Auteur : Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant
Organisation affiliée : Union Africaine
Type de publication : Rapport d’observation
Date de publication : 2014
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Le Comité Africain d’Experts sur les Droits et le Bien-être de l’Enfant a été créé avec mission de promouvoir et protéger les droits consacrés dans la Charte Africaine des Droits et du Bien-être de l’Enfant (la Charte Africaine). En particulier, conformément à l’article 42 al. a (ii), le Comité est chargé d’élaborer et de formuler des principes et des règles visant à protéger les droits et le bien-être de l’enfant en Afrique.
La procédure de soumission des rapports prévue à l’article 43 de la Charte fournit un cadre de dialogue entre le Comité et les États parties à travers l’examen de leurs rapports et la formulation de recommandations visant l’amélioration de la mise en œuvre des droits de l’enfant lorsque il est jugé que le niveau désirable de mise en application n’a pas été atteint.
On estime que 20 millions d’enfants en Afrique sub-saharienne n’ont pas de certificat de naissance.
Le droit d’être enregistré à la naissance constitue l’un de ces droits que les États parties semblent ne pas mettre en œuvre pleinement. Dans ses observations et recommandations aux États parties qui ont déjà soumis au moins un rapport, le Comité a toujours exprimé sa préoccupation du fait du faible taux d’enregistrement des naissances. Chaque année, des millions d’enfants ne sont pas enregistrés.
On estime que 20 millions d’enfants en Afrique sub-saharienne n’ont pas de certificat de naissance. Un certain nombre de facteurs expliquent cet état de choses, notamment la pauvreté, le manque d’éducation, la discrimination à l’égard des femmes, l’appartenance à certains groupes ethniques autochtones ou à des groupes sociaux vulnérables comme les réfugiés ou migrants. A cela s’ajoute le manque de systèmes d’état civil décentralisés, efficaces, bien gérés et abordables.
En conséquence, les enfants deviennent plus vulnérables à toutes sortes d’abus tels que le recrutement dans les forces armées, l’exploitation sexuelle, le travail des enfants, la traite des personnes, le mariage précoce, l’exhérédation, etc. Sans acte de naissance, il est difficile d’établir la filiation d’un enfant et ses liens avec le territoire sur lequel il est né. Cela place l’enfant dans une situation précaire lorsqu’il s’agit de faire une demande de nationalité, et cela l’expose au risque de devenir apatride.
Le droit d’être enregistré à la naissance constitue l’un de ces droits que les États parties semblent ne pas mettre en œuvre pleinement
Il existe des centaines de milliers de personnes vivant en Afrique qui sont apatrides, et beaucoup plus dont la nationalité est incertaine ou litigieuse. Les raisons de cette situation peuvent être trouvées dans l’histoire de l’Afrique, la création arbitraire des frontières des États africains, les problèmes liés à la transition de l’ère coloniale à l’indépendance, les créations plus récentes des États ou les transferts de territoire, dans les migrations tant historiques que contemporaines, ainsi que dans les failles des lois sur la nationalité, et de leur mise en œuvre.
Tous les États africains ont des dispositions constitutionnelles ou législatives prévoyant l’octroi de leur nationalité. Cependant, ces lois ne reflètent souvent pas les engagements des États visant à éviter l’apatridie, lesquels sont prévus aux articles 6 al. 3 et 6 al. 4 de la Charte africaine des enfants. En outre, de nombreuses lois africaines sur la nationalité sont en conflit avec les principes fondamentaux consacrés dans la Charte africaine et d’autres traités relatifs aux droits de l’homme.
Environ une douzaine de pays africains en particulier, prévoient une discrimination entre hommes et femmes, en ce qui concerne le droit de transmettre leur nationalité à leurs enfants. Un nombre plus faible d’États africains ont des lois contenant des dispositions explicitement discriminatoires sur la base de la race, de la religion, de l’origine ethnique ou nationale en ce qui est du droit de l’enfant à une nationalité dès sa naissance.
Un grand nombre d’États ont adopté des lois stipulant que la citoyenneté ne sera transmise à la naissance que par voie de filiation, ne prévoyant aucun droit aux enfants nés sur le territoire de l’État, même s’ils résident toujours sur le territoire à l’âge de la majorité, et même si leurs parents et grands-parents sont également nés sur le territoire de l’État concerné. Un tel système basé essentiellement sur la filiation rend un nombre important d’enfants vulnérables au risque d’apatridie.
Au niveau pratique, le plus grand obstacle à la réalisation effective du droit à une nationalité en Afrique est le manque de systèmes d’état civil fonctionnels et universels. Dans l’absence de preuve des circonstances de la naissance d’un enfant – à la fois la filiation et le lieu de naissance de l’enfant il est très difficile de s’assurer que l’enfant obtienne la reconnaissance de sa nationalité, que ce soit celle de ses parents, ou de l’État sur le territoire duquel il est né.
En dépit de son intitulé (Nom et nationalité), l’article 6 reconnaît trois droits interdépendants, à savoir le droit à un nom (article 6 al. 1), le droit d’être enregistré à la naissance (article 6 al. 2) et le droit à une nationalité (article 6 al. 3). Il prévoit également les obligations de l’État concernant la mise en œuvre du droit à une nationalité (article 6 al. 4). La présente Observation générale a pour but de définir le sens et la portée de ces droits, et d’expliquer les obligations correspondantes des États parties à la Charte africaine, en vue de leur mise en œuvre.
Il existe des centaines de milliers de personnes vivant en Afrique qui sont apatrides, et beaucoup plus dont la nationalité est incertaine ou litigieuse
Comme les autres droits des enfants, le droit à un nom, les droits d’être enregistré à la naissance et d’acquérir une nationalité ne peuvent pas être pleinement mis en œuvre que si les principes fondamentaux des droits de l’enfant sont soigneusement observés. La mise en œuvre de ces droits requiert la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, des principes de non-discrimination, de sa survie, de son développement, de sa protection ainsi que de sa participation. La mise en œuvre de l’article 6 dépend également de la bonne compréhension du principe de l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’enfant en général, et de l’interdépendance et l’indivisibilité des trois droits prévus à l’article 6 en particulier.
La Charte africaine dispose en son article 4 al. 1 que «dans toute action concernant un enfant, entreprise par une quelconque personne ou autorité, l’intérêt de supérieur l’enfant sera la considération primordiale.» Le Comité est d’avis que l’attribution et le changement de nom, ainsi que la réglementation correspondante doivent toujours être conformes à l’intérêt supérieur de l’enfant. Les pratiques d’attribution de noms qui ne sont pas propices à l’intérêt supérieur de l’enfant doivent être évitées. Toutes les lois, les politiques et les programmes liés à l’amélioration du système d’enregistrement des naissances, ainsi que l’acquisition d’une nationalité doivent également être en conformité avec l’intérêt supérieur de l’enfant.
La non-discrimination dans le cadre du droit à un nom, du droit d’être enregistré à la naissance et du droit d’acquérir une nationalité signifie qu’aucun enfant ne devrait être privé de son droit à un nom, qu’aucune naissance d’un enfant ne devrait échapper à l’enregistrement quelque soit la race, l’ethnie, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou autre, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance, ou toute autre situation de ses parents ou tuteurs et qu’aucun de ces motifs ne devrait justifier la privation d’un enfant de son droit d’acquérir une nationalité, conformément à l’article 6 de la Charte africaine.
Le Comité souligne le fait que la discrimination fondée sur quelque motif que ce soit met en péril le principe de l’universalité de l’enregistrement des naissances. Ainsi, la discrimination sur la base de la situation matrimoniale des parents de l’enfant ou sur la base du genre ne devrait pas empêcher l’enfant de porter le nom de son père et/ou de sa mère. Le statut de l’enfant ayant fait l’objet d’une adoption et d’autres informations potentiellement discriminatoires ne devraient apparaître sur aucun certificat délivré, en dépit du fait qu’ils aient pu être enregistrés dans les bases de données du registre d’état civil.
Les droits de l’enfant à la survie, au développement et à la protection exigent qu’il bénéficie de mesures spéciales de protection dès sa plus tendre enfance. Les droits en question sont essentiels à l’établissement de l’identité d’un enfant. Le Comité estime que l’identité de l’enfant constitue l’un des piliers pour assurer sa survie, son développement et sa protection.
Par exemple, des informations complètes sur les naissances permettent aux gouvernements de planifier pour la vaccination, la prévention des maladies infantiles précoces telles que le paludisme, la prévention néonatale du VIH, et d’autres maladies contagieuses, ce qui contribue à la réduction de la mortalité infantile. Pour que les gouvernements soient en mesure de planifier avec précision pour la santé des nourrissons et des enfants, l’éducation préscolaire, les subventions sociales, le cas échéant, et pour le matériel et autres formes de soutien aux parents, dans l’exercice de leurs responsabilités parentales, ils ont besoin de statistiques précises et complètes sur les naissances.
La preuve d’identité à travers le système d’enregistrement des naissances peut également contribuer à la prévention et la protection contre les pratiques néfastes qui menacent particulièrement les enfants dont l’identité ne peut être établie comme les enfants abandonnés, les enfants perdus (et trouvés), les enfants séparés de leurs parents et les enfants apatrides. Des pratiques telles que la traite des enfants, l’exploitation sexuelle, le mariage précoce, l’adoption illégale, l’enrôlement des enfants dans les forces armées, sont également moins susceptibles de se produire, et plus faciles à éviter, lorsque des systèmes d’enregistrement des naissances efficaces sont en place.
La mise en œuvre de l’article 6 dépend également de la bonne compréhension du principe de l’interdépendance et l’indivisibilité des droits de l’enfant en général, et de l’interdépendance et l’indivisibilité des trois droits prévus à l’article 6 en particulier
Dans les situations où les parents d’un enfant sont de différentes nationalités, le Comité recommande que l’enfant ait le droit d’avoir les deux nationalités au moins jusqu’à l’âge de la majorité. Dans les pays où la double nationalité des adultes n’est pas autorisée, un délai réglementaire pourra ainsi être accordé à l’enfant après sa majorité, pendant lequel il pourra choisir la nationalité à conserver. Dans ce cas, les États devront prendre toutes les mesures appropriées pour informer les enfants qu’ils ont atteint leur majorité et qu’ils devront faire un tel choix. Ils devront également les informer des procédures correspondantes.
Le Comité est d’avis que les droits à un nom, à l’enregistrement de la naissance et le droit d’acquérir une nationalité ensemble constituent les piliers de l’identité d’une personne. À la naissance, l’acquisition de la nationalité conformément à la loi se produit généralement automatiquement sur la base soit de la filiation, soit de la naissance sur un territoire, ou une combinaison des deux; plus tard, la filiation et le lieu de naissance peuvent également, pour l’enfant ou à l’âge de la majorité, être la base de l’acquisition de la nationalité.
L’enregistrement des naissances établit le lieu de naissance et la filiation, qui, en termes juridiques constituent la preuve de l’acquisition de la nationalité des parents, ou la nationalité de l’État sur le territoire duquel l’enfant est né. Même si l’enregistrement des naissances en soi ne n’attribue généralement pas une nationalité aux enfants, il n’en est pas moins une forme clé de la preuve du lien entre l’enfant et un État. Il permet ainsi de s’assurer que chaque enfant acquiert une nationalité et de prévenir l’apatridie.
Le Comité estime que les droits des enfants contenus dans la Charte sont interdépendants, indivisibles et se renforcent mutuellement. Ci-après sont cités des exemples de la façon dont l’article 6 ou certaines de ses dispositions interagissent avec un certain nombre d’autres droits contenus dans la Charte. La présente observation générale rappelle que le droit d’être enregistré à la naissance joue un rôle important dans la réalisation des autres droits de l’enfant.
Être enregistré à la naissance est pour un enfant d’une importance primordiale pour sa jouissance de protections garanties par les principes reconnus de la justice des mineurs. C’est l’âge de l’enfant qui détermine s’il est pénalement responsable ou non ; l’acte de naissance est la preuve écrite primordiale établissant que l’enfant a atteint l’âge minimum de la responsabilité pénale. S’il est reconnu pénalement responsable, une preuve d’âge permettra de toujours de veiller à ce que la procédure pénale soit effectuée dans son intérêt supérieur et avec les protections nécessaires.
Le Comité définit les pratiques négatives comme comprenant toutes les pratiques qui mettent en péril la vie de l’enfant, portent atteinte à sa dignité ou sont préjudiciables à sa santé, à son intégrité physique ou mentale, ou à sa croissance et son développement indépendamment de ce qu’elles soient tolérées ou pas par la société, la culture, la religion ou la tradition. Des exemples de pratiques négatives courantes en Afrique comprennent les la traite des enfants, l’exploitation sexuelle, le mariage précoce, l’adoption illicite, le travail des enfants, l’enrôlement des enfants dans les forces armées, etc.
Le Comité est convaincu qu’un système d’enregistrement des naissances universel et fonctionnel accroît la visibilité des enfants les plus défavorisés et renforce leur protection contre les pratiques négatives. Par contre, un système d’enregistrement des naissances fonctionnant mal rend difficile la poursuite des auteurs de pratiques négatives à l’encontre des enfants, puisque la probabilité de la mise en œuvre des lois interdisant ces pratiques devient faible.
L’enregistrement des naissances est une condition préalable à la délivrance d’un acte de naissance à un enfant. Le Comité est conscient du fait qu’il existe encore de nombreux pays en Afrique qui exigent un acte de naissance pour inscrire les enfants à l’école, ou pour que des enfants inscrits puissent être admis à passer des examens (nationaux).
Dans ces pays, le droit à l’éducation devient celui des enfants dont la naissance a été enregistrée, en excluant les non-enregistrés. Un enfant dont la naissance n’est pas enregistrée et qui ne va pas à l’école, perd non seulement son potentiel pour l’avenir, mais devient également plus vulnérable à d’autres violations de ses droits. Il / elle devient une cible facile pour les trafiquants d’enfants, le travail des enfants, le mariage précoce, l’adoption illégale, l’exploitation sexuelle et d’autres pratiques négatives.
A cet égard, lorsque l’enfant n’a pas été enregistré à la naissance et qu’il a atteint l’âge de la scolarité, les États parties devront prendre toutes les mesures appropriées pour l’enregistrer, lui délivrer un acte de naissance et l’inscrire à l’école. L’enregistrement de la naissance devra être effectué dès que le non enregistrement devient évident, pour ne pas qu’il devienne un obstacle à l’accès à d’autres droits de l’enfant.
À la naissance, l’acquisition de la nationalité conformément à la loi se produit généralement automatiquement sur la base soit de la filiation, soit de la naissance sur un territoire, ou une combinaison des deux; plus tard, la filiation et le lieu de naissance peuvent également, pour l’enfant ou à l’âge de la majorité, être la base de l’acquisition de la nationalité
Le Comité observe que l’enregistrement des naissances est essentiel non seulement pour établir l’identité et la filiation d’un enfant, mais aussi pour préserver son identité contre les modifications illégales, telles que les changements de nom ou la falsification des liens familiaux, lesquels sont plus faciles à effectuer lorsque l’enfant n’est pas enregistré et manque donc de preuve d’identité. Le Comité observe que les trafiquants d’enfants utilisent souvent cette stratégie pour acheter et vendre des enfants pour toutes sortes de pratiques négatives, ainsi que pour l’adoption internationale illégale. Le Comité est d’avis que la mise en place d’un système d’enregistrement des naissances renforcé, intégré et universel s’inscrit dans le cadre des mesures de lutte contre la pratique d’adoption internationale illégale.
Le Comité tient à souligner l’importance d’un système fonctionnel d’enregistrement des faits d’état civil pour la protection des droits à l’héritage des enfants, dont les orphelins ; c’est à dire un système d’enregistrement des faits d’état civil qui enregistre systématiquement et garantit l’accès à tous les actes d’état civil, y compris les naissances, les décès, les mariages, les changements de noms, et la filiation. Pour le cas spécifique du droit d’hériter des biens des parents, une preuve d’âge et de lien de filiation ne sera pas suffisante. La preuve du décès (des parents) et, dans certains cas, la preuve du mariage des parents (par exemple dans les cas de propriétés en communauté de biens) sera également nécessaire.
L’enregistrement des naissances est un droit fondamental de l’enfant. L’enregistrement des naissances constitue un acte de constat de la naissance d’un enfant par une autorité administrative. Il établit l’existence juridique d’un enfant, et jette les bases de la reconnaissance de l’enfant comme une personne juridique. Un enfant qui n’est pas enregistré n’a pas d’existence juridique et court ainsi un grand risque de se trouver hors de la portée des actions gouvernementales visant la protection et la réalisation des droits de l’enfant.
Le Comité note que l’enregistrement des naissances est souvent considéré comme une simple formalité bureaucratique et administrative. Le Comité, à travers cette Observation générale souhaite attirer l’attention des États parties sur l’importance d’adopter une approche fondée sur les droits de l’enfant / l’homme en matière d’enregistrement des naissances. L’enregistrement des naissances marque l’existence juridique d’un enfant et engendre un important potentiel pour l’enfant de jouir immédiatement d’autres droits, dès sa plus petite enfance.
En dehors de l’existence juridique qui fournit à l’enfant la possibilité d’avoir accès aux services de santé immédiatement disponibles, à la sécurité sociale, aux services sociaux et d’éducation, l’enregistrement d’un enfant constitue une preuve de son âge contre divers abus potentiels tels que le trafic, les abus sexuels, les mariages précoces, le travail des enfants et l’enrôlement dans les forces armées.
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