Organisation affiliée: FAO
Type de publication: Rapport
Date de publication: 2016
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Introduction
Le Soudan du Sud est en proie à une guerre civile depuis décembre 2013. Actuellement, environ 2,8 millions de personnes près d’un quart de la population font face à une insécurité alimentaire et nutritionnelle grave. Nyalen Kuong en faisait partie et a été hospitalisée pour être nourrie par voie intraveineuse. Elle a expliqué au médecin de l’hôpital du camp: «Je ne suis pas malade, j’ai faim». Nyalen a perdu son mari, ses deux fils et son bétail lorsque son village a été attaqué. Elle s’est réfugiée avec ses filles et de nombreuses autres familles sur des îles protégées par des centaines de kilomètres de marécages. Elle souffrait de diarrhées causées par la malnutrition aiguë. Elle a mangé un peu de nourriture, mais son corps n’était même plus en mesure d’absorber les quelques éléments nutritifs disponibles. Après le traitement, Nyalen est retournée chez elle avec ses filles et, grâce au matériel distribué par la FAO, elle est maintenant capable de pêcher des poissons pour survivre, et de créer de nouveaux moyens d’existence. Le cas de Nyalen est un exemple parmi des millions qui montre comment le conflit engendre la faim, détruit la résilience individuelle et celle des ménages, et sape les moyens d’existence ruraux.
Pour beaucoup de gens touchés par les conflits, l’agriculture est le seul moyen de survie. Il est par conséquent nécessaire de mener des interventions pour sauver des vies, mais également pour soutenir les moyens d’existence et la résilience, même en situation d’insécurité et de grande misère.
L’insécurité alimentaire peut déclencher des conflits: la forte augmentation du prix des denrées alimentaires en 2008, accompagnée par des coupes dans les subventions aux aliments et combustibles a réduit les revenus réels des populations principalement urbaines, et a déclenché des émeutes de la faim dans de nombreux pays. La dépossession des biens, tels que la terre ou le bétail, ou bien d’autres menaces à la sécurité alimentaire, peuvent alimenter le conflit. L’accès limité à l’alimentation peut aggraver d’autres formes de griefs et mécontentements, tels que la pauvreté, le chômage ou la marginalisation.
Il est essentiel de combiner les efforts de restauration et de soutien des moyens d’existence résilients, avec des tentatives de réconciliation et de résolution des conflits pour renforcer le développement durable, la sécurité alimentaire et la nutrition. De même, un investissement durable dans la sécurité alimentaire permet de renforcer les efforts de prévention des conflits et parvenir à une paix durable.
Faits et chiffres
-La proportion de personnes sous-alimentées vivant dans les pays en situation de conflit et de crise prolongée est presque trois fois plus importante que dans d’autres pays en voie de développement.
La dépossession des biens, tels que la terre ou le bétail, ou bien d’autres menaces à la sécurité alimentaire, peuvent alimenter le conflit. L’accès limité à l’alimentation peut aggraver d’autres formes de griefs et mécontentements, tels que la pauvreté, le chômage ou la marginalisation
-40 % des pays en post-conflit qui font face à une importante insécurité alimentaire sont susceptibles d’être en proie à de nouveaux conflits au cours de la prochaine décennie.
-En Somalie, la guerre civile a entraîné en moyenne une perte de 438 Kcal de l’apport énergétique alimentaire journalier par habitant, soit environ 20 % de la recommandation minimale quotidienne.
-Les moyens d’existence de 80 % de la population du Soudan du Sud dépendent d’un secteur du bétail qui a perdu 2 milliards d’USD de PIB potentiel au cours du conflit actuel.
-Depuis 2000, 48 % des guerres civiles ont eu lieu en Afrique, où l’accès aux terres rurales est indispensable à la subsistance d’un grand nombre de personnes, et dans 27 des 30 conflits inter-États en Afrique, la distribution des terres a joué un rôle important.
-En 2014, les enfants représentaient 51 % de la population de réfugiés, soit le pourcentage le plus élevé depuis plus de 10 ans.
La proportion de personnes sous-alimentées vivant dans les pays en situation de conflit et de crise prolongée est presque trois fois plus importante que dans d’autres pays en voie de développement
Les conflits et la sécurité alimentaire
La plupart des conflits touchent les populations des zones rurales. Ce constat s’avère particulièrement vrai pour les guerres civiles, qui représentent de nos jours, la forme la plus répandue de conflits armés.
Les conflits ont des effets néfastes importants et sans équivoque sur la sécurité alimentaire et la nutrition. Ils représentent le principal moteur de l’insécurité alimentaire et de la malnutrition aiguë et chronique.
Les conflits ont des effets durables sur le développement humain car ils sont à l’origine de la malnutrition des populations, et plus particulièrement des enfants qui souffriront ensuite toute leur vie d’handicaps physiques et/ou mentaux.
Les liens de causalité entre la sécurité alimentaire et les conflits varient selon les zones où se situent les conflits mais on retrouve toujours des caractéristiques communes telles que la perturbation de la production alimentaire et des systèmes alimentaires, le pillage des cultures et du bétail et la perte des biens et des revenus. Ces caractéristiques affectent directement et indirectement l’accès à la nourriture.
L’insécurité alimentaire déclenche-t-elle les conflits?
L’insécurité alimentaire peut aussi être une source de conflits. Quand elle l’est, ce n’est jamais l’unique facteur déclencheur.
La dépossession des biens (y compris les terres et le bétail) et les menaces à la sécurité alimentaire (y compris les hausses soudaines des prix des denrées alimentaires), associées à d’autres formes de grief et de mécontentement participent au lien de causalité entre sécurité alimentaire et conflits.
Actuellement, il est difficile de savoir comment et dans quelle mesure le renforcement de la sécurité alimentaire pourrait prévenir les conflits et établir et maintenir la paix. Pourtant, en fonction des conditions spécifiques de chaque contexte, l’aide alimentaire et la protection sociale, ainsi que le soutien apporté aux communautés pour effectuer les récoltes, ont tendance à contribuer significativement à la consolidation de la paix. Les données de la FAO montrent que, en moyenne, la proportion de personnes qui souffrent de malnutrition est presque trois fois plus élevée dans les pays en crise prolongée que dans d’autres pays en voie de développement.
L’impact des conflits sur la sécurité alimentaire
Les conflits engendrent d’énormes coûts dans différents domaines, y compris la souffrance des populations et les bouleversements socio-économiques catastrophiques, qui risquent de gêner considérablement les progrès économiques et sociaux. La plupart des conflits touchent principalement les zones rurales et leurs populations, avec de lourdes répercussions sur la production agricole et les moyens d’existence ruraux. C’est particulièrement le cas pour les conflits civils, qui, ces dernières années, sont devenus la forme la plus courante de conflits armés.
Les conflits réduisent la quantité de nourriture disponible, perturbent l’accès des populations aux denrées alimentaires, limitent l’accès des familles aux installations permettant de les cuisiner et aux soins médicaux de base, et accentuent l’incertitude quant à la satisfaction des besoins alimentaires et nutritionnels.
Au cours des trois dernières décennies, le taux de pauvreté a augmenté de 20 pour cent dans les pays touchés par des cycles de violence récurrents. Chaque année de violence dans un pays retarde la réduction de l’indice de pauvreté de 1 pour cent.
Les pays ayant les plus hauts niveaux de sous-alimentation ont tendance à être ceux qui sont engagés dans des conflits violents, ou qui en sont récemment sortis. Le risque élevé de conflit est une des principales caractéristiques des états fragiles et la proportion de personnes souffrant de la faim augmente proportionnellement au degré de fragilité.
La République centrafricaine et le Tchad ont les pires notations. Ces deux pays ont connu ces dernières années des conflits violents et une forte instabilité politique. En revanche, en Angola, en Éthiopie et au Rwanda, les niveaux de la faim ont considérablement chuté depuis la fin des guerres civiles dévastatrices des années 90 et 2000. En 2010, l’Éthiopie était encore en situation de crise prolongée, mais, grâce à un engagement politique soutenu et des efforts pour cibler les interventions pour améliorer la production alimentaire et la nutrition, elle a quand même atteint la cible 1c de l’objectif du Millénaire pour le développement (OMD) qui consistait à «réduire de moitié la proportion de la population souffrant de la faim». Cet engagement a probablement été facilité par l’apaisement des conflits et a aidé à pacifier durablement la situation.
Les conflits réduisent la quantité de nourriture disponible, perturbent l’accès des populations aux denrées alimentaires, limitent l’accès des familles aux installations permettant de les cuisiner et aux soins médicaux de base, et accentuent l’incertitude quant à la satisfaction des besoins alimentaires et nutritionnels
La mortalité causée par les conflits par le biais de l’insécurité alimentaire et de la famine peut dépasser de loin le nombre de décès directement causés par la violence. Entre 2004 et 2009 environ 55 000 personnes ont perdu la vie chaque année directement à cause des conflits ou du terrorisme. En revanche, entre 2010 et 2012, plus de 250 000 personnes sont mortes en Somalie suite à la famine causée par la sécheresse et les conflits.
La fin de l’ère des «famines catastrophiques», qui tuaient plus d’un million de personnes, est une réussite peu connue de ces 50 dernières années. On constate également une réduction significative des «grandes famines» qui tuent 100 000 personnes ou plus. Ce constat peut s’expliquer par les effets interdépendants de facteurs tels que la fin de la Guerre froide, l’adoption de normes internationales concernant les droits de l’homme et la montée en puissance de la mondialisation. Il ne faut pas en déduire que les famines n’existent plus, mais aujourd’hui la plupart sont la conséquence des conflits violents. Elles sont exacerbées par les catastrophes naturelles et sont le plus souvent localisées.
Sécurité alimentaire et dividendes de la paix
Certains affirment que lorsque les interventions destinées à améliorer la sécurité alimentaire sont mises en œuvre correctement et au bon moment, elles renforcent la résilience aux conflits car elles aident les pays et les populations à surmonter les conflits et à s’en remettre; elles encouragent également plus largement le développement économique et contribuent par conséquent à empêcher l’apparition de nouveaux conflits.
À l’inverse, le renforcement de la résilience grâce aux efforts de consolidation de la paix joue un rôle essentiel dans le soutien de la sécurité alimentaire dans les régions où les crises sont récurrentes.
Cependant, les connaissances sont limitées dans le rôle que peut jouer la sécurité alimentaire dans la prévention ou l’atténuation des conflits et, potentiellement dans la consolidation de la paix. Des mécanismes potentiels, basés sur un certain nombre de constatations décrites dans la littérature, pourraient expliquer comment la sécurité alimentaire influence les issues des situations de conflit (ou de paix). Tout d’abord, les interventions visant à améliorer la sécurité alimentaire contribuent à atténuer les griefs liés au bienêtre qui pourraient pousser les individus à s’engager dans les combats ou soutenir des groupes armés.
La mortalité causée par les conflits par le biais de l’insécurité alimentaire et de la famine peut dépasser de loin le nombre de décès directement causés par la violence. Entre 2004 et 2009 environ 55 000 personnes ont perdu la vie chaque année directement à cause des conflits ou du terrorisme. En revanche, entre 2010 et 2012, plus de 250 000 personnes sont mortes en Somalie suite à la famine causée par la sécheresse et les conflits
Ensuite, une meilleure stabilité des prix des denrées alimentaires et une reprise de l’agriculture locale et des marchés, peuvent aider les individus et les ménages vulnérables à surmonter les séquelles des conflits armés et les encourager à dépasser le stade de l’agriculture de subsistance et à accéder aux marchés commerciaux. Elles peuvent également réduire l’attrait des activités illégales. Ces effets dépendent en grande partie de la manière dont les entités institutionnelles locales durant la période de conflit ont affecté (négativement ou positivement) les vies et les moyens d’existence des populations dans ces zones.
Il est nécessaire d’analyser de manière plus approfondie ces relations de causalité et d’acquérir des données probantes plus systématiques. Néanmoins, l’agriculture est la forme dominante de subsistance pour la majorité des ménages dans les pays touchés par les conflits et les efforts pour relancer le secteur agricole, favoriser la croissance économique et accroître la sécurité alimentaire peuvent avoir des effets positifs sur le développement durable de la paix.
Selon une différente perspective, s’inspirant d’approches anthropologiques sociales, l’agriculture ne permet pas seulement de relancer le moteur économique pour entraîner la reprise, elle apporte une vie nouvelle aux foyers brisés et à leurs communautés, et pousse les individus à se réunir lorsque le conflit a détruit les réseaux sociaux. Des recherches limitées sur le sujet ont démontré qu’il est possible d’évaluer les impacts psycho-sociaux en utilisant, par exemple, une échelle du Sens de la cohérence. Un programme de la FAO a mis en place cette approche dans le nord du Caucase. Il a permis de révéler les multiples contributions des différents types de programmes agricoles dans les processus de récupération, notamment pour la régénération.
Le rôle des femmes dans l’agriculture et la consolidation de la paix
Le rôle et la place des femmes sont des facteurs importants pour connaître l’incidence des conflits sur la sécurité alimentaire et la manière dont la sécurité alimentaire peut renforcer la consolidation de la paix. Dans les milieux plus ruraux et agricoles, les femmes sont principalement chargées de la sécurité alimentaire et la nutrition des ménages. Dans de nombreux pays en voie de développement, elles représentent la majeure partie de la main d’œuvre agricole, bien qu’il leur soit généralement plus difficile que pour les hommes de gagner un revenu en tant qu’agriculteur ou ouvrier agricole. En effet, elles n’ont souvent pas les mêmes droits que les hommes de posséder ou de contrôler des terres, d’acheter des intrants, d’obtenir des crédits ou de recevoir une éducation.
Pendant les guerres civiles et les conflits, ces contraintes ont tendance à être exacerbées car beaucoup d’hommes, qui portent normalement ces responsabilités, sont partis pour s’engager dans les conflits ou pour rechercher d’autres moyens d’existence.
Les expériences prouvent que les femmes sont plus susceptibles de dépenser les revenus dans la nourriture, la santé et l’éducation. Par conséquent, elles sont essentielles pour la survie pendant les conflits, et jouent également un rôle important dans les phases de récupération post-conflits.
Afin de renforcer significativement la résilience domestique et la consolidation de la paix, il est préférable de cibler prioritairement les femmes lors des interventions d’aide alimentaire et de protection sociale, et de les assister, ainsi que leurs communautés, lors des récoltes. Il est important d’encourager l’émancipation économique des femmes, leurs droits d’accès et d’utilisation des ressources ainsi que leur participation à la prise de décisions dans la gestion des ressources naturelles. L’atténuation de la disparité entre les sexes dans le secteur agricole serait très bénéfique pour le secteur agricole et aiderait à construire des sociétés pacifiques et cohésives.
Les expériences prouvent que les femmes sont plus susceptibles de dépenser les revenus dans la nourriture, la santé et l’éducation. Par conséquent, elles sont essentielles pour la survie pendant les conflits, et jouent également un rôle important dans les phases de récupération post-conflits
La résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies est un cadre repère qui tient non seulement compte de l’impact démesuré des conflits sur les femmes, mais aussi du rôle qu’elles devraient tenir dans la gestion des conflits, leur résolution et la paix durable. Cette résolution vise à renforcer la capacité des femmes à agir en tant que représentants dans les processus humanitaires et de redressement, à la fois dans les situations de conflits et de post-conflits. Des résolutions ultérieures ont souligné le rôle des femmes comme étant des acteurs clefs dans la relance économique, dans la cohésion sociale et la légitimité politique. La résolution 21211 du UNSCR reconnaît notamment que «l’émancipation des femmes a largement contribué à la stabilisation des pays sortant d’un conflit armé».
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