Auteurs : Leaders de l’Association pour la Promotion de l’Elevage au Sahel et en Savane (APESS)
Site de publication : Alimenterre
Type de publication : Note d’analyse
Date de publication : Avril 2020
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La crise sanitaire mondiale provoquée par le COVID-19 a amené plusieurs États ouest-africains à prendre des mesures précoces pour lutter contre la transmission de cette maladie. Ces mesures ne sont malheureusement pas sans impacts sur la vie des populations concernées.
Des mesures d’urgence prises par les États qui perturbent fortement le fonctionnement habituel des filières économiques agropastorales
Tous les pays d’Afrique de l’Ouest, à l’instar des pays des autres régions du monde, se sont repliés sur eux-mêmes en fermant leurs frontières à partir du mois de mars. En plus de cette fermeture des frontières, on assiste à une mise en quarantaine des régions entières et des grandes villes dans certains pays. Cette mise en quarantaine empêche ainsi la libre circulation des éleveurs d’une région à une autre ou d’une ville à une autre. Enfin, des pays ont également instauré l’État d’urgence, mis en place des interdictions de circulation d’une région à une autre et ont décrété des couvre-feux. Toutes ces mesures, qui visent à garantir la sécurité des personnes, ont aussi des impacts majeurs sur le fonctionnement des filières agropastorales et sur la dégradation des conditions d’existence des acteurs de ces filières, et en premier lieu les familles d’éleveurs.
Les impacts majeurs liés à la fermeture des marchés à bétail
Bien avant la survenue du COVID-19, les marchés à bétail avaient été perturbés par l’insécurité, notamment dans la zone du Liptako-Gourma dite des 3 frontières (Burkina – Niger – Mali) et dans le bassin du Lac Tchad. La pandémie est venue aggraver la situation. D’abord ce sont les marchés de collecte qui avaient déjà été éprouvés par l’insécurité qui ont connu les premiers impacts négatifs ; la mise en quarantaine de nombreuses villes, les couvre-feux décrétés dans de nombreux pays et les auto-confinements ont rendu plus que difficile l’approvisionnement des marchés par les éleveurs et autres collecteurs ambulants. Cette situation s’est traduite par une faible disponibilité du bétail sur les différents marchés. Aussi assistons à un paradoxe résultant de cette situation : d’une part le prix de vente par les éleveurs ont drastiquement baissé et, d’autre part, les prix de vente par les revendeurs ont beaucoup grimpé et par conséquent les coûts d’acquisition par les consommateurs aussi. Il faut souligner que dans la zone du Liptako-Gourma, la situation est dramatique à cause de l’insécurité qui y prévalait déjà, alors qu’il s’agit d’une zone d’élevage par excellence pour les gros et petits ruminants.
Effets sur la production agricole (céréales, légumes/fruits, fourrage)
Les manifestations de la crise du COVID-19 sur la production agricole sont de l’avis des membres diverses et variées. Elles concernent la production, la transformation et la commercialisation. On observe des bouleversements du calendrier agricole comme ce fut le cas au Bénin, au Niger et en Mauritanie où cette période correspond aux cultures de contre saison. Au Cameroun, on observe une baisse de la production, et une difficulté d’accès aux denrées de première nécessité. On a également noté au Sénégal des difficultés d’accès aux intrants agricoles et d’écoulement des produits. Au Togo on a observé une rareté des produits sur les marchés. Ces manifestations sont liées comme on le sait aux mesures politiques et sanitaires prises par les différents Etats allant de la fermeture des frontières terrestres, à la suspension du transport interurbain, à l’isolement ou mise en quarantaine de grands centres urbains fortement infectés, ainsi qu’au confinement généralisé dans les différents pays entrainant la réduction de la mobilité des populations en général et des éleveurs en particulier. Au niveau du Burkina Faso (notamment dans les hauts Bassins et les Cascades), on a remarqué le manque de semences de qualité pour les cultures fourragères, un amenuisement des stocks de proximité des céréales au niveau local, ainsi qu’un ralentissement de la cueillette des mangues pour cause de mévente. Le manque de semences fourragères de qualité a pour conséquence immédiate une utilisation de semences de qualité douteuse et une baisse prévisible de la production fourragère.
Effets sur la production laitière (disponibilité, collecte, transformation)
Tout comme au niveau de la production agricole, le COVID 19 et l’insécurité dans certains pays ont eu une influence sur la production laitière. Concernant le COVID 19, les manifestations perceptibles au niveau de la filière se traduisent entre autres par : i) la rareté du lait frais sur les marchés signalée par les membres au Tchad, en Mauritanie, au Mali, et au Togo, ii) le dysfonctionnement de la filière lait local au Bénin, au Niger, au Burkina Faso et au Sénégal, iii) un circuit de collecte presque inexistant (en Gambie, Guinée Bissau et au Cameroun), une réticence des consommateurs à acheter le lait de peur d’être contaminé (Mauritanie). Les éleveurs ont relevé la fermeture temporaire de certaines UTL1 (Mauritanie), et des bars laitiers dès 18 h au niveau du Cameroun. Enfin les membres ont relevé un manque d’aliments bétail sur les marchés pour stimuler la production, et aussi une hausse des charges de transport et de collecte.
La COVID 19 est venu mettre à mal cette filière. Ainsi on s’achemine avec toutes les mesures prises vers une baisse du pouvoir d’achat des acteurs notamment jeunes et femmes très impliquées dans cette filière de valorisation du lait local. Cette baisse de revenu observée à la fois chez les éleveurs (qui ne peuvent plus bien produire et vendre leur lait) et les UTL a entrainé une mise au chômage de nombreux acteurs intervenant dans la filière.
Effets sur la production de viande
Tout comme la production agricole et laitière, la Pandémie du COVID 19 et le contexte général d’insécurité ont eu des effets sur la production, et la commercialisation de la viande. Il a été relevé entre autres les situations suivantes i) une fermeture des marchés hebdomadaires (Sénégal, Tchad, Gambie, Burkina Faso), ii) une rareté des animaux sur les marchés ouverts (Togo, Niger, Cameroun, Bénin) iii) une rareté de la viande au niveau des comptoirs des bouchers (Cameroun), iii) une hausse des prix de vente des animaux (Tchad, Mali) et iv) le vol de bétail (Nigéria). Par ailleurs les animaux qui se retrouvent sur le marché sont souvent très amaigris et ont perdu leur embonpoint (Burkina Faso). Enfin les grands acheteurs venant de l’extérieur ne peuvent plus venir du fait de la fermeture des frontières comme évoqué par les membres en Mauritanie.
Concernant la hausse des prix de vente des animaux, au Togo dans le marché de Mango, le prix d’un taurillon de 3 ans est passé de 175 000 FCFA avant le COVID 19 à 225 000 FCFA aujourd’hui. Il a été observé au Sénégal une sorte de bradage des animaux et une forte décapitalisation des troupeaux.
Effets sur la gestion des ressources naturelles (pâturage, accès à l’eau)
Aujourd’hui suite aux difficultés liées aux déplacements, on constate une pression énorme sur les ressources agropastorales au Cameroun, en Gambie, en Mauritanie et au Burkina. Au Sénégal, les exploitations sont confrontées à des difficultés liées à des zones de pâturages limités et des pistes d’abreuvement obstruées par les champs. Tandis qu’au Niger, l’on note des difficultés d’accès à ces ressources. On relève également une affluence au niveau des points d’eau notamment des forages aménagés dans tous les pays. Les mesures prises par les autorités compliquent l’accès à l’eau potable pour les familles ainsi qu’à l’eau d’abreuvement pour les animaux. En effet, avec l’augmentation des distances à parcourir pour atteindre les pâturages et l’eau, le problème de l’accès à l’eau s’amplifie au Benin, au Cameroun et au Sénégal ; le pâturage naturel subit une pression sans précédent dans presque tous les pays. Dans certaines régions ou la pluviométrie n’est pas bonne, les familles peinent à trouver des tapis herbacés pour nourrir les animaux et dans le même temps faute de moyens, l’accès à l’aliment bétail est devenu très difficiles. Ces difficultés vont sans couter entrainer une baisse de la production et en conséquence de l’approvisionnement sur le marché dans les mois à venir.
Par ailleurs, on note une recrudescence des conflits agriculteurs éleveurs au Benin et au Burkina. Dans le moyen et le long terme, l’aggravement des conflits intercommunautaires et la fragilisation de la cohésion sociale dans les pays tel que le Burkina, le Niger, la Mauritanie, le Bénin sont à prévoir
Ce qui occasionnera une très probablement une pénurie des produits agropastoraux pour les consommateurs dans les mois à venir. Par ailleurs, on note une recrudescence des conflits agriculteurs éleveurs au Benin et au Burkina. Dans le moyen et le long terme, l’aggravement des conflits intercommunautaires et la fragilisation de la cohésion sociale dans les pays tel que le Burkina, le Niger, la Mauritanie, le Bénin sont à prévoir. Une des conséquences probable sera la disparition ou la diminution du cheptel chez les agropasteurs. L’épuisement des réserves fourragères et le manque de moyens pour l’achat d’aliment bétail vont entrainer l’amaigrissement des animaux et la prolifération des maladies animales concourant à leur perte ou la disparition du noyau reproducteur de certaines exploitations après épuisement des réserves fourragères.
Recommandations aux partenaires techniques et financiers
-La réorientation et l’adaptation des projets et programmes en cours d’exécution au contexte du COVID 19 ;
-L’élaboration de nouveaux projets/ programmes pour accompagner et renforcer l’adaptation des éleveurs et des acteurs des filières agropastorales aux effets néfastes du COVID-19 ;
-La constitution au niveau des États d’un Fonds d’urgence pour la relance de l’élevage afin de fournir un appui matériel aux éleveurs pour reconstituer leur troupeau et reprendre l’élevage, de mettre en place un dispositif de stockage et de distribution d’aliments pour les hommes et les animaux. Ce Fonds d’urgence permettra aussi de de venir en aide aux éleveurs déplacés en situation de vulnérabilité face à la maladie.
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