Dans le cadre du débat sur la prise en charge du handicap en Afrique de l’Ouest, WATHI a rencontré Babacar Mbaye (le directeur) et Édouard Thomas Diémé (le secrétaire général) de l’Association des personnes handicapées de la Médina, à Dakar. Dans cet entretien croisé, ils parlent des obstacles que les personnes en situation de handicap rencontrent dans le domaine de la santé, de l’éducation, de l’accès à l’emploi et de la vie associative.
Quelle est la perception vis-à-vis des personnes en situation de handicap?
Monsieur Mbaye : Il y a des personnes qui ne font pas la différence entre une personne en situation de handicap et une personne dite “valide”. Cependant, il y a une perception négative, celle qui consiste à penser que toutes les personnes en situation de handicap sont des mendiants etc.
Monsieur Diémé : Au Sénégal, les personnes en situation de handicap sont intégrées dans les familles. Elles sont considérées comme des personnes à part entière. C’est l’environnement qui est problématique mais sur le plan social elles sont intégrées. La question de l’inclusion économique et financière reste un des problèmes majeurs pour les personnes en situation de handicap. Sur le plan de la perception du handicap par les populations, elle n’est pas complètement négative ; c’est plutôt le regard que les personnes en situation de handicap portent sur elles-mêmes qui fait défaut. En général, je peux conclure que la perception de la population sénégalaise vis-à-vis des personnes en situation de handicap est bonne.
Selon un rapport de l’UNICEF publié en 2017, plus de 66% des enfants vivant avec un handicap au Sénégal se trouvent en dehors du système éducatif. Pourriez-vous identifier les causes de cette situation?
Monsieur Diémé : Effectivement, c’est une réalité. Les infrastructures scolaires ne sont pas adaptées et même les enseignants ne sont pas prêts à recevoir des personnes en situation de handicap. Ceux qui poursuivent des études supérieures le font avec beaucoup d’efforts physiques et le soutien de la famille. Je prends mon exemple : j’ai fait presque tout mon processus scolaire au niveau de l’enseignement privé catholique. Cet établissement prenait en compte mon handicap. C’est à l’université que ma situation est devenue plus difficile, puis que les édifices n’étaient pas adaptés à mes besoins.
Au Sénégal, les personnes en situation de handicap sont intégrées dans les familles. Elles sont considérées comme des personnes à part entière
Globalement, dans les infrastructures scolaires, la situation des élèves en situation de handicap n’est pas prise en compte. Si nous prenons l’exemple du centre Talibou Dabo, une institution publique d’éducation et de réadaptation pour enfants handicapés physiques située à Grand Yoff à Dakar, le transport des élèves en situation de handicap pose des problèmes. Au-delà de la question du transport, les maîtres éprouvent des difficultés à encadrer à la fois des enfants dits « valides » et des enfants victimes d’handicap moteur au niveau du préscolaire. La formation des enseignants devrait inclure dans le curriculum l’encadrement des enfants en situation de handicap.
La loi d’orientation sociale relative à la promotion et à la protection des droits des personnes handicapées de 2010 prévoit que les enfants doivent avoir une éducation. Même au niveau du ministère de l’Éducation, il y a une division chargée de l’éducation inclusive. Mais est-ce que les moyens sont mis à disposition pour faciliter l’accès à l’éducation des enfants vivant avec un handicap ? Cela pose un réel problème, il y a un manque de volonté politique.
Nous voyons beaucoup de personnes en situation de handicap avoir recours à la mendicité. Les personnes vivant avec un handicap reçoivent-elles des financements?
Monsieur Mbaye : Non, pas encore. La loi d’orientation sociale prévoit un fonds pour aider les personnes en situation de handicap, les récupérer des rues et leur proposer des activités génératrices de revenus. Malheureusement, le décret d’application de ladite loi n’a pas encore été signé.
Monsieur Diémé : Comme vous l’avez dit, 66 % des enfants en situation de handicap ne sont pas scolarisés. Sans une bonne éducation, une personne ne peut pas avoir un métier et des revenus. L’aspect le plus dramatique est que certains perçoivent les enfants en situation de handicap comme une source de revenus pour la famille en les forçant à mendier. Ce phénomène a pour conséquence l’accroissement de la pauvreté.
La formation des enseignants devrait inclure dans le curriculum l’encadrement des enfants en situation de handicap
L’application de la loi d’orientation sociale tarde à être effective. Le Sénégal est signataire de la Convention internationale relative aux Droits des personnes handicapées. Une loi interne a été votée, il s’agit de la loi dite d’orientation sociale relative à la promotion et protection des personnes en situation de handicap. Tout est prévu dans cette loi. Il est même prévu la création d’un fonds pour lutter contre la mendicité des personnes vivant avec un handicap. Cependant, toutes ces ressources ne sont pas encore mises à disposition. Le décret d’application tarde à être signé. Concernant l’autonomisation des personnes en situation de handicap, s’il n’y a pas de fonds pour permettre la mise en place d’activités génératrices de revenus ou des formations, certaines personnes s’adonneront irrémédiablement à la mendicité pour pouvoir survivre.
Avez-vous noté une évolution dans le cadre de l’accès des personnes en situation de handicap au marché du travail?
Monsieur Diémé : Le président Macky Sall est en train de faire un très bon travail. Mais est-ce que la volonté du Président est au même niveau que celle de ceux qui sont chargés de l’exécution du décret ? Dans les différents conseils de ministres, il y a des appels à l’inclusion et la prise en charge des personnes en situation de handicap. Finalement, des directives sont données. Le problème, c’est que ces directives ne sont pas suivies d’effet, même si le président Macky Sall a une vraie volonté de prendre en compte les personnes ayant un handicap.
Il y a certains qui adhérent à cette volonté politique, comme par exemple la société nationale de transport « Dakar Dem Dikk » qui emploie des personnes en situation de handicap. Il y a certaines sociétés qui, dans le cadre de la responsabilité sociétale des entreprises (RSE), embauchent les personnes en situation de handicap. Actuellement, il y a eu un Conseil interministériel et des mesures ont été prises. On pousse pour que le décret d’application soit signé et que la loi d’orientation soit appliquée.
Malgré l’existence de la carte d’égalité des chances, la situation des personnes en situation de handicap est loin d’être satisfaisante. Comment amélioreriez-vous le fonctionnement de cet instrument?
Monsieur Diémé : La carte d’égalité des chances est une sorte de carte d’identité pour les personnes ayant un handicap. Ladite carte permet au propriétaire d’accéder aux services sociaux de base. Le fait que le décret d’application de la loi d’orientation sociale ne soit pas encore signé empêche la carte d’égalité des chances d’être applicable aussi. Par exemple, lorsqu’une personne ayant un handicap veut aller se soigner, le centre de santé en question pourrait ne pas accepter la carte d’égalité des chances, en empêchant la personne d’accéder aux services sanitaires. Il faut prendre des mesures administratives pour que la carte soit effective.
Monsieur Mbaye : La question de la prise en charge des personnes en situation de handicap est transversale ; tous les ministères et toutes les agences doivent collaborer pour avoir des résultats. C’est pour cette raison que nous avons résumé tous les problèmes des handicapés en une loi, celle d’orientation sociale. Quand le décret d’application de la loi d’orientation sociale sera signé, tous les problèmes auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap seront résolus.
Quels sont les obstacles que les personnes en situation de handicap rencontrent dans l’accès aux services de santé?
Monsieur Mbaye : Les principaux obstacles sont la question de l’accessibilité dans les édifices et la prise en charge des personnes en situation de handicap par la Couverture maladie universelle (CMU). La signature du décret d’application de la loi d’orientation sociale permettrait aux hôpitaux publics comme privés, de prendre en charge les personnes ayant un handicap sur le plan de l’accessibilité, l’accueil, l’hospitalisation, etc. Pour cela, ledit décret d’application doit être signé le plus rapidement possible.
Quel est votre objectif en tant qu’association de personnes vivant avec un handicap?
Monsieur Diémé : Notre but est de défendre les intérêts de nos membres et faire du plaidoyer, du lobbying en faveur des personnes en situation de handicap au Sénégal. À travers nos contacts, nous essayons d’influencer l’agenda politique pour mettre sur la table la question de la signature du décret d’application de la loi d’orientation sociale. Notre recommandation principale aux décideurs est l’application effective de la loi d’orientation sociale. Nous serons vraiment heureux de voir son application.
Quand le décret d’application de la loi d’orientation sociale sera signé, tous les problèmes auxquels sont confrontées les personnes en situation de handicap seront résolus
Les obstacles pour les associations de personnes handicapées sont nombreux. Nous n’avons pas de subventions. C’est à travers nos relations et nos contacts que nous essayons de gérer les dépenses de fonctionnement de l’association. Nous avons qu’un seul ordinateur qui est en panne depuis 3 jours ; nous manquons d’imprimante, d’encre et nous n’avons pas accès à Internet. Par ailleurs, la majorité de nos membres sont des nécessiteux; quand ils ont des problèmes d’accès aux services sociaux de base, ils font appel à notre association.
Crédit photo : Marta Driessen