A n’importe quel moment de la journée, quelle que soit votre humeur ou votre situation, regardez autour de vous. Prêtez-vous au jeu et vous remarquerez que très souvent, il y a un objet qui ne se trouve jamais à une distance de vous qui dépasse la longueur de votre bras.
Cet objet, sans surprise, c’est votre smartphone. Cet objet ne fait plus partie de nos vies, il la façonne, reconfigure nos interactions sociales et par conséquent nos conceptions de la notion de lien et de perception de soi. L’utilisation du smartphone est de plus en plus marquée par le temps mis sur les réseaux « sociaux », comme ils servent désormais à bien plus que créer et maintenir le contact avec des personnes, leur usage a des impacts au niveau de notre cerveau et de notre organisme. En utilisant les réseaux sociaux gratuitement, que payons-nous pour un voyage dans la caverne de Platon virtuelle ? A quels dangers sommes-nous exposés ?
Le nombre d’utilisateurs des réseaux sociaux a augmenté de 10% en l’espace de 10 ans atteignant 3,96 milliards en 2020. Cette croissance fulgurante s’explique par un constat qui mérite de marquer le pas. Il a fallu plus de 140 ans au téléphone pour atteindre 5,19 milliards d’utilisateurs, et en quatre ans, l’application chinoise Tik-Tok a atteint deux milliards de téléchargements.
Il faut dire que les réseaux sociaux sont d’excellents outils pour garder le contact avec des amis, construire un réseau professionnel, et même développer une activité ou augmenter la visibilité d’une marque. Grâce à ces plateformes, nombreuses sont les structures qui peuvent se passer de la publicité traditionnelle.
Toutefois, la place qu’ils occupent dans nos vies laisse des dégâts sur lesquels il faut alerter les utilisateurs.
La dopamine 2.0
D’abord, les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, YouTube, Snapchat et Twitter sont créés d’une manière qui favorise des addictions chez les consommateurs. En effet, tous les verrous qui permettaient à la personne de faire une seule chose qui a un début et une fin, ont sauté en faveur de cette ère de l’illimité.
Lorsqu’on lit un journal en papier ou qu’on regarde un film à la télévision, il y a toujours une dernière page, une scène finale, mais sur ces plateformes citées, on n’a jamais de limites. Les vidéos et les stories se renouvellent automatiquement afin de nous maintenir le plus longtemps possible sur le réseau. C’est ce qui explique que nous passons en moyenne 2 heures et 24 minutes par jour sur ces plateformes.
D’abord, les réseaux sociaux comme Facebook, Instagram, YouTube, Snapchat et Twitter sont créés d’une manière qui favorise des addictions chez les consommateurs
Il faut signaler que les chiffres varient selon les pays et les tranches d’âge. On trouve des moyennes de plus de 3 heures dans des pays comme le Nigéria. Les conséquences de ces usages abusifs sont considérables sur notre santé mentale et sur nos identités.
En tant que « créature de nature sociale », l’être humain a besoin d’être en compagnie des autres et nourrit constamment le besoin d’appartenir à un groupe. Dans le monde actuel, plusieurs personnes considèrent les réseaux sociaux comme étant des outils de substitution pour créer ce lien. Cependant, le lien virtuel ne peut jamais être un remplaçant parfait de la « connexion humaine » réelle. En vérité, plus on est connecté, plus on est isolé.
Selon des études de l’Université de Pittsburgh présentées dans l’American Journal of Preventive Medicine, « les personnes qui utilisent les médias sociaux plus de 2 heures par jour ont 2 fois plus de risque de ressentir l’isolement social contrairement aux sujets qui passent moins d’une demi-heure par jour sur les médias sociaux. »
Dans le monde actuel, plusieurs personnes considèrent les réseaux sociaux comme étant des outils de substitution pour créer ce lien. Cependant, le lien virtuel ne peut jamais être un remplaçant parfait de la « connexion humaine » réelle. En vérité, plus on est connecté, plus on est isolé
En plus de ce sentiment d’isolement, plus nous sommes connectés à différents réseaux sociaux, plus nous sommes exposés à une baisse de l’attention. Naturellement, la surcharge d’informations et la vitesse à laquelle le fil d’actualité se renouvelle ont tendance à diminuer nos aptitudes à nous concentrer sur une chose. C’est la dispersion de l’attention. A ce propos, selon une étude de Microsoft au Canada sur plus 2000 personnes, notre temps d’attention ne cesse de baisser, il est passé de 12 à 8 secondes soit une seconde de moins que le poisson rouge.
Il est important de penser à se « désintoxiquer » car le smartphone est devenu une forme de drogue et les réseaux sociaux sont la nicotine qui crée la dépendance
En plus de ces risques, il faut ajouter la détérioration de la qualité du sommeil. L’utilisation du téléphone quelques minutes avant d’aller au lit expose les yeux à la lumière et le message capté par le cerveau est traduit comme s’il faisait encore jour, donc il ne se prépare pas au repos mais à l’activité comme si on était en milieu de journée. Par conséquent, on dort moins bien. Il est important de penser à se « désintoxiquer » car le smartphone est devenu une forme de drogue et les réseaux sociaux sont la nicotine qui crée la dépendance.
Le cachot de l’approbation : coute que coûte exister pour les autres
De même que nous sommes des « créatures » qui avons besoin d’appartenir, de faire corps avec un groupe, de même nous cherchons l’approbation. Beaucoup de personnes restent rivées sur leur smartphone pour compter leur nombre de « J’aime » sur leur photo, particulièrement sur Instagram. Il s’agit finalement d’une économie de l’attention où des individus sont valorisés selon leur quantité d’approbation virtuelle. Cette approbation des réseaux sociaux fait que la personne ne cherche plus à être elle-même mais à convenir. Le fait de compter pour exister provoque la disparition de notre authenticité. Pour être admis. e selon les conventions de la dictature du paraitre, d’aucuns sont prêts à se créer une réalité artificielle, imaginaire avec des filtres.
Dans cette logique, lorsqu’on n’a pas assez de mention « j’aime », cela peut briser l’estime de soi et être un vecteur de dépression lié au mal-être. Cette forte envie des personnes, particulièrement des adolescents à rentrer dans les codes des réseaux sociaux, d’être une marchandise prisée crée une forme d’addiction, on parlera de l’anxiété provoquée par la peur de rater quelque chose plus connue sous le nom de FOMO (Fear Of Missing Out).
Beaucoup de personnes restent rivées sur leur smartphone pour compter leur nombre de « J’aime » sur leur photo, particulièrement sur Instagram. Il s’agit finalement d’une économie de l’attention où des individus sont valorisés selon leur quantité d’approbation virtuelle. Cette approbation des réseaux sociaux fait que la personne ne cherche plus à être elle-même mais à convenir. Le fait de compter pour exister provoque la disparition de notre authenticité. Pour être admis. e selon les conventions de la dictature du paraitre, d’aucuns sont prêts à se créer une réalité artificielle, imaginaire avec des filtres
Sur ces réseaux sociaux, les personnes ne publient que les temps forts de leur vie, et sans le recul, on les érige comme des standards de beauté, de bonheur, d’harmonie dans la vie et cela nous pousse facilement à nourrir des sentiments d’envie et d’insatisfaction.
Il est encourageant de voir que des mesures sont prises dans certains pays pour juguler les impacts des réseaux sociaux sur la santé mentale. Au Canada, la visibilité publique du nombre de mentions « j’aime » est éliminée sur Instagram pour diminuer cette pression mentale chez les utilisateurs. On pourrait aussi intégrer sur les réseaux sociaux des notifications indiquant le temps d’utilisation pour alerter les usagers. Ces mesures devraient être élargies au plus vite car les victimes ne font qu’augmenter et il y a plus de solitaires qu’on ne le pense.
Du réel au virtuel : la comédie sur les identités
Les réseaux sociaux sont devenus les substituts de plusieurs choses dans nos vies, où ils constituent une extension virtuelle de la vie là où nous ressentons un vide. Beaucoup de personnes ont tendance à aller sur les réseaux sociaux lorsqu’elles n’ont rien à faire ou lorsqu’elles s’ennuient. Le reflexe n’est plus de se trouver une activité mais de défiler sur le fil d’actualité de Snapchat, Facebook, Twitter ou Instagram.
Lorsqu’on se sent seul aussi, l’automatisme est de moins en moins d’aller voir des amis, se confier à une personne mais d’aller voir l’actualité d’autres personnes en ligne et de tomber dans la comparaison.
Dans ces mondes virtuels, on raconte souvent ce qu’on veut faire paraitre de soi, par conséquent on se crée nos bulles d’illusion, et parfois, on y va si loin qu’on se déconnecte de sa propre identité. Dans cette dynamique, la vie réelle ne semble plus colorée, elle est plutôt ennuyeuse, ce qui nous pousse à prendre le smartphone à chaque signal de notification et à toutes les occasions. On ne vit plus le moment pleinement, mais on s’empresse de prendre des photos ou des vidéos à poster. Pour qui ? Les autres.
Ce sur quoi on nous attend en tant qu’être humain est de pouvoir créer du lien avec l’autre, avoir de l’empathie, et surtout de rester authentique pour rester fidèle à note nature la plus humaine.
Maintenant, les personnes connectées ont tendance à « virtualiser » tout cela et de « chosifier » les rapports humains. Des émoticônes ne peuvent pas remplacer la chaleur humaine. Et si on va plus loin dans ce processus du « devenir-machine » de l’Homme pour emprunter les termes d’Achille Mbembe, la toute-puissante théophanie numérique créera tout sauf des « êtres humains ».
Source photo : Le 7tv
Pathé Dieye est chargé de recherche et de projet à WATHI. Il s’intéresse aux questions de conflits, paix et sécurité dans le Sahel et à la prospective. Titulaire d’un Master 2 en Science politique mention relations internationales, il est lauréat de la Dalberg Talent Academy et est champion de plaidoyer pour ONE Campaign en Afrique de l’Ouest. Il est blogueur et anime son site “Silence des rimes”. Il est aussi écrivain et son premier roman intitulé “J’ai écrit un roman, je ne sais pas de quoi ça parle…” est publié aux éditions L’harmattan en décembre 2020.
2 Commentaires. En écrire un nouveau
Très bel article, instructif ! A méditer…
Merci Patherson pour ce bel article.
C’est toujours un plaisir de te lire.