J’aurais voulu ne pas parler de conflits, de violence, d’insécurité cette semaine mais comment ne pas évoquer la guerre qui menace de s’étendre à l’est de la République démocratique du Congo (RDC) et peut-être au-delà? Comment ne pas penser au sort des populations civiles martyrisées depuis des décennies dans cette partie de ce vaste pays au cœur du continent? En cinq jours d’affrontements à Goma, chef-lieu de la province du Nord-Kivu, le bilan s’élèverait selon les premières estimations des Nations unies à au moins 700 morts et 2800 blessés. Un bilan provisoire établi alors qu’un calme précaire est revenu dans cette ville contrôlée par le groupe rebelle du M23 et son soutien décisif, l’armée rwandaise dont la présence sur le territoire congolais est établie depuis plusieurs mois.
Les meneurs de cette offensive signalent leur intention de ne pas s’arrêter à Goma et de cibler désormais le Sud-Kivu. Corneille Nangaa, ancien président de la Commission électorale nationale indépendante de la RDC, qui a lancé l’Alliance Fleuve Congo (AFC) en décembre 2023, et qui entend représenter l’aile politique du M23, a même affirmé lors d’une conférence de presse à Goma vouloir aller jusqu’à Kinshasa pour renverser le président Tshisekedi.
Il est évident que les conflits dans l’est de la RDC, au sous-sol extrêmement riche, sont nourris depuis des décennies par la juxtaposition d’intérêts économiques d’une grande diversité d’acteurs étrangers de tous les continents, Occidentaux, Asiatiques, Africains voisins immédiats ou non de la RDC et bien sûr de cercles privilégiés de Congolais, autant d’acteurs pour lesquels le maintien des populations dans l’insécurité permanente, l’errance récurrente et une misère inacceptable, ne pose aucun problème de conscience.
Malgré les dizaines de millions de dollars injectés dans la restructuration et le renforcement des capacités des forces armées congolaises au cours des dernières années, déployées précisément dans l’est du pays où prospèrent les groupes armés, le pouvoir de Kinshasa a dû recourir à des entreprises de sécurité privées, autrement dit des mercenaires, qui ont vite fait de déposer les armes face aux combattants du M23 et de l’armée rwandaise. On a vu les images de dizaines de mercenaires roumains en cours d’évacuation de Goma.
Si les derniers événements ont à nouveau montré la faiblesse de l’appareil sécuritaire de la RDC, ils ont exposé aussi de manière incontestable la violation de l’intégrité territoriale de la RDC par le Rwanda de Paul Kagamé et la disposition de ce dernier à faire prendre un risque énorme à toute une partie du continent, celui de basculer dans une nouvelle guerre en RDC impliquant plusieurs pays d’Afrique du Centre, de l’Est et de l’Afrique australe. Le dernier rapport du groupe d’experts des Nations unies sur la République démocratique du Congo daté du 27 décembre 2024, décrit très clairement l’engagement des forces armées rwandaises en soutien au M23.
On peut y lire ceci : « Au Nord-Kivu, un cessez-le-feu conclu entre la République démocratique du Congo et le Rwanda n’a pas empêché la coalition AFC-M23, disposant de l’appui constant de la Force de défense rwandaise (RDF), de s’étendre considérablement, notamment dans le territoire de Walikale, riche en minéraux. La RDF utilise une technologie militaire de pointe qui a assuré la suprématie militaire de la coalition AFC-M23 dans le Petit Nord. ».
Le rapport soulignait aussi les motivations économiques de la guerre: « La coalition AFC-M23 a pris Rubaya, qui possède la plus grande mine de coltan de la région des Grands Lacs. Elle a mis en place une administration parallèle, qui contrôle les activités minières, le commerce, le transport et l’imposition des produits minéraux. Au moins 150 tonnes de coltan ont été frauduleusement exportées par mois vers le Rwanda et mélangées à la production rwandaise, donnant lieu à la plus grande contamination jamais enregistrée à ce jour des chaînes d’approvisionnement en minéraux dans la région des Grands Lacs. »
Dans son rapport précédent daté du 4 juin 2024, le groupe d’experts, décrivant l’émergence de l’Alliance Fleuve Congo, indiquait que les représentants de ce mouvement parcouraient depuis décembre 2023 le Sud-Kivu, le Nord-Kivu et l’Ituri, ainsi que le Kenya, le Rwanda, la République-Unie de Tanzanie et l’Ouganda, pour obtenir l’appui des groupes armés, des acteurs politiques et des chefs locaux. La présence de troupes de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), notamment sud-africaines, celles du Burundi dont les relations sont aussi tendues avec le Rwanda, signifient que le risque d’un embrasement régional est réel et imminent.
On ne le dit pas assez : l’existence de mécanismes comme les groupes d’experts mandatés par le Conseil de sécurité qui font un travail crédible d’établissement et de vérification des faits, en prenant des risques importants, est précieuse. Deux experts avaient été tués en mars 2017 pendant qu’ils enquêtaient au Kasaï. Même si les membres permanents du Conseil de sécurité et les autres acteurs qui défendent leurs propres agendas en RDC et dans la région tergiversent, se neutralisent et se contentent de déclarations sans impact notable sur les développements sur le terrain, personne ne peut aujourd’hui contester le degré d’implication militaire de Kigali dans la déstabilisation de son grand voisin.
Ce n’est pas seulement ce qui se joue en RDC et dans son voisinage immédiat qui doit attirer l’attention des Africains qui veulent d’un continent en meilleur état dans les prochaines années. Le Soudan, troisième pays le plus vaste du continent derrière l’Algérie et la RDC, est plongé dans une guerre civile dont on ne voit pas la fin. La perspective d’une somalisation avec des bouts de territoire qui seraient contrôlés durablement par des factions armées est de plus en plus évoquée par des analystes.
En Afrique de l’Ouest, la fragmentation de la région entre, d’une part, les pays membres de la CEDEAO, désormais 12, et de l’autre, le Mali, le Niger et le Burkina Faso qui ont quitté cette communauté régionale, est actée depuis le 29 janvier. Partout sur le continent, des dynamiques mortifères sont en train de s’imposer : le choix de la militarisation et de la guerre comme mode de résolution privilégié des conflits, les divisions au sein de chacune des régions du continent, la montée de l’animosité entre les dirigeants de pays voisins et la poursuite de l’affaiblissement des communautés régionales et de l’Union africaine. Vous me direz que ces tendances sont mondiales et pas seulement africaines. Mais l’Afrique a déjà beaucoup donné, la RDC et le Soudan notamment, et il est peut-être temps de créer les conditions d’une distribution plus juste de la paix, de la sécurité, de la sérénité, des souffrances, de la violence et de la guerre, à travers le monde.