Christian Abadioko Sambou
En réponse aux violences terroristes de Al Chebab, AQMI, Boko Haram, Mujao, GSIM, Ansar dine etc., plusieurs interventions internationales sont en cours en Afrique, notamment au Sahel. La rhétorique terroriste venue des États-Unis a fini de nous convaincre de notre intérêt commun à lutter contre le terrorisme. Au Sahel, on lutte contre le terrorisme comme le dicte cette rhétorique façonnée depuis les États lointains des Amériques et de l’Europe. Quelles sont les réponses à apporter face aux nombreux événements meurtriers au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, et face aux échecs successifs de la lutte contre le terrorisme au Sahel ?
Éviter la rhétorique terroriste
Le discours sur la mondialisation nécessaire de la sécurité est porté par les États-Unis, au lendemain des attentats terroristes du 11 septembre 2001 : la mondialisation de la sécurité est la seule réponse possible à la mondialisation de l’insécurité. Le processus de mondialisation des violences s’accompagne du processus d’internationalisation de la sécurité et des violences dites terroristes comme menaces principales et internationales. Les résolutions 1368 du 12 septembre 2001 qui engage les États à prévenir et à éliminer les actes terroristes, et celle 1373 du 28 septembre 2001, qui édicte une quasi-législation internationale que devront observer les États pour lutter contre le terrorisme, participent à la création de la rhétorique terroriste.
Cette dernière a deux conséquences directes selon l’universitaire français Didier Bigo. D’une part, le discours sur le terrorisme conduit à une forme de gouvernementalité par l’inquiétude. Le discours porte sur la nécessité d’unité, de centralisation et de mutualisation des efforts de gouvernance des violences dites terroristes, pour répondre à des situations d’urgence, de crise. En pratique, on préconise des méthodes militaires urgentes. On institue progressivement des pratiques « illibérales » au sein de régimes libéraux par la récurrence des « états d’urgence et d’exception ».
Le processus de mondialisation des violences s’accompagne du processus d’internationalisation de la sécurité et des violences dites terroristes comme menaces principales et internationales
Dans ces situations, pour rassurer les populations – et les rendre dociles et obéissantes, on exagère les peurs par un discours du risque et de la suspicion au sein d’un horizon présenté comme apocalyptique. On crée un climat de méfiance et de défiance par une sape de la confiance. D’autre part, en faisant du terrorisme une menace globale qui dépasse le cadre des États, la rhétorique terroriste transnationalise les professionnels de la gestion des inquiétudes et confond la sécurité intérieure et extérieure. Au sein des États du Sahel – Burkina-Faso, Mali, Niger – où sévissent les groupes armés, ce discours a une double implication. Premièrement, le discours international sur le terrorisme mobilise les moyens internationaux.
Il conduit à des interventions militaires d’États étrangers dans des situations de crises qui empêchent des décisions politiques critiques. Les États concernés par les actes terroristes confient leur sécurité. Ce discours tout en internationalisant la menace, concentre et territorialise les pratiques anti-terroristes sur des champs bien circonscrits, encerclés, militarisés, violentés, disqualifiés. Des mécanismes discursifs catégorisent certains pays en « zone rouge ». Des espaces sont gouvernés de l’intérieur et depuis le lointain-extérieur. Leur militarisation restreint les libertés et droits aux mobilités. Elle accentue les formes de radicalités sociales, économiques et religieuses. Le discours sur la menace terroriste crée le terrorisme. Dans le Sahel ce discours est sécuritaire et non neutre.
Deuxièmement, la rhétorique terroriste ampute toute souveraineté aux États concernés dans le Sahel. Ces États combattent des groupes armés dans leurs propres territoires en étant liés aux règles et principes que renferme le contre-terrorisme, et qu’ils n’ont pas participé à construire. La rhétorique terroriste conduit à nier l’appartenance nationale de certains individus, considérés comme combattants illégaux. Ce discours, sous-couvert de menace pour les États qui le remettraient en cause, inscrit les politiques contre-terroristes dans des rapports de forces qui mettent en avant les niveaux de technicité et de technologie, d’opérationnalisation, de brutalité face à des groupes armés eux aussi brutaux.
Alors que le terrorisme est à fois dispersé et structuré, le fantasme du commandement centralisé a fini par soumettre des États qui ont choisi de confier la sécurité de leurs populations à d’autres États dont les plus en vue la France – ex-colon- et les États-Unis, puissance impériale. Cependant, le terrorisme se nourrit des frustrations relatives des populations. En cela, ses causes au-delà des considérations d’externalité, sont profondément structurelles.
Au Mali, pays-centre de l’Afrique Occidentale, les violences dites terroristes émergent dans des espaces déjà marqués par l’insécurité liée aux rébellions touareg et au trafic de tout genre
Faire face au terrorisme structurel
Le terrorisme au Sahel prend forme dans des États fragilisés. Au Centre et au Nord du Mali, il est le fait de groupes armés venus d’Algérie tels que le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) devenu Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI). Les actes terroristes sont aussi perpétrés par des groupes armés aux origines locales – Ansar dine de Iyad Ag Ghali. Au Sahel, l’idée et l’acte terroriste émergent dans des espaces où les États sont défiés au lendemain des indépendances.
La plupart des États africains font l’expérience de violences rebelles sécessionnistes, opportunistes, post-électoralistes, intercommunautaires. Au Mali, pays-centre de l’Afrique Occidentale, les violences dites terroristes émergent dans des espaces déjà marqués par l’insécurité liée aux rébellions touareg et au trafic de tout genre. Les violences dites terroristes se nourrissent de la fragilisation des États, mais aussi de la présence des guerres. Le terrorisme est structuré autour d’espaces abandonnés par les institutions et les administrations de l’État.
Les groupes armés jouent dans un premier temps le rôle de gouverneurs en terrifiant les populations si nécessaires. Ils gagnent la sympathie de certaines populations frustrées des manquements de leurs États. Ce terrorisme se positionne comme salvateur. Il investit les structures sociales, juridiques et judiciaires. Il promet le meilleur aux populations déshéritées, déniées et abandonnées.
Les guerres civiles créent les conditions du terrorisme. Ces guerres civiles peuvent fragiliser les États – Mali, Nigeria, Niger – et créer les conditions d’interventions intéressées des États de la sous-région et de la communauté internationale. La fragilisation des institutions étatiques crée un cadre propice à l’émergence d’autres acteurs non-étatiques , ici les groupes qui usent de moyens terroristes.
L’évolution d’Al-Qaïda d’abord en Afghanistan et ensuite au Pakistan, illustre cette corrélation entre guerre civile et violences terroristes. Au Sahel, la mobilisation par certains groupes contestataires du pouvoir central, de tactiques terroristes pour la conquête du pouvoir, les gains économiques voire symboliques n’est en soi pas inédit. Le terrorisme se nourrit dans cette partie du monde des germes des guerres civiles à savoir les frustrations relatives des populations locales. En outre, ce terrorisme structurel suit les tracées de la géopolitique des conflictualités, des situations de fragilités des États et de porosité de certaines frontières terrestres. Son implantation se fait dans des espaces qui regorgent des richesses inexploitées.
La plupart des États africains font l’expérience de violences rebelles sécessionnistes, opportunistes, post-électoralistes, intercommunautaires
Reconnaître et légitimer la raison d’État
La principale raison qui indique qu’il faille combattre autrement les violences dites terroristes, c’est que les réponses militaires dans le cadre du contre-terrorisme sont limitées. Le paradigme des interventions militaires, qui par ailleurs fait le jeu des terroristes, doit être repensé voire remplacé. La forte présence de forces militaires étrangères n’inverse pas la situation d’insécurité, encore moins qu’elle ne dissuade les actions meurtrières des groupes armés contestataires des gouvernements centraux.
L’histoire nous enseigne que le processus de construction des États africains est violent (coup d’État, guerres civiles, violences communautaires, violences post-électorales, génocides). Nous considérons tout de même certains processus de pacification comme le résultat de luttes. Ces dernières n’ont pas toujours été de l’ordre des violences qui se décrivent aujourd’hui au Mali, au Burkina-Faso, au Niger, au Nigeria. Le dialogue, les processus de reconnaissance mutuelle apaisés ont contribué aussi à la formation de nos États.
Les luttes contre le terrorisme participent d’une dynamique d’affirmation des États, d’imposition de leur légitimité – à raison. Ces luttes prennent les formes de violences des armées nationales contre les groupuscules « terroristes-djihadistes », des violences parfois déléguées dans le cadre du commerce de la violence, soit à des puissances étrangères ou encore à des milices dites d’auto-défenses. In fine, faisons remarquer que les États ne tirent pas les mêmes légitimités à lutter contre le terrorisme. Alors que nos partenaires occidentaux semblent gagner plus en légitimité aux dépens des États africains, il est aberrant de continuer à se refuser d’ouvrir de larges processus de dialogue, et de considérer le tout-militaire en partenariat avec les États occidentaux comme la grande panacée.
La forte présence de forces militaires étrangères n’inverse pas la situation d’insécurité, encore moins qu’elle ne dissuade les actions meurtrières des groupes armés contestataires des gouvernements centraux
La lutte contre le terrorisme doit prendre toute la mesure du partenariat dans le domaine sécuritaire surtout dans l’espace sahélien. Ce partenariat doit faire l’objet d’évaluation dans la déconstruction de la rhétorique terroriste. Les partenaires peuvent-ils constituer de véritables rivaux ? L’enjeu de la lutte contre le terrorisme est la gestion des violences politiques liées aux guerres civiles. Les outils de gestion/résolution des guerres civiles sont certes indispensables pour retrouver des relations sociales qui permettent aux populations de créer une croissance économique bénéfique à leur épanouissement ; mais ces mécanismes ne suffiront nullement. Il faudra donc les accompagner d’une politique étrangère rigoureuse et d’une politique de défense efficace.
Crédit photo : burkina24.com
Christian Abadioko Sambou est enseignant en Sciences politiques à l’Université de Lille. Diplômé de Science politique- Relations Internationales (Paris 1 Panthéon-Sorbonne), il est doctorant en Science politique à Paris-Saclay/ UVSQ. Ses recherches portent principalement sur les conflits armés, la sécurité, l’analyse statistique des violences politiques, les rapports États/groupes sociaux en Afrique subsaharienne.
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Je suis d’accord avec votre analyse.