Auteur: Fédération internationale des ligues des Droits de l’Homme FIDH
Type de publication: Guide Pratique
Date de publication: 2016
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La recevabilité exige que 7 conditions soient remplies, comme l’Article 56 de la Charte africaine le stipule. L’Article 56(5), l’obligation d’avoir épuisé les voies de recours internes, est la plus exigeante, c’est pourquoi elle sera traitée séparément et de manière plus détaillée par la suite. Les autres conditions, au nombre de 6, sont traitées ci-dessous. Les paragraphes 1 à 4 de l’Article 56 comportent des dispositions qui sont, pour les requérants, assez simples et claires à comprendre et qui ne doivent pas les préoccuper outre mesure.
Condition 1 : article 56(1) sur les auteurs et leurs représentants
Les communications doivent «indiquer qui sont les auteurs, même si ces derniers souhaitent conserver l’anonymat».
L’Article 56 (1) exige que les auteurs d’une requête soient nommés dans la Communication portée, même s’ils demandent à rester anonymes. Cet article est en réalité plus ambigu qu’il ne paraît au premier abord, car il peut être interprété comme faisant référence aussi bien aux victimes qu’aux personnes qui portent la communication devant la Commission. Il est plus prudent de l’interpréter de manière globale, soit faisant référence potentiellement aux victimes et aux requérants, puisque la plupart du temps, il ne s’agit pas des mêmes individus.
Cette disposition, qui exige de spécifier les noms des personnes requérantes, repose sur au moins deux justifications. La première vise à apporter la preuve d’un soutien à la requête déposée, que cette spécification nominative lui confère. La seconde permet à la Commission, de par la connaissance précise qu’elle aura des personnes portant la requête, d’être en contact avec elles au cours d’un processus qui peut s’avérer long. De fait, pour des raisons pratiques tout autant que formelles, il est important pour les requérants de fournir non seulement leurs noms et ceux des organisations auxquelles ils appartiennent, mais aussi des coordonnées à jour. Lorsque la Commission n’a pas été en mesure de correspondre avec des plaignants, elle a d’évidence classée les affaires concernées.
Le texte dispose que les requérants peuvent demander l’anonymat pour les victimes et éventuellement les requérants également, lorsqu’il ne s’agit pas des mêmes personnes. Dans ces cas, les noms et coordonnées des plaignants ne sont pas communiquées à l’État, mais doivent être fournies tout de même à la Commission. Les requérants peuvent demander l’anonymat s’ils craignent des représailles, par exemple.
Toutes les personnes impliquées dans le processus doivent être conscientes du fait qu’il est impossible de garantir une effectivité totale de ces dispositions, en particulier dans des cas de violations commises contre des individus, puisque les faits et le contexte dénoncés sont susceptibles en soi de donner des indications à l’État incriminé sur les personnes à l’origine de la communication à son encontre. Les plaignants doivent donc, en toute lucidité et en toute connaissance des capacités limitées des organes supranationaux à prévenir d’éventuelles représailles, mesurer le degré de risques de représailles dans le cas où ils décident de porter plainte.
Bien que le texte n’en dispose pas explicitement, il semble exister une flexibilité d’interprétation lorsque l’affaire implique un grand nombre de plaignants. Dans ces cas de figure, il est conseillé d’indiquer clairement le groupe au nom duquel la plainte est déposée. Certains requérants ont également décidé de mettre en avant des individus représentatifs du groupe de plaignants afin que leurs noms soient communiqués aux instances juridictionnelles. C’est une approche qui peut être intéressante pour ceux qui envisageraient de porter une plainte pour violations des droits humains concernant un groupe important de personnes.
Le mécanisme des droits humains en Afrique a clairement opté pour une approche très large concernant les requérants : une communication peut ainsi être portée par n’importe qui, et pas uniquement par les représentants directs des victimes ou leurs familles proches. Une interprétation large de la possibilité de saisine a aidé à promouvoir l’accès à la justice, en permettant que des requêtes soient portées, y compris lorsque les victimes n’avaient que peu de possibilité de le faire elles-mêmes.
Cas de figures possibles:
- Plainte déposée directement par la victime, par ex.: «Je, soussigné-ée, M. / Mme…, dépose cette communication devant la Commission/Cour en mon nom.»
- Plainte déposée par une victime en son nom et au nom d’autres victimes, par ex. : «Je, soussignée Mme…, dépose cette communication devant la Commission/Cour en mon nom, au nom de mon mari, de ma belle-fille et de mon défunt fils»;«Je, soussignée Mme…, dépose cette communication devant la Commission/Cour en mon nom et au nom d’autres individus victimes de violences policières lors de la manifestation du 10 octobre 2010.»
- Plainte déposée par des avocats ou ONG au nom des victimes, par ex.: «Nous, l’Institut des droits de l’Homme en Afrique et le Centre des droits humains en Afrique, déposons cette communication devant la Commission/Cour au nom de Mme…»
- Plainte déposée par des avocats ou des ONG au nom de multiples victimes, par ex.: «Nous, l’Institut des droits de l’Homme en Afrique et le Centre des droits humains en Afrique, déposons cette communication devant la Commission/Cour au nom de Mme… et d’autres individus victimes de violences persistantes, de déplacements forcés et de détentions arbitraires, qui ont cours dans le cadre du projet minier XYZ.»
Le mécanisme des droits humains en Afrique a clairement opté pour une approche très large concernant les requérants: une communication peut ainsi être portée par n’importe qui, et pas uniquement par les représentants directs des victimes ou leurs familles proches
Au titre de l’Article 5(3) du Protocole, la Cour africaine ne peut être saisie directement que par des ONG ayant le statut d’observateur auprès de la Commission. C’est pourquoi les ONG sont invitées à s’inscrire auprès de la Commission africaine au plus tôt si elles ne l’ont déjà fait, même si elles n’envisagent pas de saisir la Cour dans l’immédiat ou ne le peuvent actuellement, car elles obtiendront ainsi le statut permettant de saisir la Cour à l’avenir. Les saisines individuelles sont toujours possibles, donc l’absence de statut d’observateur n’aura d’incidence que dans la mesure où une ONG sans statut d’observateur ne pourra pas, elle, déposer formellement une plainte.
Comment obtenir le statut d’observateur:
- Déposer une demande au moins 3 mois avant une session de la Commission: la demande doit être envoyée au Secrétaire de la Commission.
- La demande doit inclure: des preuves juridiques et tangibles que l’État a voté des lois, mène des politiques ou a recours à des pratiques qui violent le droit d’association; une liste des membres de l’association et un organigramme; le dernier bilan comptable et les sources de financements; un descriptif de l’objet de l’association, de ses objectifs, de son domaine d’activité, un plan d’action et un bilan d’activités.
- Selon ses règles de procédure, la Commission prend une décision lors de la session suivante. En pratique, c’est souvent beaucoup plus long.
- En sus de la possibilité de saisir la Cour, le statut d’observateur permet une plus grande interaction avec les travaux de la Commission lors de ces sessions.
Condition 2: Article 56 (2) Juridiction
Les communications doivent être «compatibles avec l’acte constitutif de l’Union Africaine et avec la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples».
Les termes de l’Article 56(2) sont assez confus, et ils ont été remarquablement décryptés par Viljoen. Au cœur de l’exigence de compatibilité d’une communication avec la Charte, se trouvent la nécessité d’attaquer un État ayant ratifié la Charte (ratione personae), celle de dénoncer la violation d’une disposition de la Charte (ratione materiae) et celle de rapporter une violation commise depuis l’entrée en vigueur de la Charte (ratione temporis).
Condition 3: article 56 (3) langage
La communication ne doit pas «contenir de termes outrageants ou insultants à l’égard de l’état mis en cause, de ses institutions ou de l’union africaine».
L’Article 56(3) impose une condition quelque peu spécieuse au regard de la Charte africaine : que les communications n’utilisent pas de termes outrageants ou insultants. L’intérêt de cette condition eu égard aux droits de l’Homme a été mis en cause par de nombreux analystes. Néanmoins, dans la mesure où cette condition est toujours en vigueur, il est important pour les plaignants de la garder présente à l’esprit et d’éviter toute terminologie qui pourrait être considérée comme outrageante, comme par exemple des descriptions outrageantes du gouvernement en place ou l’utilisation d’un ton moqueur. Il est préférable de s’en tenir à une description factuelle et dépassionnée.
Condition 4: article 56 (4) éléments de preuve
La communication ne doit pas «exclusivement s’appuyer sur des informations diffusées par des moyens de communication de masse».
L’Article 56(4) stipule que les communications ne doivent pas uniquement se fonder sur les médias. Il s’agit d’une disposition restrictive dans un article par ailleurs très large. Cela ne signifie pas que les sources médiatiques ne peuvent pas être utilisées du tout, mais qu’elles doivent venir appuyer des preuves étayées par d’autres sources au préalable, par exemple des récits de témoins ou des témoignages de victimes. À l’étape de l’examen sur le fond, les requérants doivent fournir un nombre important de preuves, mais pendant la phase de recevabilité, ils doivent simplement démontrer que la communication introduite ne se fonde pas uniquement sur des récits médiatiques.
Au titre de l’Article 5(3) du Protocole, la Cour africaine ne peut être saisie directement que par des ONG ayant le statut d’observateur auprès de la Commission
Condition 5: article 56(6) temporalité
La communication doit être «introduite dans un délai raisonnable à compter de l’épuisement des voies de recours internes ou du moment où la commission est saisie».
La condition de temporalité de l’Article 56(6) stipule que les communications doivent être introduites dans un délai raisonnable à compter de l’épuisement des voies de recours internes. Le texte est clair sur le fait que cette exigence prend en compte un épuisement effectif des voies de recours internes, non les cas où une exception à l’épuisement est requise. Ce, afin d’empêcher que des jugements rendus par des juridictions internes ne soient contestés bien après qu’ils ont été prononcés, dans un souci de stabilité et de garantie juridique.
Lorsque les voies de recours internes ont bien été épuisées, les mécanismes européen et interaméricain concèdent en général un délai de six mois pour introduire des requêtes ; en revanche, la Commission africaine s’est montrée plus flexible, statuant qu’elle « traite au cas par cas en fonction des éléments sur le fond, pour fixer un délai raisonnable ». Bien entendu, ceci s’applique aux jugements rendus en défaveur des plaignants. Si le jugement rendu contre l’État accusé est favorable aux requérants, mais qu’il n’est pas appliqué, un délai supplémentaire peut être invoqué. De même, si le jugement rendu par la juridiction interne demande au Parlement d’agir, les plaignants peuvent légitimement attendre de voir ce qu’il en est avant d’introduire une requête, ce qui allonge le délai entre le jugement rendu au niveau national et la plainte portée au niveau régional.
Condition 6: article 56(7) éviter les conflits de règlement
La communication ne doit pas «concerner des affaires déjà réglées, au sein des états incriminés, en accord avec les principes de la charte de l’ONU, ou de la charte de l’UA ou de la charte africaine».
L’Article 56(7) de la Charte dispose que « les affaires qui ont été réglées par des États incriminés, en accord avec les principes de la Charte de l’ONU, ou de la Charte de l’UA, ou des dispositions de la Charte africaine » ne peuvent être instruites. L’objectif de cette clause est évident: il s’agit d’éviter des conflits de jugements, et de promouvoir une justice efficiente en garantissant que la même affaire n’est pas connue de différentes instances simultanément.
Le sens profond de cette clause est toutefois plus compliqué qu’il n’y paraît: en effet, que signifie exactement « la même affaire »? Clairement, il s’agit d’éviter qu’un dossier identique (comportant les mêmes détails ou les mêmes arguments) ne soit introduit auprès de deux organes d’arbitrage en même temps, et se rapproche alors des clauses de non bis in idem que l’on trouve dans les textes constitutifs d’autres juridictions supranationales de droits humains. Dans ce cas Dans ce cas, la règle s’appliquerait aussi bien à des instances nationales qu’à des instances supranationales compétentes en matière de droits de l’Homme.
Néanmoins, lorsque différents faits ou arguments juridiques entrent en ligne de compte, ou lorsqu’un État ne respecte pas un jugement préalablement rendu, l’affaire est portée devant une autre juridiction et il y a de fortes raisons de considérer que la règle ne s’applique alors pas. Finalement, le terme «règlement» n’est pas clair et il conviendrait de l’interpréter comme faisant référence à la résolution des questions qui sous-tendent une affaire. En revanche, lorsque ce sont des organes politiques ou judiciaires non particulièrement soucieux de respect des droits humains qui se sont penchés sur les dites questions, la règle devrait s’appliquer, à moins que les questions de droits n’aient été correctement traitées et les violations, réparées.
L’exigence d’épuisement des voies de recours internes est au cœur de la phase d’examen de recevabilité. Un certain nombre de prérequis de base la sous-tendent, parmi lesquels les trois principaux sont:
- Que l’État mis en cause ait eu la possibilité de répondre sur les accusations qui sont portées à son encontre;
- Que l’organe international saisi ne remplisse pas le rôle d’une cour de première instance;
- Que la règle de l’épuisement contribue à renforcer la fonction de complémentarité de l’instance judiciaire internationale.
Les saisines individuelles sont toujours possibles, donc l’absence de statut d’observateur n’aura d’incidence que dans la mesure où une ONG sans statut d’observateur ne pourra pas, elle, déposer formellement une plainte
Le premier prérequis, concernant l’opportunité d’une première réponse octroyée à l’État mis en cause, est garant des intérêts de l’État. Toutefois, il existe des limites. Si l’État est sincèrement non conscient des violations dont il est question, il est raisonnable de considérer qu’il doit en être informé. Cependant, dans de nombreuses cas, ces allégations de non-conscience sonnent faux, dans la mesure où une violation ou une systématicité de violations sont en général bien documentées et l’État peut même y être mentionné s’il est impliqué dans les violations commises. À partir de ce constat, la Commission africaine reconnait, par exemple, que dans les affaires impliquant des violations massives, l’État incriminé ne peut alléguer une non-conscience des violations en question.
Le deuxième prérequis pour l’épuisement des voies de recours internes, concernant le fait que l’organe international saisi ne devienne pas la juridiction de première instance à se prononcer sur le cas, conforte les intérêts du mécanisme supranational des droits de l’Homme. La logique qui sous-tend ce prérequis est celle de la capacité de l’instance internationale à connaître d’une énorme quantité de violations des droits humains commises dans son périmètre de compétence.
Cette attention portée à la capacité des organes supranationaux est extrêmement importante, car elle entérine le fait que les instances internationales doivent faire preuve d’une grande rationalité sur leur manière de gérer leur temps, leurs ressources et leur capacité d’attention, car elles ne disposent de tout cela qu’en quantité limitée. Mais, une fois encore, ce prérequis en lui-même ne clarifie pas les limitations de l’application de la règle de l’épuisement. C’est-à-dire qu’il ne précise pas exactement comment les paramètres de cette règle de l’épuisement sont organisés, de façon à ce que les ressources limitées de l’instance internationale soient utilisées de manière optimale.
Le troisième prérequis apporte une réponse plus convaincante. Il s’agit de celui de la complémentarité, qui apporte une garantie d’effectivité au mécanisme dans sa globalité. La complémentarité doit être considérée comme le prérequis majeur de la condition d’épuisement des recours internes. Le principe de complémentarité dispose que, lorsqu’une instance nationale peut apporter des garanties de réparation, elle doit le faire sans qu’un organe supranational ne soit impliqué. Cela permet de préserver les capacités et ressources de l’organe international, tout en garantissant la primauté des mécanismes nationaux.
En revanche, dans le cas où les juridictions nationales ne sont pas en mesure d’apporter de réponse satisfaisante, l’instance internationale doit intervenir. Chaque pays dispose d’un système de recours internes qui lui est propre, il est donc impossible de donner une marche à suivre pour épuiser les voies de recours internes qui soit valable partout de manière uniforme. Ceci dit, les paramètres de bases étant assez similaires dans les différents pays, des lignes directrices peuvent être exposées.
En fonction de la nature de l’affaire, l’État peut lancer une procédure légale, ou bien les plaignants peuvent le faire. Les affaires dans lesquelles les États sont à l’initiative peuvent enfreindre les droits humains dans les cas où elles impliquent des poursuites pénales, des atteintes à la liberté d’expression, des requêtes contre des médias ou des associations de la société civile, et d’autres faits similaires. Dans ces cas là, les avocats au niveau national ont fort intérêt à contester la charge le plus loin possible dans le cadre des juridictions nationales.
Cela peut se faire en apportant des preuves contradictoires, en réfutant les dispositions législatives sur lesquelles l’État se fonde, et en interjetant des appels devant des juridictions supérieures, y compris des instances constitutionnelles si et quand cela est possible. Dans le meilleur des cas, les requérants doivent porter l’affaire jusqu’à la plus haute juridiction au niveau national, épuisant ainsi toutes les voies de recours internes. Cependant, dans de nombreux cas – développés ci-dessous – cette démarche est obstruée par une absence de recours constitutionnels accessibles ou par des délais de procédures excessifs. Dans ces cas-là, il existe des motifs solides pour qu’une plainte au niveau supranational soit recevable.
Dans d’autres cas de figure, l’État peut enfreindre les droits sans avoir initié de procédure légale dans le cadre judiciaire. Par exemple, dans le cas de détentions arbitraires ou de procès devant des juridictions militaires. Les avocats doivent alors essayer de transférer l’affaire devant une instance judiciaire compétente. Si cela n’était pas possible, encore une fois il existerait des fondements solides permettant d’introduire l’affaire au niveau supranational et qu’elle soit recevable.
Les systèmes juridiques en vigueur dans les pays anglophones, de nature jurisprudentielle, ont en général des recours internes plus effectifs, car les Constitutions de ces pays ont pour la plupart accepté le principe de plaintes individuelles permettant de contester, sur la base du droit, la constitutionnalité des lois.
La complémentarité doit être considérée comme le prérequis majeur de la condition d’épuisement des recours internes
Les plaignants doivent donc d’abord présenter leur requête devant la Cour suprême avant de se diriger vers les organes supranationaux. Si la Cour suprême se déclare incompétente ou rend un verdict inefficace, l’affaire peut alors être portée devant la Cour ou la Commission africaine, après épuisement des voies de recours internes.
Lorsqu’il s’avère impossible de passer par les mécanismes juridiques nationaux pour engager un recours contentieux, on se trouve dans un cas d’exception à la règle de l’épuisement des voies de recours internes. Cette impossibilité peut découler de nombreuses raisons. En premier lieu, ce peut être parce qu’une loi ou une politique est directement préservée de toute contestation en justice: soit parce qu’elle est située en dehors du champ des juridictions internes et démontre par là que les tribunaux ordinaires ne sont ni indépendants, ni libres, ni justes dans leur fonctionnement, soit parce qu’elle est directement concernée par une disposition légale ou une jurisprudence lui conférant l’immunité.
Ainsi, dans Constitutional Rights Project et al. c. Nigeria la Commission a considéré la plainte comme recevable sur la base d’un cas d’exception, justifié par le fait que les plaignants ont opposé «des clauses d’exemption (…) empêchant les juridictions ordinaires de recevoir des plaintes introduites auparavant devant des tribunaux spéciaux, ou de faire office de juridiction d’appel de décisions rendues par ces tribunaux spéciaux». De surcroît, la Commission a souligné que «Le décret de pratiques juridiques (Legal Practitioners Decree) stipule qu’il ne peut pas être contesté en justice et que quiconque essaierait de le faire commettrait par là même un délit. Le décret constitutionnel (sa modification ou suspension) ne peut légalement être contesté par les juridictions nigérianes.»
La Commission en conclut donc que : «Les clauses d’exemptions rendent les voies de recours internes inexistantes, inefficaces ou illégales. Elles créent une situation dans laquelle le pouvoir judiciaire n’a aucun droit de regard sur la branche exécutive du gouvernement… dans la mesure où il n’existe aucune base légale pour contester l’action gouvernementale dans le cadre des dits décrets…»
«Il est donc fort probable que des procédures engagées par ces voies de recours internes non seulement seront soumises à des délais démesurément longs, mais ne permettront pas d’obtenir de quelconques résultats.» Il existe une exception: si la disposition légale octroyant l’immunité peut elle-même être contestée, il conviendra de le faire. Toutefois, ce ne sera nécessaire que dans le cas d’un recours offrant une possibilité réelle d’obtenir gain de cause.
Les lois d’amnistie constituent une autre immunité possible au niveau national, dans ce cas il s’agit d’une immunité appliquée à des individus et concernant des poursuites criminelles dont ils feraient l’objet. Une fois encore, s’il existe un instrument interne permettant de contester ces lois d’amnistie, il sera nécessaire de le saisir. Une exception pouvant se justifier uniquement en l’absence d’un tel recours. Ainsi, dans Zimbabwe Human Rights NGO c. Zimbabwe, la Commission a statué que:
«Exiger du plaignant qu’il conteste la légalité de l’Ordre de clémence de la Cour constitutionnelle du Zimbabwe, demanderait au plaignant de s’engager dans une procédure qui n’apporterait pas de réparation immédiate aux victimes des violations … Exiger donc des victimes qu’elles aient d’abord saisi la juridiction constitutionnelle avant de pouvoir introduire une requête au niveau des juridictions nationales ordinaires, afin d’obtenir justice et réparation d’actes criminels commis à leur encontre, aurait très certainement pour conséquence de les pousser à s’engager dans un processus excessivement long avant de pouvoir obtenir réparation.»
Une réflexion sommaire sur l’objet même des mécanismes supranationaux de droits humains en général, et sur la règle de l’épuisement des voies de recours internes en particulier, suffit à expliquer pourquoi. L’objectif des mécanismes de droits humains est de garantir que les droits individuels sont respectés et effectifs, ce qui requiert non seulement des mesures et garanties au niveau individuel, mais aussi des cadres juridiques appropriés. Pour atteindre cet objectif, les mécanismes juridiques donnent aux individus la possibilité de contester les cadres juridiques qui ne remplissent pas les conditions de respect des droits.
Lorsqu’un mécanisme interne ne permet aux individus ni de contester, ni de modifier une loi ou une politique qui viole les droits, le mécanisme en question sera inefficace pour promouvoir le respect des droits humains en général, et ne respectera pas le droit à un recours effectif et à une juste réparation. Les mécanismes supranationaux ont donc aidé à promouvoir des mécanismes nationaux plus efficaces en matière de droits, en délimitant un champ d’exceptions à la règle de l’épuisement des voies de recours internes.
Les systèmes juridiques en vigueur dans les pays anglophones, de nature jurisprudentielle, ont en général des recours internes plus effectifs, car les Constitutions de ces pays ont pour la plupart accepté le principe de plaintes individuelles permettant de contester, sur la base du droit, la constitutionnalité des lois
Bien entendu, il existe, en pratique, d’autres moyens de contester des cadres juridiques ou politiques, qui ne sont en tant que tels pas fondés sur l’exigence de respect du droit. Bien qu’il puisse s’avérer nécessaire d’épuiser ce type de recours, s’ils répondent aux critères et principes définis plus haut, il n’en demeure pas moins important, dans la perspective du droit, de promouvoir et faciliter l’accès aux recours contentieux. Il se peut donc qu’à l’avenir, de plus en plus de cas d’exceptions à la règle d’épuisement des voies de recours internes soient constatés, dans le cadre de mécanismes nationaux qui ne permettent pas de contester des lois en vigueur ou qui ne sont pas explicitement fondés sur l’accès aux droits.
Ci-dessous sont énumérés les différents facteurs que les plaignants doivent prendre en compte lorsqu’ils décident de porter affaire au niveau du mécanisme régional des droits de l’Homme en Afrique, et une structure de base pour élaborer leur plainte est proposée:
- Qui est le plaignant? S’il s’agit d’une ONG, dispose-t-elle du statut d’observateur auprès de la Commission?
- L’État attaqué par les plaignants a-t-il adhéré aux dispositions de l’Article 34(6) du Protocole, autorisant les saisines individuelles de la Cour africaine? Si oui, les plaignants peuvent alors introduire une plainte directement auprès de la Cour. Dans le cas contraire, les requérants issus de tous les pays d’Afrique sauf le Maroc et le Soudan, peuvent se diriger vers la Commission.
- Est-ce que les exactions dénoncées ne concernent qu’une seule personne, ou bien font-elles partie d’une situation plus large de violations généralisées et systématiques? Les affaires concernant des situations de violations commises sur des victimes multiples ont davantage de possibilités d’être exemptées de la règle de l’épuisement des voies de recours internes, de conserver leur pertinence malgré un temps long d’instruction, et peuvent plus probablement conduire à des changements profonds et structurels.Bien qu’une plainte ne concerne qu’un seul individu, la situation dénoncée en l’espèce impliquera souvent des cas d’exactions multiples et systématiques, qui devront être mis en lumière.
- Toutes les voies de recours internes ont-elles été épuisées, au cours des six derniers mois (ou dans un délai supérieur mais dûment justifié)? Si oui, la requête peut être portée devant les instruments internationaux car elle a de fortes chances d’être recevable.
- Existe-t-il des motifs clairs d’exception à la règle de l’épuisement des voies de recours internes? Si oui, l’affaire a également de fortes chances d’être déclarée recevable par les instances supranationales des droits de l’Homme, notamment parce qu’elles leur permettra de prendre en compte les failles du mécanisme national de réparation des violations des droits humains, et les violations sous-jacentes dont ces failles, en soi, sont le révélateur.
De plus, pour mener à bien un dépôt de plainte au niveau du mécanisme supranational en Afrique, les plaignants doivent s’interroger sur les points suivants:
- Existe-t-il des menaces de représailles ou de harcèlement sous une forme ou une autre? Si oui, des mesures provisoires de protection devraient être exigées.
- Le texte de la plainte contient-il la liste des noms des requérants? La plainte a-t-elle été rédigée en utilisant une terminologie non insultante? S’appuie-t- elle sur d’autres sources que les informations diffusées par les médias?
- L’affaire a-t-elle déjà été jugée, ou est-elle en cours d’examen, par une autre juridiction? Si oui, les plaignants devront prouver que les violations dénoncées n’ont pas été dûment prises en compte, ou que la plainte déposée devant les instances supranationales est différente de celle jugée précédemment.
- La plainte met-elle en relation les violations dénoncées avec des dispositions précises de la Charte africaine?Ici, les requérants ont vivement intérêt à prendre le temps nécessaire pour appréhender la situation dans sa totalité et lister toutes les violations, compris celles liées à la procédure en tant que telle et au cadre juridique dans lequel elle s’inscrit. Plus la plainte sera détaillée, plus elle aura de chance de franchir avec succès toutes les étapes de la procédure, et plus son impact s’en trouvera in fine renforcé.
- Si une exception à la règle de l’épuisement est alléguée, la plainte précise t- elle suffisamment les motifs pouvant la justifier?
- Dans les cas concernant des violations massives ou systématiques, celles-ci sont-elles signalées?
- Dans les cas concernant des violations continues ou d’éventuelles répétitions des violations, ces possibilités ont-elles été signalées?
Étapes du processus de recevabilité
- Fournir séparément de la communication les noms des victimes et de leurs représentants (si les victimes ont demandé l’anonymat) et leurs coordonnées.
- Au sein de la communication :Noms des victimes et de leurs représentants (si l’anonymat n’a pas été requis par les plaignants) et nom de l’État partie attaqué.
- Présentation générale des principaux faits.
- Articles de la Charte potentiellement enfreints.
- Déclarations de conformité avec les Articles 56(1), 56(2), 56(3), 56(4) et 56(7) de la Charte et éléments pertinents à fournir relatifs aux dits articles.
- Argumentaire relatif à l’Article 56(5) de la Charte : preuve que les recours internes ont été épuisés ou motivation d’une exception à la règle.
- Argumentaire relatif à l’Article 56(6) de la Charte : démonstration d’une introduction rapide de la plainte après épuisement des recours internes ou justification d’un délai supplémentaire, ou réitération des raisons justifiant l’exception à l’épuisement des voies de recours internes comme base à l’exception de la condition de temporalité également.
- Suggestion préliminaire des mesures de réparations qui pourraient être ordonnées par la Cour (ex. réformes de la loi, compensations individuelles, réparations collectives).
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