Il n’y a pas de raison d’ignorer les traditions qui font du bien aux êtres humains vulnérables et incomplets que nous sommes, celles qui se manifestent par de la joie, des sourires, des éclats de rires, des embrassades, celles qui illustrent notre identité d’être social qui a besoin de ressentir de l’attention, de la compassion, de l’amour pour soi. Alors je commence cette première chronique de l’année par mes vœux de splendide année 2025 à chacune et à chacun de vous. Mes vœux à titre personnel mais aussi et surtout ceux de toute l’équipe de WATHI qui commence cette année avec la ferme volonté de faire toujours plus, mieux, au service de la promotion de l’intérêt pour les connaissances, pour le débat d’idées, pour la réflexion et l’action collective constructives.
Mes vœux de santé, de très loin le bien le plus précieux pour chacun de nous. Une année de réalisations professionnelles exceptionnelles, une année de gains financiers importants, une année d’exploits dans tel ou tel autre domaine, peut être annihilée par une dégradation brutale de sa propre santé ou de celle de personnes très proches. Peut-être plus que sur d’autres continents, en particulier là où l’espérance de vie est très élevée, où les progrès de la médecine et la société d’abondance matérielle donnent le sentiment de toute puissance aux êtres humains, peu d’Africains oublient qu’une part essentielle de leur futur même immédiat leur échappe et les dépasse.
Des vœux de liberté aussi, ou plus précisément le vœu d’un élargissement de l’espace de libertés pour chacune et chacun de vous. La liberté pour que chacun puisse avoir la latitude de choisir la combinaison de facteurs, d’allocations de son temps et de ses ressources au quotidien permettant de jouir d’une vie meilleure. Nous ne le savons que trop : il n’y a pas de recette connue unique pour une vie réussie ou pour une vie meilleure au fil du temps. Mes vœux d’excellente santé et de plus de liberté relèvent de cette conscience de l’existence de facteurs et de paramètres sur lesquels on a de l’influence et de ceux qui ne dépendent pas que de nous et de notre capacité à faire des choix éclairés qui soient les meilleurs pour nous.
Il n’y a pas de liberté individuelle sans limite, bien sûr. Nos libertés sont contraintes par les lois des États où on réside, elles sont limitées par les us et coutumes, par les traditions auxquelles on peut difficilement se soustraire. Elles sont limitées par nos propres capacités d’agir sur nos vies, liées au statut social, au niveau d’éducation atteint, au niveau de revenu dont on dispose, au capital social qu’on peut mobiliser, à de nombreux autres facteurs.
En formulant le vœu d’élargissement de l’espace de liberté pour chacune et chacun de vous, j’ai en tête l’immensité des contraintes qui pèsent, parfois au quotidien et pendant des années, ou des décennies, sur la qualité de vie d’une proportion significative mais inconnue de jeunes femmes dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest, à des degrés divers, avec de fortes variations au sein même des pays entre les différentes régions et aires culturelles.
Les conversations qui m’inspirent ce vœu de liberté en particulier pour des jeunes femmes sont celles que j’ai eues avec des Sénégalaises en milieu urbain, à Dakar. Les pressions émanant des propres membres de leurs familles sont permanentes, éreintantes et poussent à des désirs de fuite, de départ, de migrations. Parmi les nombreux facteurs qui expliquent le désir de migrer des Sénégalais, jeunes hommes et jeunes femmes, on n’évalue probablement pas assez bien ceux qui ne relèvent pas strictement de la volonté de gagner plus en allant travailler dans un pays étranger, plus ou moins lointain.
La pression sociale, partant de la famille à la famille élargie puis à la communauté composée de parents, d’amis, de voisins du quartier, est parfois insupportable pour des jeunes, avec des formes différentes mais également pernicieuses pour les hommes et pour les femmes. Pression pour se marier vite, pression pour se marier avec un homme ou une femme de tel statut social, pression pour dépenser des sommes faramineuses pour les mariages ou les baptêmes, en décalage total avec les niveaux de revenus des personnes concernées. Pression sur les jeunes femmes pour qu’elles acceptent ensuite tout ce qu’il pourrait leur arriver de très fâcheux, voire de grave, dans le ménage, une fois mariée. Pression pour qu’elles renoncent par exemple à travailler et à gagner des revenus indépendamment de l’époux.
Beaucoup de jeunes hommes ne supportent pas non plus de multiples pressions ouvertes ou subtiles de membres influents de leur entourage qui attendent d’eux l’affichage d’un train de vie confortable, des contributions financières régulières, des dépenses de prestige, alors même qu’ils n’ont pas encore d’emplois ou d’activités rémunérées stables. Beaucoup de jeunes ont simplement envie d’avoir la liberté de tracer eux-mêmes les chemins de leur vie personnelle et professionnelle, de choisir le moment approprié pour chacune des étapes essentielles de leur vie.
Parce que ces questions de société sont peu discutées dans l’espace public alors qu’elles sont en lien direct avec le bien-être des populations, avec la santé mentale de dizaines ou de centaines de milliers de jeunes et de moins jeunes en Afrique de l’Ouest, nous entendons bien les mettre en débat au cours de cette année 2025.
Enfin, si je formule le vœu de plus de liberté pour les populations de la région, c’est aussi parce que beaucoup de personnalités connues et moins connues sont privées de liberté de manière injuste dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, notamment en raison de leur engagement politique ou simplement de leur attachement à la liberté d’expression comme citoyens concernés. Elles ont passé les fêtes de fin d’année en détention provisoire prolongée ou en étant déjà condamné à des peines de prison ferme à l’issue de procès expéditifs dans des contextes où personne ne croit à l’indépendance de la justice.
Dans un nombre de plus en plus important de pays africains, au-delà de ceux dirigés par des militaires, le respect de l’État de droit qui protège les libertés fondamentales des citoyens n’est plus une priorité. Il suffit d’invoquer l’impératif sécuritaire ou l’exigence d’un développement économique à marche forcée pour justifier toutes les remises en cause des libertés individuelles. Comme la nouvelle année permet de formuler des vœux, sans croire nécessairement aux miracles, je souhaite à toutes et à tous plus de liberté en 2025. Et un peu plus de sagesse à nos gouvernants!