Auteurs : Gilles Babinet, Théphile Lenoir
Organisation affiliée : Institut Montaigne
Type de publication : Article
Date de publication : 31 mars 2020
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Les plateformes numériques et les États ont entretenu une relation conflictuelle par le passé, du fait d’objectifs divergents. Aujourd’hui, du fait d’un contexte particulier, ils semblent alignés sur le résultat à atteindre : contenir la pandémie et ses conséquences. S’ils coopèrent, les États prennent conscience du fait que leurs actions sont limitées sans la participation des plateformes et des technologies qui leur sont habituellement attribuées. Quelles leçons en tirer?
On le lit souvent, l’émergence des plateformes numériques a altéré la souveraineté des États. Les acteurs du numérique, avec des offres de service allant de la livraison à domicile jusqu’à la mise à disposition de contenus en passant par le logement, créent les règles du cadre de vie des citoyens de nombreux pays. Pendant longtemps, ces règles étaient énoncées par les États uniquement. Mais, ces quinze dernières années, les plateformes ont pu inscrire leurs propres “lois” dans des conditions générales d’utilisation traduites en code informatique. Inévitablement, cela a généré des débats animés et pousse les États à réaffirmer leur souveraineté.
In fine, l’enjeu reste celui de la gouvernance des technologies : qui a un droit de regard, quels sont les contre-pouvoirs, qui est inclus dans la prise de décision, etc
Récemment, les États ont tapé du poing sur la table au travers de nombreux textes légaux, comme la loi contre les contenus haineux sur Internet, la loi d’orientation des mobilités, la future loi audiovisuelle, etc. Cette relation est néanmoins conflictuelle, comme le démontrent les débats animés autour de chacun de ces textes. Pourtant, à l’heure du Covid-19, nous voyons qu’il est possible pour les plateformes numériques et les États de coopérer de façon souple et rapide, dans une poursuite du bien commun.
Coopérer pour assurer le bon fonctionnement des réseaux
La Commission européenne, en la personne de Thierry Breton, a échangé le 18 mars avec les dirigeants de Netflix et de YouTube afin de trouver un accord pour limiter la saturation des réseaux. Pour rappel, un pic de consommation avait été observé le 10 mars à Francfort. En conséquence, les plateformes de streaming se sont engagées à mettre par défaut une qualité vidéo plus basse – à noter que les utilisateurs peuvent décider de la réhausser s’ils le souhaitent.
Trois jours plus tard, un second communiqué est rédigé afin de “saluer les mesures prises par les grands fournisseurs de contenus sur Internet pour préserver le bon fonctionnement des réseaux de télécommunication”: Netflix, YouTube, Facebook, AmazonPrime ou encore Twitch ont ainsi agi pour limiter la consommation de bande passante. Disney a également retardé la sortie de sa nouvelle plateforme de streaming, prévue le 24 mars, au 7 avril, une action qui avait été encouragée par les opérateurs.
Pourtant, à l’heure du Covid-19, nous voyons qu’il est possible pour les plateformes numériques et les États de coopérer de façon souple et rapide, dans une poursuite du bien commun
Nous voyons ici que, dans le cas du fonctionnement des réseaux, les plateformes et les États ont coopéré rapidement, en respectant chacun un rôle : l’État alerte les plateformes quant aux enjeux que pose la crise pour ses infrastructures essentielles, et les plateformes, qui mobilisent largement ces infrastructures, prennent des mesures concrètes pour les ménager et assurer leur bon fonctionnement.
Agir pour contenir les désinformations
Sur la thématique du Covid-19, chaque plateforme (Facebook, Google, YouTube, Whatsapp, Twitter, Instagram, Reddit, Snapchat, Pinterest, et aussi WeChat et TikTok) a pris des dispositions pour enrayer le nombre et l’impact des désinformations. Il s’agit par exemple de limiter la publicité sur des contenus frauduleux, de diffuser des informations fiables, ou de mettre en avant de contenus d’autorités telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS).
Chaque initiative prouve le volontarisme des plateformes et leur capacité à agir, posant chez les analystes des questions concernant leur niveau d’implication sur le sujet de la désinformation en dehors de la crise actuelle. On lit dans cette posture une volonté de faire amende honorable à l’égard de comportements qui avaient largement entamé leur crédibilité, comme l’affaire Cambridge Analytica. A l’avenir, il est vraisemblable que celles-ci seront plus promptes à répondre aux injonctions des États, qu’il s’agisse d’ailleurs de démocratie ou d’États autoritaires. Et pourtant, on voit aujourd’hui émerger des situations délicates, comme au Brésil, où Twitter a supprimé des publications du Président qui niaient la nécessité de mesure sanitaires.
Les plateformes ne sont pas les seules à agir. Si elles semblent les plus actives, les gouvernements ont mis en place des commissions pour surveiller les messages de désinformation qui circulent et apporter des corrections. À nouveau, des rôles se dessinent : si les plateformes mettent en place des mécanismes d’accès à l’information (c’est après tout leur coeur de métier), elles n’ont pas l’ambition de décider d’elles-mêmes ce qui est vrai ou faux. Quant aux espoirs d’une régulation reposant largement sur l’AI, ceux-ci se sont révélés particulièrement décevants. C’est donc en s’appuyant sur les analyses de commissions gouvernementales ou supranationales (comme l’OMS) que les plateformes agissent pour donner la bonne information à la bonne personne.
Quelles leçons en tirer ?
Cette crise nous présente des choix concernant la relation que nous voulons créer entre plateformes et États.
Sur la thématique du Covid-19, chaque plateforme (Facebook, Google, YouTube, Whatsapp, Twitter, Instagram, Reddit, Snapchat, Pinterest, et aussi WeChat et TikTok) a pris des dispositions pour enrayer le nombre et l’impact des désinformations. Il s’agit par exemple de limiter la publicité sur des contenus frauduleux, de diffuser des informations fiables, ou de mettre en avant de contenus d’autorités telles que l’Organisation mondiale de la santé (OMS)
D’un côté, la crise souligne un fait : si le rôle des États est d’organiser des ressources pour agir dans l’intérêt commun, aujourd’hui une partie non négligeable de la capacité d’action est entre les mains des plateformes. Dans la situation actuelle, où les objectifs de tous sont alignés, la répartition des rôles entre planification et action semble fonctionner. Dans cette première manière de voir l’après-crise, la gouvernance des outils numériques à fort impact sur le bien commun est repensée à partir de cette expérience : de nouvelles voies de communication entre États et plateformes sont ouvertes (par exemple, pour décider ce que constitue un contenu problématique ou un biais algorithmique), généralement par l’intermédiaire d’un régulateur dédié ou, comme en France, d’une réorientation du régulateur de l’audiovisuel, le CSA.
De l’autre côté, la crise met en évidence le potentiel du numérique pour les États. Ainsi, la Commission européenne réfléchit à l’utilisation des données de localisation des opérateurs télécoms pour anticiper la propagation du virus – ces données seraient anonymisées et agrégées -, alors que les États-Unis avancent dès à présent dans cette direction. Les États sont donc tentés de mettre en place leur propres infrastructures numériques en mettant en commun des bases de données aujourd’hui éparses.
Dans cette seconde vision, l’État développerait une capacité d’analyse similaire à celle des plateformes numériques, d’abord au profit de la gestion de la crise sanitaire et, dans un second temps, étendue à d’autres domaines. La question est de savoir à quelles fins utiliser cette capacité d’analyse : soit à des fins de contrôle, soit dans un but d’empowerment du citoyen. Il est probable que les pouvoirs publics avancent dans les deux sens. In fine, l’enjeu reste celui de la gouvernance des technologies : qui a un droit de regard, quels sont les contre-pouvoirs, qui est inclus dans la prise de décision, etc.
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