Conaïde Akouedenoudje
Le Liberia, premier État indépendant d’Afrique est à un carrefour important de son histoire. C’est l’élection présidentielle de 2023. Un important rendez-vous d’un pays où la démocratie, l’autodétermination et la quête de stabilité se mêlent aux cicatrices des guerres civiles et des bouleversements politiques connus dans l’histoire récente du pays.
Le Président sortant George Weah, l’ancien footballeur international, jusque-là seul Ballon d’or africain, finit son sixtennat avec un bilan mitigé, et tous les regards sont fixés vers le second tour de cette élection qui l’oppose à un challenger de taille, l’ancien vice-président de la République, Joseph Boakai.
Cette élection, la quatrième élection organisée depuis la fin de la dernière guerre civile, et la première sans la présence de la mission des Nations unies au Liberia, s’annonce probablement comme un test de la maturité du Liberia et de sa transition démocratique. Autrement dit, cette élection est un moment ultime pour constater si les travaux de la commission vérité et réconciliation et les engagements de l’Accord de paix d’Accra ont porté des fruits durables.
Dans un contexte où le Liberia cherche stabilité et prospérité, l’issue de ce rendez-vous citoyen et démocratique est d’une importance de premier plan, non seulement pour le pays mais également pour toute la région.
A la veille de ce second tour crucial, il est important de se poser des questions sur ce processus, depuis le premier tour, en questionnant les candidats et en évaluant les enjeux post électoraux. Pour tout dire, les Libériens réussiront-ils à conjurer les vieux démons ?
En l’état actuel, on note un premier tour non moins satisfaisant, deux anciens challengers au second tour, et des enjeux qui dépassent toute « personnalité », et appelle l’avenir du Liberia en tant que Nation.
Dans un contexte où le Liberia cherche stabilité et prospérité, l’issue de ce rendez-vous citoyen et démocratique est d’une importance de premier plan, non seulement pour le pays mais également pour toute la région
Un premier tour salué
Le 10 novembre 2023, plus de 2,4 millions de Libériens étaient appelés aux urnes pour élire le nouveau locataire de l’Executive Mansion. Alors que 20 candidats, dont une femme, se sont présentés à cette élection, le Président sortant Georges Weah et l’ancien vice-président Joseph Boakai (2006 à 2018) sont arrivés en tête avec chacun, plus de 43% des voix. En dehors de Edward Appleton qui est arrivé en 3e position avec 2,20% des voix, tous les autres candidats, y compris les deux candidats indépendants, ont eu moins de 2% des voix.
Il est important de préciser que le taux de participation à ce premier tour était de 58,86% alors que la communauté internationale salue le déroulé de ce premier tour, le second tour qui devrait se tenir le 7 novembre a été reporté en date du 14 novembre 2023.
Oscar Bloh, Président du Comité national de coordination des élections affirme « Ces élections sont cruciales en raison d’importantes inégalités sociales qui persistent dans ce pays. Il y a la question du chômage qui touche particulièrement les jeunes. Et ces élections sont également cruciales, car le pays est très divisé entre les deux principaux partis politiques. Malgré ça, les gens espèrent que ces élections seront pacifiques. »
Georges Weah et Joseph Boakai sont donc sur le terrain, pour convaincre les électeurs de la pertinence de leurs projets de sociétés respectifs.
Weah et Boakai s’affrontent à nouveau
En 2017, le Liberia a élu Georges Weah avec 61,54 % des suffrages exprimés. Il a succédé à Ellen Johnson Sirleaf, seule femme élue présidente de la République en Afrique de l’Ouest. Faut-il le rappeler, Joseph Bokai, alors Vice-président sortant, était le challenger de l’ancien footballeur célèbre. Il avait obtenu 38,46% des suffrages exprimés au second tour. 6 ans plus tard, le match retour aura lieu.
Il est important de préciser que le taux de participation à ce premier tour était de 58,86% alors que la communauté internationale salue le déroulé de ce premier tour, le second tour qui devrait se tenir le 7 novembre a été reporté en date du 14 novembre 2023
George Weah (57 ans), après avoir suscité de très grands espoirs chez les classes défavorisées lors de son élection en 2017 dans un contexte économique très défavorable, a fait l’objet de critiques au cours de son mandat en raison d’un nombre jugé peu élevé de promesses tenues. Joseph Boakai (78 ans), mène sa campagne sous le slogan “Rescue” (sauvetage), arguant que la situation du pays s’est dégradée au cours du mandat de George Weah. Mais ce dernier est confiant et affirme avoir maintenu le Liberia dans la stabilité avec une amélioration de l’éducation.
Cette élection est également un bras de fer entre le parti Congrès pour le changement démocratique (CDC) et le Parti de l’Unité (UP), parti de l’ancienne Présidente de la République. Le peuple libérien est donc appelé à arbitrer ce deuxième duel entre les deux hommes politiques.
Et il est important que les différents acteurs, quels que soient leurs calculs politiques, privilégient la non-violence, la transparence et la préservation de la paix. Mais cette élection est aussi le moment pour les filles et fils du Liberia de choisir un Chef qui répondra aux enjeux et aux aspirations du pays.
Trois enjeux majeurs à l’issue de la présidentielle
Pour un pays qui a été le théâtre d’une des pires guerres civiles de ces trente dernières années, plus que l’identité de celui qui décrochera les clés de l’Executive Mansion, c’est la situation postélectorale qui doit être au centre de toutes les préoccupations. Que ce soit George Weah ou Joseph Boakai, le candidat qui sera élu au soir du 14 novembre prochain devra s’investir dans la stabilité politique du pays avec une gouvernance transparente et participative afin d’impulser la dynamique du développement durable.
D’abord, il faudra éviter un retour à l’instabilité et à la violence. Ceci nécessite la création de mécanismes pour éliminer de manière continue, les divisions ethniques et politiques et favoriser les compromis et le dialogue politique. Cela implique également la prise en compte de la question sécuritaire, dans une approche holistique, impliquant l’adoption de la coproduction de la sécurité et une élimination de tous les types de frustrations.
Joseph Boakai (78 ans), mène sa campagne sous le slogan “Rescue” (sauvetage), arguant que la situation du pays s’est dégradée au cours du mandat de George Weah
Ensuite, il faut une gouvernance transparente et participative. Ce qui décrédibilise les gouvernements, c’est le manque de transparence, l’exclusion, la corruption et toutes les formes de vices liées à la gestion de la « res publica », la chose publique. Alors que le Liberia aspire à un environnement politique moins gangrené, les autorités élues devront s’atteler à cela, en veillant à ce que la participation citoyenne soit le moteur de l’action publique.
Mieux, le nouveau locataire de l’Executive Mansion devra mettre en place des politiques publiques qui assurent un développement durable. Ce qui signifie la priorisation de l’approche basée sur les droits humains dans la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques publiques. Si les réformes sont menées avec des objectifs qui ne contribuent pas au bien-être intégral du citoyen du Liberia, dans 6 ans, la pauvreté sera toujours endémique, l’électricité sera toujours inaccessible aux populations, la sécurité sera problématique et les Libériens n’auront point de prospérité.
Ces filles et fils, nés à la fin de la guerre civile en 2003, et qui participent pour la première fois à l’élection de leurs dirigeants, méritent de partager la promesse d’une véritable nation, paisible, où règnent sécurité et démocratie.
Photo credit : premiumtimesng.com
Juriste – chargé de recherche associé à WATHI, Conaïde Akouedenoudje est en fin de formation à la Chaire UNESCO des droits de la personne et de la démocratie où il finalise un Master, option « droit de la personne et de la démocratie » à l’Université d’Abomey-Calavi au Bénin. Jeune béninois, il s’intéresse aux droits humains et à la démocratie et place au cœur de ses réflexions, les grands enjeux du monde d’aujourd’hui, dont notamment, la centralité du constitutionalisme et la sécurité.