J’ai eu, comme ces trois dernières années, le privilège de participer il y a quelques jours à la conférence annuelle organisée par le think tank marocain Policy Center for the New South, les Atlantic Dialogues. Comme son nom l’indique, l’idée au départ était de créer un cadre et un moment de rencontres et d’échanges autour des défis et des opportunités résultant de l’ouverture sur l’Océan Atlantique, avec des participants venant majoritairement d’Afrique, d’Europe et des Amériques. Dans la réalité, c’est devenu un rendez-vous où se rencontrent personnalités du Sud et du Nord, de ce qu’on appelle aujourd’hui avec quelques précautions, nuances et réserves, Nord global et Sud global, autour de questions géopolitiques majeures. 66 nationalités étaient représentées cette année.
Si je vous en parle, ce n’est pas parce que les invitations aux Atlantic Dialogues font partie de ces invitations qu’on n’hésite pas à honorer lorsqu’on a été invité une fois et qu’on y est invité à nouveau. On y est en effet très bien reçu. Bien qu’étant l’auteur d’une tribune publiée il y a une dizaine d’années sur l’impératif de résister à la tyrannie du confort, je dois reconnaître qu’on apprécie à peu près tous d’être bien accueillis, bien logés, bien nourris, de temps en temps… Alors, oui la tradition d’accueil du Royaume du Maroc se donne à voir lors de cette conférence annuelle qui se passait ces dernières années dans un des lieux les plus emblématiques de la ville touristique de Marrakech et qui s’est tenue cette année dans la capitale Rabat, au siège du Policy Center for the New South, logé au sein du campus annexe de l’université Polytechnique Mohamed VI.
Je vous en parle pour deux principales raisons. D’abord parce que toutes les occasions de partager des connaissances, des idées, des perspectives, des interrogations sur l’état de notre planète, sous de nombreux angles, sont bonnes à saisir. En trois jours, les Atlantic Dialogues ont donné lieu à des conversations riches sur des thèmes aussi actuels que le passage de la mondialisation à la fragmentation, les ambitions de l’initiative royale d’accès à l’Océan Atlantique pour les pays enclavés du Sahel, le projet de gazoduc reliant le Nigeria au Maroc, les menaces sécuritaires de l’Atlantique à la Mer rouge, l’état des lieux de la démocratie dans le monde au terme d’une année 2024 chargée d’élections, le coût de la transition énergétique ou encore la diplomatie culturelle…
Onze tables rondes auxquels se sont ajoutés quinze diners thématiques en groupes plus restreints. Les enregistrements des sessions plénières, en anglais, en français et en arabe sont en libre accès sur la chaîne YouTube du Policy Center. Je les recommande vivement… Dans un moment de grands basculements et d’incertitudes dans le monde, il me semble plus nécessaire que jamais d’inciter particulièrement les jeunes en Afrique de l’Ouest à être curieux de tout ce qui se passe sur tous les continents, à s’intéresser aux réflexions de ceux qui ont une expertise, une expérience pertinentes par rapport aux sujets dont ils parlent.
La deuxième raison du choix de parler de cette conférence et la plus importante est que cela me donne l’occasion de dire quelques mots de ce qui me semble être un des points forts du Maroc contemporain : la valorisation des compétences et un investissement robuste et permanent dans l’éducation, la formation, la recherche et l’innovation. Le Policy Center for the New South, le think tank marocain le plus influent et le mieux doté, tout comme l’université Polytechnique qui abrite désormais ses locaux, en sont une illustration remarquable.
Avant de changer de nom pour devenir le Policy Center for the New South en 2018, quatre ans après sa création, l’institution s’appelait OCP Policy Center. L’acronyme OCP est connu de tous au Maroc. L’Office chérifien des phosphates est la plus grande entreprise du royaume. Elle a été créée en 1920 et a commencé à exploiter une première mine en 1921. Elle s’est diversifiée au fil des décennies, allant de plus en plus loin dans la transformation du phosphate en engrais et autres produits dérivés.
Avec un chiffre d’affaires de 11,3 milliards de dollars en 2022 et environ 20 000 employés à travers le monde, le Groupe OCP est le leader mondial de solutions de nutrition végétale et des engrais à base de phosphate. Dirigé depuis 2006 par l’une des personnalités les plus influentes du royaume, Mostafa Terrab, le groupe OCP a créé et entièrement financé le think tank OCP Policy Center en 2014 mais aussi l’université Mohammed VI Polytechnique (UM6P), inaugurée en 2017. Dotée manifestement de moyens conséquents, cette université d’excellence offre des conditions de formation et de recherche remarquables et attire des enseignants et des chercheurs de très haut niveau venant de toutes les régions du monde.
Il ne s’agit pas d’être dithyrambique sur les progrès économiques, sociaux, éducatifs réalisés par le Maroc en une vingtaine d’années. Les inégalités économiques y sont toujours fortes et tout n’est pas rose et transparent dans la gouvernance du royaume. Mais il y a incontestablement en plus d’une vision et d’une ambition affirmée pour l’amélioration des conditions de vie des populations une approche pragmatique qui réaffecte une partie significative des richesses générées par la valorisation de la première ressource naturelle du pays vers l’éducation, la recherche et l’innovation.
Combien de pays africains disposant de ressources naturelles exceptionnelles ont su injecter systématiquement les richesses générées vers le financement des institutions de production de savoirs, de réflexion et de conception des politiques publiques ? Les décideurs marocains, des secteurs public et privé, ont compris plus que dans d’autres pays du continent, qu’il n’y a de richesse que d’hommes et de femmes et que l’investissement dans les institutions qui les forment est le choix le plus décisif pour l’avenir.