Conaïde Akouedenoudje
Le scrutin présidentiel vient de se conclure au Libéria, proclamant Joseph Boakai, un vétéran de la politique libérienne, en tant que nouveau président de la République avec 50,64 % des voix, surpassant son adversaire George Weah, ancienne star mondiale du football et président sortant. Cette victoire s’est déroulée à l’issue d’un scrutin à deux tours, marquant la transition d’un ancien Vice-Président de la République sous la mandature d’Ellen Johnson Sirleaf. L’élection a eu lieu dans un contexte de quête de stabilité, d’autodétermination et de consolidation des institutions démocratiques.
Malgré les cicatrices persistantes des guerres civiles et des bouleversements politiques récents, ainsi que les tensions politiques et sécuritaires régionales, le Libéria a réussi à organiser une élection présidentielle pacifique, avec le Président sortant reconnaissant sa défaite, renforçant ainsi l’unité nationale. Au-delà de l’enthousiasme suscité dans le pays, l’attention doit désormais se tourner vers la gouvernance postélectorale. Joseph Boakai doit consolider la paix et la stabilité politique, maintenir la sécurité, et investir de manière significative dans le développement durable pour assurer le bien-être continu de la nation libérienne.
Consolider la stabilité politique du pays
L’histoire récente du Libéria met en lumière les fragilités de la paix dans le pays. Entre 1989 et 2003, la guerre civile, une des plus violentes du continent, a occasionné plus de 250 000 morts, un million de déplacés, sur fond de massacres, de mutilations, de viols, d’actes de cannibalisme et de recrutement forcés d’enfants soldats. Bien que la paix soit aujourd’hui apparente, les recommandations de la Commission de vérité et réconciliation montrent que le chemin vers une paix durable n’a pas fait l’objet d’une mise en œuvre holistique.
Malgré les cicatrices persistantes des guerres civiles et des bouleversements politiques récents, ainsi que les tensions politiques et sécuritaires régionales, le Libéria a réussi à organiser une élection présidentielle pacifique, avec le Président sortant reconnaissant sa défaite, renforçant ainsi l’unité nationale
Parmi ces recommandations, la justice est cruciale, établissant la vérité et ouvrant la voie au pardon et à la réconciliation. Parmi ces recommandations, vingt ans plus tard, aucune initiative des gouvernants successifs n’a été prise concernant la justice, malgré quelques procès à l’étranger. La défaillance du système judiciaire, la centralisation excessive du pouvoir politique et des richesses au sein de l’élite américano-libérienne, la corruption persistante, les tensions foncières et le taux élevé de pauvreté, dans un contexte de traumatisme et de quête de justice, constituent des facteurs propices à une escalade de la violence.
Les gouvernements successifs ont conscience de ces défis, craignant de raviver les violences passées en tentant de guérir les plaies. Chaque candidat, y compris le nouveau président Boakai, a fait de la réconciliation un thème essentiel de campagne. Dès son investiture le 16 janvier 2024, le président Boakai devrait lancer une étude exhaustive et inclusive, visant à identifier les sources de mécontentement persistant et les aspirations de la population.
Cette démarche, contribuant également à cartographier les oppositions préjudiciables à la paix durable, devrait servir de base à un engagement véritable dans le processus de réconciliation. L’étude devrait soutenir la tenue de dialogues inclusifs et faciliter la restauration de la confiance dans le processus démocratique. Une société réconciliée est mieux préparée pour surmonter les défis politiques, promouvoir un sentiment d’unité nationale et célébrer la diversité.
Entretenir la sécurité
Ces dernières années, l’un des défis majeurs pour les pays d’Afrique de l’Ouest est la sécurité. L’essor de l’extrémisme violent et du terrorisme représente l’une des difficultés les plus préoccupantes dans la région, avec des massacres récurrents, des atteintes aux biens publics et aux institutions, allant jusqu’à la perte de contrôle de certains États sur des parties de leur territoire.
Dans une première hypothèse, la proximité du Libéria avec le Burkina Faso et la Guinée suggère que le pays de Boakai pourrait être confronté aux tensions sécuritaires régionales, à l’instar du Bénin, du Togo et de la Côte d’Ivoire qui ont subi l’impact du terrorisme sahélien et de la situation au Nigéria.
Dans une seconde hypothèse, les causes du terrorisme, telles que les frustrations politiques, religieuses ou sociales, ne sont pas inexistantes au Libéria. La guerre qui s’est achevée il y a 20 ans, sans résolution en termes de vérité et de réconciliation, combinée à la pauvreté persistante, à la corruption généralisée et à l’augmentation de la grande criminalité, suggère que le Libéria constitue un terreau potentiel du terrorisme. Pour éviter d’avoir à lutter contre l’extrémisme violent et le terrorisme, des actions préventives concrètes, sérieuses et systémiques sont nécessaires.
Cette action invite les dirigeants, comme le préconisait Dr Gilles Yabi déjà en 2016, à développer une réflexion autonome sur la menace. Cette menace devrait prendre en compte deux impératifs : protéger les populations autant que possible ici et maintenant ; et ne pas compromettre par les décisions d’aujourd’hui la paix et la sécurité à moyen et long terme dans la région. Surtout, il est essentiel d’investir dans le développement, en particulier dans le développement durable.
Investir dans le développement durable
Il est essentiel de clarifier, en préambule, que la mention de la nécessité d’investir dans le développement durable ne fait aucunement référence à l’idée trompeuse du développementalisme. Ce dernier préconise le développement économique, l’industrialisation et l’adoption de politiques macroéconomiques ambitieuses visant à augmenter le taux de croissance du pays. Le Libéria ne devrait pas s’inscrire dans cette dynamique, il est crucial de sortir de ce paradigme sans issue. Imaginer un développement axé sur les chiffres et dépourvu d’une perspective centrée sur l’être humain est comparable à chercher la date de la fin du monde, une entreprise inévitablement vaine. Il est impératif de concevoir, mettre en œuvre et évaluer les politiques publiques selon une approche basée sur les droits de la personne humaine.
La guerre qui s’est achevée il y a 20 ans, sans résolution en termes de vérité et de réconciliation, combinée à la pauvreté persistante, à la corruption généralisée et à l’augmentation de la grande criminalité, suggère que le Libéria constitue un terreau potentiel du terrorisme. Pour éviter d’avoir à lutter contre l’extrémisme violent et le terrorisme, des actions préventives concrètes, sérieuses et systémiques sont nécessaires
La réalisation holistique de ces droits interdépendants constitue le fondement du développement de l’individu, nécessitant la mise en place de mécanismes garantissant cela. Lorsque chaque individu peut se nourrir convenablement, bénéficier d’une éducation de qualité, travailler et être rémunéré équitablement, loger sa famille, se déplacer librement, s’exprimer sans entrave ni censure, se réunir en association, participer librement aux élections sans être affilié à un parti politique spécifique, et accéder librement à la justice, il se sent pleinement développé.
Bien que les grandes infrastructures et les méga-industries aient un rôle à jouer dans la contribution au bien-être, elles ne doivent jamais être considérées comme le résumé du développement durable nécessaire aux peuples. La gouvernance de Boakai doit intégrer ces idées afin de véritablement contribuer au développement de la nation libérienne.
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Juriste – chargé de recherche associé à WATHI, Conaïde Akouedenoudje est en fin de formation à la Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie où il finalise un Master, option « droit de la personne et de la démocratie » à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Jeune béninois, il s’intéresse aux droits humains et à la démocratie et place au cœur de ses réflexions, les grands enjeux du monde d’aujourd’hui, dont notamment, la centralité du constitutionalisme et la sécurité.