Difficile de faire le choix de ne pas parler cette semaine encore de la tragédie inacceptable qui se joue dans le Kivu, est de la République démocratique du Congo (RDC) parce que forgée, décidée, orchestrée, par les hommes en pleine conscience des conséquences de leurs décisions. 3000 morts et des milliers de blessés après la bataille de Goma estimés désormais par les Nations unies. Une horreur et une fois de plus ce sentiment affreux que la vie des Africaines et des Africains ne vaut pas grand-chose et qu’après des siècles de mépris, de racisme, de crimes massifs contre des Africains noirs considérés comme des sous-hommes et des sous-femmes, ce sont des Africains eux-mêmes qui entretiennent la banalisation de la vie d’autres Africains, voisins, cousins, pour des raisons d’expansion territoriale, de sentiment de supériorité et/ou d’exploitation économique.
Mais il faut s’efforcer de parler aussi de tous les autres sujets importants pour le bien-être présent et futur de millions d’Africaines et d’Africains. Un des déterminants les plus cruciaux de l’amélioration des conditions de vie de millions d’Africains est l’accès à l’énergie et particulièrement à l’électricité. C’est simple, c’est clair, c’est concret pour tout le monde : l’électricité est cruciale pour les établissements de santé, pour les écoles, donc pour l’éducation, la formation, la recherche scientifique, pour le fonctionnement au quotidien des administrations, pour toutes les entreprises, en zone urbaine comme en zone rurale.
Sans un accès quasiment universel à l’électricité, les économies des pays africains resteront en partie des économies de survie parfaitement incapables de répondre au besoin de génération de millions d’emplois et de revenus décents pour les jeunes. La bonne nouvelle des derniers mois est une initiative conjointe de la Banque mondiale et de la Banque africaine de développement appelée « Mission 300 ». Annoncée en avril 2024, elle a pour objectif de fournir l’accès à l’électricité à 300 millions de personnes en Afrique d’ici 2030. 300 millions, c’est la moitié des 600 millions estimés d’Africains qui n’ont pas aujourd’hui accès à l’électricité.
Lors d’une table ronde virtuelle organisée par WATHI en partenariat avec la Banque mondiale en décembre dernier sur cette initiative, le directeur en charge des infrastructures pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre au sein de la Banque mondiale Franz Drees-Gross a rappelait que le manque d’accès à l’électricité était un défi quasiment mondial il y a une trentaine d’années lorsque des centaines de millions de personnes en Asie aussi n’avaient pas accès à l’électricité. En 2024-2025, les faibles taux d’accès à l’électricité ne concernent quasiment plus que les pays africains. L’Afrique abrite aujourd’hui près de 83 % de la population mondiale non électrifiée. Avec certes des différences importantes aussi au sein du continent et de ses régions. En Afrique de l’Ouest, en 2022, le Cap-Vert avait un taux d’électrification du territoire de 98%, le Ghana 85,2 %, la Côte d’Ivoire 70,5 %, le Sénégal, 67.9%, le Nigeria, 60,5%, le Bénin, 56,5%, le Mali, 53%, le Niger et le Burkina Faso 19,5% seulement.
C’est pour mobiliser autant les États que des fondations, des entreprises privées et d’autres partenaires internationaux derrière cette initiative ambitieuse qu’un sommet africain de l’énergie a été organisé à Dar es Salaam (Tanzanie) les 27 et 28 janvier 2025 dernier. 30 chefs d’État ont fait le déplacement. Si les banques, les autres institutions multilatérales de développement, les fondations philanthropiques doivent jouer un rôle essentiel en apportant les ressources financières nécessaires pour réaliser les investissements, la responsabilité première reste celle des décideurs politiques nationaux qui doivent identifier tous les obstacles à l’accès effectif à l’électricité des populations qu’ils sont censés servir. L’ambition est d’accélérer l’expansion du réseau électrique dans les zones mal desservies dans les pays africains mais aussi de stimuler le déploiement de mini-réseaux et de solutions solaires autonomes pour fournir de l’électricité aux communautés vivant dans des zones reculées et hors réseau.
Dans le cadre de cette Mission 300, les pays africains doivent élaborer des pactes nationaux de l’énergie assortis d’objectifs précis notamment en termes d’augmentation de l’accès à l’électricité, de l’accroissement de la part des énergies renouvelables dans les sources d’énergie et de mobilisation de ressources privées additionnelles. Douze pays dont six d’Afrique de l’Ouest, Côte d’Ivoire, Libéria, Mauritanie, Niger, Nigeria et Sénégal, ont déjà élaboré et présenté leurs « pactes nationaux de l’énergie ». Chaque pays doit naturellement tenir compte de ses dotations naturelles en sources potentielles d’énergie tout en faisant du remplacement progressif des énergies les plus polluantes par les énergies renouvelables une priorité.
Notre table ronde a permis de clarifier pour les non-experts les différences à faire entre l’accès théorique qui résulte de la connexion de localités par exemple en zone rurale au réseau électrique national de l’accès effectif à l’électricité par des ménages et des petits entrepreneurs pour leurs activités, ce qui suppose d’avoir les moyens financiers d’une connexion au réseau, qui suppose aussi que l’électricité fournie soit continue et non interrompue par des coupures régulières ou qui suppose d’avoir accès à une solution hors réseau avec une alimentation solaire par exemple.
Outre le représentant de la Banque mondiale, nos deux invités, Aphi Nanan, directrice adjointe centrale de l’équipement et des travaux de production, de transport et de distribution d’électricité chez Côte d’Ivoire-Energie et Habiba Ali, qui dirige une entreprise privée spécialisée dans les énergies renouvelables notamment solaire très présente dans les zones rurales au Nigeria, ont permis de décomposer le défi de l’électricité dans ses différentes dimensions, et de montrer l’impératif de recourir à toutes les solutions disponibles pour fournir l’électricité à toutes et à tous dans notre région, les populations les plus démunies étant celles dont la vie et les perspectives peuvent changer de manière spectaculaire lorsqu’elles ont enfin accès à l’électricité à la maison et dans leur lieu de travail.
Aphi Nanan a mis l’accent sur les progrès rapides effectués en Côte d’Ivoire en une dizaine d’années, avec désormais 97% des localités de 500 habitants qui sont électrifiées. Elle a insisté sur la nécessité de travailler simultanément sur la production, le transport, la distribution, pour pouvoir donner effectivement accès à l’électricité à tous. Le directeur régional de la Banque mondiale pour les infrastructures a quant à lui souligné l’importance de l’intégration régionale dans le domaine en évoquant le succès que représente le Système d’échanges d’énergie électrique ouest-africain, agence spécialisée de la CEDEAO, qui a permis de fournir une électricité moins chère et plus fiable à 14 pays de la région. La Guinée Bissau est le dernier pays en date à être connecté à ce système d’interconnexions régional. Nous estimons à WATHI que sur un sujet aussi vital que celui-là, plus les populations seront informées des enjeux, des opportunités, des solutions nouvelles, des initiatives existantes, plus elles seront en mesure de contribuer à accélérer les progrès et à transformer les grandes annonces en réalisations concrètes qui changent leur vie.