Organisation: Commission africaine des Droits de l’Homme et des peuples
Type de publication : Observations générales
Date de publication : 06 novembre 2012
Lien vers le document original
Les Observations générales sont utilisées par les organes de traités des droits de l’homme pour interpréter les dispositions des instruments juridiques internationaux pertinents en vue d’assister les États dans la mise en œuvre de leurs obligations qui ressortent desdits instruments. La compétence de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples (la Commission africaine) d’adopter les observations générales découle des dispositions de l’article 45 (1) (b) de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (la Charte Africaine).
En effet, cet article autorise la Commission africaine à « formuler et à élaborer des règles et des principes qui permettent de résoudre les problèmes juridiques relatifs à la jouissance des droits de l’homme et des peuples». En tant qu’instrument juridique complémentaire à la Charte Africaine, le Protocole à la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples relatif aux droits de la Femme en Afrique (le Protocole) s’inscrit nécessairement dans le domaine d’interprétation de la Commission africaine.
Le Protocole a été adopté par l’Union africaine en 2003 et est entré en vigueur en 2005. Il complète les dispositions de la Charte Africaine en renforçant la protection des droits de la Femme en Afrique, y compris par l’inclusion explicite des droits à la santé sexuelle et reproductive. Aux fins du Protocole, le terme « femme » inclut la jeune fille.
Selon les statistiques disponibles, les femmes en Afrique subsaharienne sont exposées de manière disproportionnée au risque d’infection au VIH. Les statistiques les plus récentes indiquent que 59% des personnes vivant avec le VIH dans cette région sont des femmes. En Afrique subsaharienne, les femmes âgées de 15 à 24 ans sont huit fois plus susceptibles de vivre avec le VIH que les hommes de la même tranche d’âge. En raison de la vulnérabilité des femmes au VIH ainsi que la persistance des violations de leurs droits en Afrique, la Commission africaine reconnaît que les inégalités entre les sexes, les déséquilibres de pouvoir et la domination de l’homme doivent être éliminés afin de permettre aux femmes d’exercer et de jouir du droit de ne pas subir la violence, les abus, la contrainte et la discrimination.
Selon la Commission africaine, il existe de multiples formes de discrimination basées sur divers fondements tels que la race, le sexe, la sexualité, l’orientation sexuelle, l’âge, la grossesse, le statut matrimonial, le statut sérologique, le statut économique et social, le handicap, les pratiques traditionnelles néfastes et/ou la religion. La Commission Africaine considère que ces formes de discrimination combinées ou non, empêchent les femmes de jouir de leur droit de se protéger et d’être protégées.
La Commission africaine réaffirme le droit de toutes les femmes africaines de jouir du meilleur état de santé possible, ce qui inclut les droits à la santé sexuelle et reproductive. Dans un contexte de haute prévalence et de risque significatif d’exposition et de contamination au VIH, les femmes ne peuvent pleinement jouir desdits droits. En effet, les atteintes aux droits des femmes augmentent le risque d’exposition et de transmission du VIH. Ces atteintes sont plus graves pour les femmes vivant avec le VIH dont la jouissance des droits est limitée ou déniée en raison des discriminations liées au VIH, à la stigmatisation, aux préjugés et aux pratiques traditionnelles néfastes.
En raison de la vulnérabilité des femmes au VIH ainsi que la persistance des violations de leurs droits en Afrique, la Commission africaine reconnaît que les inégalités entre les sexes, les déséquilibres de pouvoir et la domination de l’homme doivent être éliminés afin de permettre aux femmes d’exercer et de jouir du droit de ne pas subir la violence, les abus, la contrainte et la discrimination
Abordant la question du VIH pour la première fois dans un instrument juridique international ayant force obligatoire, l’article 14 (1) (d) et (e) du Protocole traite spécifiquement du VIH. La Commission africaine se satisfait de la mention explicite au VIH, mais relève cependant que les dispositions relatives à cette question sont incomplètes. En outre, le contenu des instruments internationaux dont il est fait référence n’est pas explicite. Il est donc nécessaire d’adopter ces Observations Générales afin d’aider les États dans l’adoption de mesures appropriées leur permettant de poser des actes conformes aux dispositions du Protocole.
Bien que ces Observations Générales s’articulent principalement autour de l’article 14 (1) (d) et (e), cet article ne doit pas être lu et interprété indépendamment des autres dispositions du Protocole traitant des aspects relatifs aux droits des femmes tels que l’inégalité entre les sexes, les violences fondées sur le genre, les pratiques traditionnelles néfastes et l’accès aux droits économiques et sociaux.
De plus, même si l’article 14 (1) (d) et (e) du Protocole est relatif aux infections sexuellement transmissibles, l’on doit relever que l’accent mis sur le VIH dans ce document est lié aux conséquences graves du VIH sur la santé des femmes en Afrique. Les principes directeurs présentés ici sont également applicables aux autres maladies sexuellement transmissibles.
Article 14 (1) (d) : Le droit de se protéger et d’être protégées du VIH et des infections sexuellement transmissibles
Bien que le Protocole sur le droit des femmes opère une distinction entre le droit de se protéger et celui d’être protégées des infections sexuellement transmissibles aux termes de l’article 14 (1) (d), cette disposition doit être entendue comme rappelant l’obligation générale de l’État de créer un environnement juridique et social favorable permettant aux femmes d’être en situation de réaliser librement et pleinement leur droit de se protéger et d’être protégées.
Le droit de se protéger et d’être protégées inclut le droit des femmes d’avoir accès à l’information et à l’éducation et aux services de santé sexuelle et reproductive. Le droit de se protéger et d’être protégées est également intrinsèquement lié à d’autres droits de la femme à savoir le droit à l’égalité, à la non-discrimination, à la vie, à la dignité, à la santé, au libre choix, à la vie privée ainsi que le droit d’être protégées contre toutes les formes de violence, d’autant plus que les violations de ces droits ont un impact sur la capacité des femmes à exercer et à réaliser leurs droits.
Article 14 (1) (e) : Le droit d’être informées de son état de santé et de l’état de santé de son partenaire
L’article 14 (1) (e) inclut dans le droit à la santé sexuelle et reproductive le droit d’être informée de son état de santé et de l’état de santé de son partenaire. La santé est un état de bien-être complet, physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité.
Le droit d’être informées de son état de santé comprend le droit pour les femmes d’avoir accès à des informations complètes, non-discriminatoires et fiables sur leur santé. Ceci implique également l’accès aux procédures, technologies et services nécessaires à l’évaluation de leur état de santé. Dans le cas du VIH, ce droit comprend entre autres : l’accès au test de dépistage du VIH, au calcul du taux de CD4, à la charge virale, au dépistage de la tuberculose.
Le droit d’être informée de son état de santé concerne toutes les femmes quel que soit leur statut matrimonial, y compris les jeunes femmes et les jeunes filles, les femmes âgées, les femmes vivant dans les zones rurales, les travailleuses du sexe, les femmes consommant de la drogue, les femmes vivant avec le VIH, les femmes migrantes et réfugiées, les femmes autochtones, les femmes en détention et les femmes ayant un handicap physique ou mental.
Le droit de se protéger et d’être protégées est également intrinsèquement lié à d’autres droits de la femme à savoir le droit à l’égalité, à la non-discrimination, à la vie, à la dignité, à la santé, au libre choix, à la vie privée ainsi que le droit d’être protégées contre toutes les formes de violence, d’autant plus que les violations de ces droits ont un impact sur la capacité des femmes à exercer et à réaliser leurs droits
L’article 14 (1) (d) et (e), à l’instar de plusieurs dispositions en matière des droits de l’homme, impose quatre obligations générales aux États parties à savoir : respecter, protéger, promouvoir et réaliser.
L’obligation de respecter au sens de l’article 14 (1) (d) et (e) impose aux États de s’abstenir de toute interférence directe ou indirecte dans l’exercice des droits de se protéger, d’être protégées et du droit d’être informées de son état de santé et de l’état de santé de son partenaire.
L’obligation de promouvoir au sens de l’article 14 (1) (d) et (e) impose aux États de créer des conditions juridiques, économiques et sociales permettant aux femmes d’exercer leurs droits à la santé sexuelle et reproductive. Cela nécessite l’organisation d’activités de sensibilisation, la mobilisation des communautés, la formation des agents de santé, des leaders politiques, traditionnels et religieux sur l’importance du droit à la protection et du droit d’être informée de son propre statut et de celui de son partenaire.
L’obligation de réaliser au sens de l’article 14 (1) (d) et (e) impose aux États l’adoption de politiques et programmes nécessaires, telles que l’allocation de ressources suffisantes à la réalisation pleine des droits de se protéger, d’être protégée, et d’être informée de son état de santé et de celui de son partenaire.
Obligations Spécifiques des États
Le droit de se protéger et d’être protégées contre les infections sexuellement transmissibles, y compris le VIH, aux termes de l’article 14(1) (d) du Protocole implique ce qui suit :
Accès à l’information et à l’éducation
La Commission africaine souhaite souligner l’importance de l’information et de l’éducation dans la prévention contre le VIH chez les femmes, en particulier chez les adolescentes. Les États parties doivent garantir l’information et l’éducation sur les questions liées au sexe, à la sexualité, au VIH et aux droits sexuels et reproductifs. Leur contenu doit être élaboré à partir d’éléments concrets, de données factuelles, en ayant une approche axée sur les droits et non sur des jugements de valeur et doit être formulé de manière compréhensible et dans un langage simple.
Ces informations et l’éducation à la prévention doivent aborder tous les tabous et idées reçues sur les questions de santé sexuelle et reproductive tout en déconstruisant les rôles sociaux des hommes et des femmes et en remettant en question les notions conventionnelles de masculinité et de féminité qui perpétuent les stéréotypes préjudiciables à la santé et au bien-être des femmes. Ces actions doivent être menées dans le respect du Plan d’Action de Maputo ainsi que des dispositions des articles 5 et 2 du Protocole.
Les États ont l’obligation de fournir une formation de pré services et de services continus appropriés aux professionnels et aux éducateurs de santé, y compris les professionnels de la santé à la base sur la santé et les droits de l’homme.
Accès aux services de droits de santé sexuelle et reproductive
Il est crucial d’assurer la disponibilité, l’accessibilité, l’acceptabilité et la qualité des services de soins de santé sexuelle et reproductive pour les femmes. Par conséquent, les États ont l’obligation d’assurer des services complets, intégrés, basés sur les droits, centrés sur les femmes et conviviaux, pour les jeunes sans discrimination, ni violence.
La Commission africaine est préoccupée par l’accès insuffisant et les limitations dans la fourniture des services de soins de santé sexuelle et reproductive y compris l’accès aux choix et méthodes de prévention, aux connaissances en prévention des IST et du VIH et à l’accès au traitement. Les États Parties doivent garantir des méthodes de prévention du VIH disponibles, accessibles, abordables, complets et de qualité, centrées sur les femmes et qui incluent entre autres les préservatifs féminins, les microbicides, la prévention de la transmission de la mère à l’enfant ainsi que les prophylaxies post-exposition à toutes les femmes non basés sur une évaluation discriminatoire du risque.
Les États Parties devraient également s’assurer que les travailleurs de la santé ne soient pas autorisés, sur le fondement de la religion ou de la conscience, à dénier aux femmes l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive.
Par conséquent, les États ont l’obligation d’assurer des services complets, intégrés, basés sur les droits, centrés sur les femmes et conviviaux, pour les jeunes sans discrimination, ni violence
Les États Parties devraient intégrer les méthodes de prévention centrées sur les femmes, de même que d’autres services y compris le planning familial, la santé reproductive, les services de soins de santé primaire, le test de VIH et d’IST, les programmes de traitement anti-rétroviraux et les soins prénataux. Une disponibilité et un accès plus équitable aux méthodes de prévention telles que les préservatifs féminins doivent être promus et assurés à travers le financement, la distribution de même que la fourniture de nouvelles techniques et méthodes de prévention. A cette fin, les États Parties devraient assurer le financement continu pour la recherche.
Lois accessibles et environnement politique propice
La Commission africaine reconnaît qu’un cadre juridique et politique propice est intrinsèquement lié aux droits de la femme à l’égalité, à la non-discrimination et à la protection. Les États Parties ont l’obligation de créer un environnement adéquat permettant aux femmes de contrôler leurs choix sexuels et reproductifs et par conséquent de renforcer la prévention et la protection contre le VIH.
Les États Parties devraient assurer la mise en œuvre effective de lois et politiques à travers la mise en place de mécanismes de réédition de compte, le développement de directives et la mise en place de mécanismes de recours efficaces dans les cas de violation des droits à la santé sexuelle et reproductive des femmes.
Le droit d’être informées sur son état de santé et de l’état de santé de son partenaire aux termes de l’article 14 (1) (e) du Protocole implique ce qui suit :
Les États Parties devraient s’assurer que l’information détenue par les autorités sur l’État de santé d’une personne soit soumise à des règles strictes de protection et de confidentialité de l’information et doit être protégée de l’accès, de l’usage et de la publication non-autorisée.
Procédures, technologies et services de santé sexuelle et reproductive
Les États Parties ont l’obligation de garantir la disponibilité et l’accessibilité de procédures, technologies et services complets et de qualité pour le suivi médical de la santé sexuelle et reproductive des femmes. Ces procédures, technologies et services doivent correspondre aux besoins et au contexte spécifique des femmes. Dans le contexte du VIH, ceci devra inclure: l’accès au test du VIH, du taux de CD4, de la charge virale, de la tuberculose et le dépistage du cancer du col de l’utérus qui peut affecter la santé sexuelle et reproductive des femmes.
Les États devraient prévoir la formation des agents de santé sur, entre autres, la non-discrimination, la confidentialité, le respect de l’autonomie et du consentement libre et éclairé dans le contexte des services de santé sexuelle et reproductive pour les femmes.
Les États Parties devront s’assurer que les politiques et programmes correspondent aux besoins de toutes les femmes en tenant compte des spécificités des différents groupes de femmes visés au paragraphe 14. Ces méthodes devraient inclure des services adaptés aux jeunes et faire partie d’une gamme complète de soins dans le cadre de la santé sexuelle et reproductive.
L’État devrait créer les conditions appropriées à travers l’adoption de mesures juridiques, politiques, réglementaires et de programmes pour encourager l’usage des services de santé sexuelle, propice à la divulgation sure, volontaire et informée et à une notification conforme à la loi de son statut et du statut de son partenaire tels qu’énumérés respectivement par les paragraphes 13 et 18.
Les États parties doivent garantir l’information et l’éducation sur les questions liées au sexe, à la sexualité, au VIH et aux droits sexuels et reproductifs
Barrières aux droits à la santé sexuelle et reproductive
Les États devraient prendre des mesures, à travers des politiques, programmes et l’éducation civique en vue de l’élimination de toutes les barrières qui entravent la jouissance par les femmes et les filles de la santé sexuelle et reproductive. En particulier, des efforts spécifiques doivent être faits pour régler les disparités de genre, les pratiques traditionnelles et culturelles néfastes, les attitudes patriarcales, les lois et politiques discriminatoires conformément aux articles 2 et 5 du Protocole.
A cet égard, l’État doit collaborer avec les chefs traditionnels et religieux, les syndicats, la société civile, les organisations non gouvernementales y compris les ONG spécialisées sur les questions relatives aux droits des femmes, les organisations internationales et les partenaires au développement. L’État doit prendre toutes les mesures appropriées pour éliminer les barrières économiques et géographiques empêchant les femmes d’accéder aux services de santé en particulier en ce qui concerne celles qui vivent dans les zones rurales.
Recours dans le domaine du droit à la santé sexuelle et reproductive
L’État devra assurer la disponibilité et l’accessibilité de mécanismes de saisine et de recours devant les juridictions en cas de violations des droits des femmes, y compris la non-discrimination, la confidentialité, le respect de l’autonomie et le consentement libre et éclairé.
Toute incapacité d’un État Partie à se conformer à l’article 14(1) (d) tel que clarifié et détaillé dans ces Observations Générales constituerait une violation des dispositions dudit article.
La Commission Africaine devra s’inspirer des présentes Observations Générales lors de l’examen de toute communication liée aux obligations des États parties aux termes de l’article 14 (1) (d) et (e) du Protocole et lors de l’examen des rapports périodiques des États parties au Protocole.
Les États sont encouragés à soumettre dans les délais impartis, leurs rapports périodiques sur les mesures prises pour mettre en œuvre le Protocole relatif aux droits de la femme. Les rapports doivent prendre en considération les présentes observations générales et se conformer aux lignes directrices élaborées par la Commission Africaine à cet effet.
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.