échange avec des cultures extra-africaines. Les films, la musique, les livres et les magazines véhiculent des formes venues des Amériques, d’Europe, d’Inde ou d’Egypte qui sont reprises et recyclées dans la musique – rap, reggae, salsa – la danse ou les arts visuels. L’artiste africain contemporain et urbain est très tôt confronté à l’expérience de la diversité culturelle. Sa préoccupation est essentiellement de construire son identité dans le brassage des cultures qui coexistent dans l’espace urbain.
Les échanges entre les cultures africaines et celles des ex-puissances coloniales se multiplient. Quel regard portez-vous sur ces rencontres ?
La question de la nécessité et de l’urgence de cette aventure internationale se pose. A quoi va servir la rencontre ? Qu’est-ce qui lui donne sens et la justifie ? Sans revenir sur les débats soulevés en leur temps par l’historien Cheikh Anta Diop ou le plasticien Papa Ibra Tall sur les conséquences des échanges avec l’Occident, on ne peut contourner ces questions aujourd’hui. D’autant que les artistes urbains africains considèrent cette ouverture à l’Occident comme nécessaire à l’évolution de leur propre pratique. L’expérience de Taxi-Couleurs mise en place par Culture et Développement (1) nous a donné l’occasion de vérifier la nécessité et les risques de ces échanges internationaux. Cette expérience de détour culturel par le Nord et par le Sud a été pour les plasticiens africains non seulement l’occasion d’un enrichissement de leurs techniques mais aussi d’un élargissement de leur vision de l’art et de leur identité.
Ils ont pris conscience de leur propre méconnaissance des arts d’Afrique et de la possibilité d’élaborer une esthétique singulière propre aux cultures africaines.
Finalement, c’est cette confrontation à l’Autre qui permet de concilier la quête identitaire et la recherche de la rencontre et de la légitimité internationales. A condition que les artistes issus de la ” périphérie ” soient capables de résister à la formidable puissance idéologique et artistique de l’Occident. Car, qu’ils en soient conscients ou non, les Africains sont sollicités surtout pour les traits spécifiques qui seraient le signe de leur différence culturelle et de leur singularité artistique. Mais cela suppose la maîtrise, du moins la connaissance préalable, de l’appareil esthétique de sa propre culture.
Or, la sortie de l’univers ethnique, la marginalisation ou le rejet des savoirs traditionnels dans les processus de formation ont entraîné chez de nombreux artistes une méconnaissance des codes artistiques propres à leur culture d’origine. Ces derniers mènent ainsi une quête identitaire qui dépasse leur champ ethnique originel pour prendre en compte différentes cultures, des plus proches aux plus lointaines.
Pourtant cette diversité culturelle, à l’échelle collective comme individuelle, va de pair avec des tendances au repli identitaire. En Afrique comme ailleurs, s’affirment des identités closes, essentialistes, qui refusent le métissage…
C’est compréhensible. On ne mesure pas encore toute l’importance du trauma colonial dans l’inconscient collectif… Quarante-cinq ans après les indépendances, un siècle après le début de la colonisation, les peuples africains sont encore dans la dynamique de récupérer leurs identités passées, idéalisées. Il y a encore une très forte douleur liée à cette perte de soi qu’a été la colonisation. Il faut ajouter à cela un brouillage des repères, conséquence de la confrontation sur la scène mondiale, qui est vécue plus ou moins comme une tentative d’assimilation. Affirmer une identité idéalisée, même révolue, c’est une manière de retrouver des repères.
Finalement, c’est cette confrontation à l’Autre qui permet de concilier la quête identitaire et la recherche de la rencontre et de la légitimité internationales. A condition que les artistes issus de la ” périphérie ” soient capables de résister à la formidable puissance idéologique et artistique de l’Occident
Ces replis sur des identités passéistes ne sont-ils pas aussi la conséquence de l’absence de clefs pour penser autrement ? Encore aujourd’hui, les cultures restent très soumises à la hiérarchie coloniale. L’Afrique manque de ses propres outils d’analyse…
C’est là que le bât blesse. C’est un vrai problème, dû à l’auto-dépréciation et à la difficulté de beaucoup (beaucoup de quoi ? d’africains ou d’artistes ?) à sortir du mimétisme. Il faut rappeler qu’à partir des années 70, quand les économies africaines se sont appauvries, les pouvoirs politiques se sont raidis et ont installé des schémas de fonctionnement et de commandement des sociétés extrêmement hiérarchisés, centralisés. Un contexte qui ne libère pas la créativité des peuples. Sans démocratie ni liberté d’expression, pas d’innovation ni de création de nouveaux schémas de pensée.
Le poids de la chape politique y est pour beaucoup, aggravé par la faillite économique. La prolifération des sectes religieuses sur le continent montre à quel point les gens cherchent à s’accrocher à quelque chose. L’Afrique traverse une période d’extrême difficulté, non seulement matérielle mais aussi morale, économique et politique, accentuée par les mutations liées à la mondialisation.
Peut-il y avoir une rencontre égalitaire entre cultures du Nord et du Sud ?
Cela pose de nombreuses questions. En premier lieu : la motivation des circuits internationaux des expressions artistiques africaines. Comment exister autrement que comme objet d’une mode éphémère dans cette relation marquée par une inégalité des rapports économiques et de pouvoir ? Comment prendre part à la communauté artistique internationale, en tant que partenaire évoluant avec le monde sans s’enfermer dans une identité figée ni se soumettre à l’art occidental ? A travers quelles grilles de lecture ces œuvres peuvent-elles être reçues ? Peut-il en exister une universelle ?
Face à la violence symbolique du pouvoir de légitimation artistique de l’Occident, les artistes africains doivent être à la fois capables d’élaborer des esthétiques correspondant à des concepts universels, mais surtout de préserver les écarts différentiels. C’est cette ” différence intraitable ” dont parlait Roland Barthes qui fera de l’échange interculturel une rencontre d’altérités qui interagissent.
Pour cela, la communauté artistique internationale se doit d’opérer un décentrement, de choisir une vision syncrétique du monde qui ne veuille pas réduire les différences.
Cela revient à se demander quelles formes d’échanges promouvoir pour contribuer à l’avènement d’une société, d’un monde où les cultures communiquent par-delà leur singularité ?
Quel rôle peuvent jouer les artistes africains dans ce changement ?
Il ne faut pas qu’ils soient entièrement dépendants d’un marché extérieur. La dynamique du commerce mondial des biens culturels est telle qu’elle commande les artistes. Ce marché est toujours à la recherche de nouveauté. C’est une force pour les artistes. Mais, pour avoir un dialogue harmonieux avec un public, ils doivent d’abord se recentrer sur leur propre marché. La diffusion extérieure doit être un appoint, un complément et non l’activité principale.
Il est vrai que l’économie de la culture en Afrique de l’Ouest est désastreuse : pas de réel réseau de distribution, peu de volonté politique. Si cet environnement n’est pas porteur, c’est parce qu’il est peu structuré malgré l’existence d’un marché.
Les artistes doivent créer, rechercher l’excellence. Le véritable talent est reconnu partout dans le monde. Il faut travailler et travailler encore. Sortir du mimétisme et faire preuve de créativité. Il faut aussi que les artistes s’organisent, soient plus solidaires. S’ils forment une véritable catégorie socioprofessionnelle qui affirme ses priorités, formule des propositions pour contribuer au développement d’une économie régionale de la culture, alors ils pourront être entendus.
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