La question m’a été posée par un participant à une rencontre d’acteurs du changement social de plusieurs pays africains il y a quelques semaines. Que pensez-vous de la durée des mandats présidentiels ? La durée habituelle de 5 ans dans beaucoup de pays africains, voire de 4 ans dans quelques-uns, ne signifie-t-elle pas que le président a à peine le temps de commencer à travailler qu’il doit vite se focaliser sur la recherche de sa réélection ?
C’est une excellente question et j’ai été plutôt été rassuré de l’entendre après un débat sur l’état de la démocratie sur le continent où sont revenues sans surprise les interrogations habituelles sur le caractère inadapté et importé de la démocratie en Afrique et sur le fait que la démocratie aurait échoué en Afrique. J’ai essayé d’expliquer sans avoir le sentiment d’avoir convaincu tous mes interlocuteurs qu’on ne pouvait pas affirmer que la démocratie dans ses principes fondamentaux avait échoué dans des pays où les pratiques politiques réelles ne se sont jamais rapprochées des valeurs et principes démocratiques et d’État de droit clairement inscrits dans leurs textes constitutionnels.
J’ai rappelé qu’un discours comme celui du dirigeant militaire actuel de la Guinée, le général Doumbouya, expliquant à la tribune de l’assemblée générale de l’ONU, que le problème majeur était la démocratie importée ne résistait pas à une connaissance même limitée de l’histoire politique d’un pays qui n’a connu depuis son indépendance que des régimes autocratiques civils ou militaires. On ne peut pas continuer à confondre les effets de ce qu’il faut bien qualifier de crise morale au sein des classes politiques avec les conséquences d’une inadaptation présumée de la démocratie aux pays africains. Le principe d’une relation de redevabilité entre ceux qui gouvernent un territoire et ceux qui y vivent n’est en rien spécifiquement occidental. Tout comme les principes de respect de droits humains. On devrait éviter de perdre beaucoup de temps dans des débats sur le caractère importé ou non de la démocratie et en consacrer davantage à la réflexion sur les réformes nécessaires de nos institutions politiques.
La question sur la durée des mandats présidentiels et les rythmes électoraux de manière générale dans des pays africains est très pertinente. Lorsque que la question m’a été posée, j’ai pensé de suite à une tribune stimulante de Francis Akindès dans le magazine Jeune Afrique en novembre 2024. Francis Akindès, professeur de sociologie en Côte d’Ivoire, qui a formé des dizaines de chercheurs et d’experts au fil des décennies d’enseignement et de recherche scientifique, est aussi un aîné, un ami et un fin observateur de la gouvernance des pays ouest-africains.
Dans sa tribune, il écrit ceci : « Le fait que les manœuvres constitutionnelles procèdent bien souvent d’un désir de se maintenir au pouvoir empêche d’approfondir la réflexion sur cette question. Mais les limitations du nombre de mandats, bien qu’instaurées pour prévenir une concentration excessive du pouvoir et favoriser le renouvellement politique, peuvent constituer un obstacle dans la poursuite des objectifs du lien qualitatif entre démocratie et développement. »
Il donne trois raisons pour lesquelles il plaide pour des mandats plus longs. La première est liée au manque de continuité politique : « les réformes structurelles génératrices de changements nécessitent souvent une mise en œuvre sur le long terme. Or, dans les États fragiles, sans traditions de politique publique enracinées dans une mémoire administrative, les limitations strictes de mandat entraînent une rotation fréquente des dirigeants, compromettant ainsi la continuité et la cohérence des politiques initiées sur un fond d’éternel recommencement ». La deuxième raison est liée au fait que « les responsables politiques développent, au fil de leur mandat, une expertise précieuse et une compréhension approfondie des enjeux complexes » et que les mandats courts privent le système politique des bénéfices de cette expérience. Il donne une troisième raison : « les élus soumis à des mandats courts sont fréquemment tentés de privilégier des mesures à court terme, susceptibles de produire des résultats immédiatement profitables pour eux-mêmes, plutôt que des réformes structurelles dont les bénéfices ne se manifesteront que sur le long terme. »
On pourrait aller beaucoup plus loin dans la description des effets pervers des échéances électorales rapprochées sur le fonctionnement réel des États, dans des contextes africains de politisation des administrations et des entreprises publiques, et de contrôle à peu près inexistant des sources de financement des campagnes électorales. Il est assez clair que deux ans à peine après être arrivés au pouvoir, beaucoup de présidents élus pour cinq ans, peut-être tous, et leurs entourages, commencent à placer tout en haut de leurs objectifs, la réélection, ce qui a des conséquences négatives sur la gestion des affaires publiques et sur la poursuite des objectifs de moyen et de long terme.
Je partage l’argumentaire du professeur Akindes. Mais les trois raisons évoquées ouvrent sur des pistes de réforme qui devraient aller au-delà d’un allongement de la durée des mandats actuels de quatre ou cinq ans. Mon point de vue sur les institutions politiques dont les pays africains ont besoin est qu’elles doivent être pensées pour atteindre simultanément plusieurs objectifs : celui d’ancrer la démocratie dans son essence, celui de favoriser le renforcement continu des États dans leur capacité à produire les biens et services publics, y compris celui de la sécurité, et celui de favoriser le progrès économique et social. La courte durée des mandats et son corollaire, l’organisation très régulière d’élections présidentielles, parlementaires, locales, ne favorise pas nécessairement l’atteinte de certains de tous ces objectifs. Mais l’allongement de la durée de mandat ne suffirait pas à créer les conditions d’une meilleure gouvernance au service de l’intérêt général.
Il est au moins aussi important de créer ou de renforcer les institutions indépendantes qui ne sont pas directement issues des élections mais qui jouent un rôle crucial dans la régulation des pouvoirs et dans le bon fonctionnement des États. Il me semble crucial de garantir par de nouvelles dispositions constitutionnelles la neutralité politique des administrations publiques, le suivi de l’efficacité des politiques publiques, le contrôle de la gestion des ressources publiques par des institutions fortes dédiées, le contrôle citoyen de l’action publique, la participation structurée des citoyens aux débats sur les orientations des politiques publiques. Ces propositions figurent dans un document que nous avons publié à WATHI en 2018 et que nous continuons à soumettre à la réflexion collective.
Comme je le disais dans une interview en 2020, « Dans la réalité historique du monde, la démocratie est souvent venue après la construction de l’État et elle est souvent passée par des phases de violences, de reconstruction, de débats, de tâtonnements. En Afrique également, la construction démocratique ne pourra pas se faire sans cette cohérence entre évolution politique, évolution économique et évolution sociale. Nous avons la redoutable tâche de construire en même temps des États organisés et efficaces et des démocraties stables. » Le défi est redoutable mais nous devons et nous pouvons le faire.
N’oubliez pas de visiter le site internet de WATHI, www.wathi.org, de vous inscrire pour recevoir la newsletter de WATHI, de vous abonner à notre chaîne WhatsApp, de suivre notre chaîne Youtube qui propose tous les enregistrements des débats en ligne de WATHI. Notre prochaine table ronde le 24 avril se penchera sur la formation des enseignants en Afrique de l’Ouest. Ne la manquez pas.