Jean Martin Leoba Dourandji
Après une transition de trois ans à la suite du décès du président Idriss Deby Itno, les Tchadiens ont voté les 05 et 06 mai 2024 pour y mettre un terme. À l’issue d’une élection dont le vainqueur ne faisait guère de doute, le général Mahamat Idriss Deby Itno, le président de transition l’emporte face au Dr. Succès Masra, son Premier ministre. Le président élu a d’ores et déjà du pain sur la planche. Deby qui est le candidat issu du système dirigeant le Tchad depuis plus de trente ans devra montrer autre chose que ce qui est attendu de lui. Après avoir dirigé le Tchad pendant plus de trois ans, les Tchadiens ont pu, entre autres, tester sa gouvernance.
Si le système dont est issu Deby est très décrié c’est d’abord pour des raisons économiques car ayant peu consenti d’effort dans les secteurs sociaux. Il advient qu’en vérité les tchadiens craignent que les années Deby ne s’inscrivent dans la dynamique des années de Deby père. Déclaré gagnant avec 61% de suffrages exprimés en sa faveur, il reste que Deby devra s’attaquer aux grands maux du Tchad pour, d’une part apaiser les mécontentements mais aussi, d’autre part améliorer les indicateurs socio-économiques de ce pays c’est-à-dire les conditions de vie de ses compatriotes.
Emploi des jeunes
La question de l’emploi constitue un motif important de colère des tchadiens face à leur gouvernement. Les autorités doivent impérativement résoudre le problème des recrutements insuffisants dans la fonction publique et du nombre limité d’entreprises. A cet égard, il est attendu des mesures concrètes. Si le candidat Masra a beaucoup mobilisé durant la campagne c’est parce qu’il a fait la promesse d’une vie meilleure à la jeunesse notamment en termes d’emploi. Il est impératif que les autorités accordent désormais la priorité à répondre aux aspirations des jeunes, et ce pour des motifs à la fois politiques et économiques. Sur le plan politique, étant donné que Deby est considéré comme le candidat “élu de tous les tchadiens”, il est crucial de répondre aux attentes de cette frange de la population. Sur le plan économique, compte tenu de leur importance démographique, l’implication accrue des jeunes dans les activités économiques du Tchad devrait être un levier essentiel pour dynamiser l’économie nationale.
Eau et électricité
Au Tchad la disponibilité de l’eau et l’électricité est insuffisante aussi bien en quantité qu’en qualité. Leurs taux d’accès demeurent incroyablement bas. L’électricité joue un rôle crucial dans le développement économique, étant un pilier essentiel de l’industrialisation et du progrès technologique. Quant à l’eau potable, elle est essentielle pour éviter les maladies hydriques. Un peu plus de 55% des Tchadiens ont accès à l’eau. Que ce soit les ménages ou les entreprises, les Tchadiens souffrent notamment pendant la période de chaleur où les capacités de production de la société nationale d’électricité se réduisent considérablement.
Si le système dont est issu Deby est très décrié c’est d’abord pour des raisons économiques car ayant peu consenti d’effort dans les secteurs sociaux. Il advient qu’en vérité les tchadiens craignent que les années Deby ne s’inscrivent dans la dynamique des années de Deby père
Le candidat Deby a fait l’irréaliste promesse d’afficher le taux d’accès à l’électricité à 100% d’ici quelques années. Quoi qu’il en soit, le développement de ces secteurs est prioritaire. Le déficit électrique du Tchad rend davantage le climat d’affaires morose dans le pays. Au cours de ce quinquennat, Deby aura le défi de relever les niveaux d’accès des Tchadiens à ces deux ressources à travers la finalisation et la concrétisation de l’interconnexion électrique avec le Cameroun. Les nombreux projets bilatéraux et multilatéraux annoncés et qui s’appuient essentiellement sur le solaire et le photovoltaïque devront également être concrétisés. Le Tchad a un taux d’accès à l’électricité de 11% inférieur à la moyenne en Afrique subsaharienne qui est de 48%.
Diversification économique et développement
L’économie tchadienne est fortement dépendante du pétrole. Ce qui la met en situation de tension en cas de crise sur le marché international. C’est déjà le cas entre 2014 et 2017. Le Tchad est un grand pays d’élevage et d’agriculture. Il y a aussi des ressources naturelles importantes inexploitées ou exploitées en dehors du cadre légal. Le gouvernement doit renforcer le tissu industriel local et surtout présenter une meilleure offre de la destination Tchad aux investisseurs étrangers.
Il est aussi attendu que le nouveau président enclenche enfin le développement du Tchad longtemps <<ajourné>> au motif du manque des ressources financières ou d’instabilité politique ou même d’une absence affichée de vision des dirigeants tchadiens. Ici, il est attendu de Deby la réalisation de projets sociaux ambitieux avec un impact mesurable sur le niveau de vie des populations. Ceci permettra surtout, au-delà d’un meilleur positionnement dans les classements socio-économiques, l’amélioration des conditions de vie des Tchadiens. Plutôt à l’aise sur les questions de sécurité et défense car militaire, le président Mahamat Deby, s’il réussit ce pari, aura gagné là où tous ses prédécesseurs ont échoué.
Bonne gouvernance
Au cours de son quinquennat, le nouveau président devra consacrer la bonne gouvernance politique et économique. Lutter contre la délinquance financière et éviter la gestion informelle des cas de détournement comme à la tchadienne. Les scandales de type de la société des hydrocarbures du Tchad (SHT) qui a émaillé sa première mandature doivent être mieux traités. De nombreuses personnalités actuelles sont passées par la case prison pour motif de détournement. Mais aujourd’hui elles sont promues sans problème. Le ministère de la Bonne gouvernance a été supprimé il y a longtemps, de même que l’inspection générale d’État. Les opérations anti-corruption, Cobra notamment sous Deby père n’a pas produit des résultats.
Le déficit électrique du Tchad rend davantage le climat d’affaires morose dans le pays. Au cours de ce quinquennat, Deby aura le défi de relever les niveaux d’accès des Tchadiens à ces deux ressources à travers la finalisation et la concrétisation de l’interconnexion électrique avec le Cameroun
Le crime économique dans un pays comme le Tchad, dépendant de l’aide financière internationale doit être sévèrement puni. Pour cela, le nouveau président doit lever les nombreux obstacles qui se dressent à la mise en place de la bonne gouvernance au Tchad. Il s’agit par exemple des capacités limitées des institutions nationales ou encore l’immixtion des réseaux informels (lobbies) dans la passation des marchés ou plus largement dans la gestion des affaires dans le pays. Il doit créer une Autorité anti-corruption réellement indépendante. Avec un indice de perception de corruption de 19 sur 100 en 2022 selon le classement de Transparency International, le Tchad est classé 167e sur 180 pays.
Gestion du conflit au Soudan
Le Tchad et le Soudan sont des pays frères. De part et d’autre de la frontière, des communautés à cheval entre les deux pays y vivent. Au lendemain du 15 avril 2023, date marquant le déclenchement de la guerre au Soudan, des milliers de soudanais ont franchi la frontière pour trouver refuge au Tchad. Ils se sont ajoutés à ceux déjà établis chez le voisin lors de la précédente guerre du Darfour. Cet afflux massif impacte le fragile équilibre de l’est tchadien. Si les Tchadiens ont reçu plusieurs fois les dirigeants soudanais les généraux Al-Bourhan et Hemetti à N’Djamena avant l’éclatement de la crise, aujourd’hui la confiance est rompue entre les gouvernements tchadien et soudanais.
Khartoum accusant désormais N’Djamena de soutien à ses rivaux des Forces de soutien rapide (FSR) dirigées par le général Hemetti. En raison des liens importants entre les deux pays, un débordement de crise au Tchad est à craindre surtout qu’en 2003, avec le conflit au Darfour, des groupes armés tchadiens ont profité pour s’y installer et mener la guerre à leur gouvernement manquant de peu de renverser le président de l’époque, Idriss Deby Itno le père du nouveau président. La crise soudanaise en cours notamment au Darfour présente des similitudes avec celle de 2003. Le président Deby doit en partie consacrer son quinquennat à la gestion de la crise soudanaise et ses conséquences de façon à éviter au Tchad un scénario répété de celui de 2003 au risque de replonger le pays dans la guerre.
Crédit photo : 24heures.ch
Dourandji Jean Martin Leoba est un économiste et un entrepreneur tchadien diplômé des universités Adam Barka d’Abéché et de Yaoundé II. Anciennement employé de la microfinance dans son pays, il est actuellement en stage au Nkafu Policy Institute à Yaoundé.