La 29ème édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) a pris fin ce 1er mars. Une des figures majeures du cinéma africain aura manqué à l’appel. Alors qu’il devait se rendre à Ouagadougou pour présider le jury fiction long métrage du festival cette année, le réalisateur malien Souleymane Cissé, âgé de 84 ans, est décédé brutalement le 19 février à Bamako. Double lauréat de l’Etalon d’or de Yennenga, la distinction phare du Fespaco, avec le film Baara en 1978 et Finyé en 1983, film qui faisait revivre la révolte d’étudiants maliens contre le régime militaire de l’époque. En 1987, son film « Yeelen » (La lumière), remporte le Prix du jury au Festival de Cannes. En 1995, le long métrage «Waati» retrace la vie de Nandi, une enfant noire d’Afrique du Sud qui fuie l’apartheid et découvre plusieurs pays du continent, la Namibie, la Côte d’Ivoire, le Mali. Ce titre me parle particulièrement. Waati, qui signifie le temps en bambara, est l’une des inspirations du nom que nous avons donné au think tank citoyen de l’Afrique de l’Ouest, WATHI.
Le quotidien burkinabé Sidwaya rappelle que Souleymane Cissé s’est battu dans le cadre de l’Union des créateurs et entrepreneurs du cinéma et de l’audiovisuel d’Afrique de l’Ouest « pour la rénovation des salles de cinéma existantes, la réouverture des salles fermées et la création de nouvelles salles ; l’organisation de manifestations cinématographiques interafricaines ; l’incitation des opérateurs économiques à investir dans le développement de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel… ».
Malheureusement pour moi, cette année, une nouvelle fois, je n’eus pas le privilège de me retrouver à Ouagadougou, au meilleur moment, celui de la fête du cinéma africain et de la fête tout court. La semaine du Fespaco, en plus des 235 films projetés sur neuf sites, des rencontres professionnelles, du Marché international du cinéma et de l’audiovisuel (MICA), ce sont des concerts, des conférences, des expositions et bien sûr la gastronomie locale avec les grillades réputées de Ouagadougou. Un ami camerounais, très engagé politiquement et socialement dans son pays, Franck Essi, qui a eu beaucoup plus de chance que moi a écrit depuis Ouagadougou un court texte.
Voilà ce qu’il dit sur le Fespaco: « Ce rendez-vous, le plus emblématique du cinéma africain, ne se limite pas à célébrer l’art cinématographique : il projette une vision, façonne des narratifs africains et positionne le Burkina Faso comme un acteur culturel influent sur la scène continentale et internationale. En plus de 50 ans d’existence, le FESPACO a démontré qu’un événement culturel pouvait devenir un levier stratégique de soft power, capable d’influencer les perceptions, d’orienter les discours et de redéfinir la place d’un pays dans l’imaginaire collectif. Pourtant, ce parcours n’a pas été exempt de défis et de limites. » Parmi ces limites, il cite les défis du financement et de la modernisation, l’impact économique encore limité du festival au-delà de l’effervescence temporaire pendant l’événement, ainsi que les dynamiques politiques locales qui limitent parfois la liberté artistique que doit incarner le cinéma, espace de contestation et de réflexion critique sur la société.
Cette édition 2025 du Fespaco a offert une respiration bienvenue au Burkina Faso, pays le plus affecté par le terrorisme au monde depuis deux ans, et pays où l’espace civique s’est rétréci de manière spectaculaire sous le régime du capitaine Ibrahim Traoré. À la cérémonie d’ouverture, on pouvait voir aux côtés du président Traoré son homologue du Tchad, pays invité d’honneur de cette édition, Mahamat Déby Itno. Les deux hommes, l’un jeune capitaine, l’autre jeune maréchal, rien de moins, n’incarnent pas franchement l’esprit de liberté et d’ouverture du cinéma. Ni ce que je souhaite comme horizon pour la gouvernance politique en Afrique. Un certain nombre d’acteurs de la scène culturelle et intellectuelle du Burkina Faso, n’ont pas pu participer à la fête cette année : ceux qui sont en prison et ceux qui sont en exil.
Toujours est-il que le Fespaco rappelle ce qu’apporte le cinéma à nos imaginaires. Le cinéma, qu’il soit d’Afrique ou de d’ailleurs, rend un service précieux, aux côtés de toutes les autres manifestations de la créativité et de la liberté humaines. Au moment où semblent surgir de toutes parts des esprits qui prônent les discriminations, l’exclusion, la xénophobie, le racisme, la misogynie, l’inspiration et l’engagement des réalisateurs, producteurs, actrices et acteurs du monde du cinéma jouent un rôle crucial pour cultiver l’espoir, la vigilance et la résistance.
Ces derniers mois, plutôt devant des petits écrans qu’en salle de cinéma, j’ai eu un grand plaisir à voir quelques films africains ou non inspirés de faits réels. Je peux citer « Six Triple Eight », « Messagères de guerre » en version française, sorti sur Netflix en décembre dernier, réalisé par Tyler Perry, qui raconte l’histoire méconnue des femmes noires qui constituaient le seul bataillon uniquement composé d’Afro-Américaines déployé à l’étranger pendant la Seconde Guerre mondiale. Confrontées à la discrimination raciale et au sexisme, méprisées par les chefs militaires, ces femmes dirigées par le Major Charity Adams, ont été chargées de trier et d’expédier plus de 17 millions de lettres en souffrance qui ont permis aux soldats américains de reprendre contact avec leurs familles et leurs proches, alors que la logistique de l’armée était complètement paralysée. J’ai aussi vu récemment « Ni chaines ni maîtres », du réalisateur franco-béninois Simon Moutaïrou. Il raconte un bout de l’histoire atroce de l’esclavage à l’île Maurice, propriété du Royaume de France en 1759. Il raconte surtout le courage, la dignité et la force spirituelle d’Africaines et d’Africains qui décident d’affirmer leur liberté.
Le cinéma, ce sont aussi des récits, des scénarios auxquels on ne pense pas. C’est le cas de Black Tea, le dernier film du réalisateur mauritanien Abderrahmane Sissako, lauréat de l’Étalon d’or de Yennenga en 2003 et réalisateur des très connus Bamako et Timbuktu. Black Tea met en scène la romance entre une Ivoirienne et un Chinois, entrepreneur passionné de thé, dans le quartier de Little Africa à Guangzhou. Au départ de Black Tea, une jeune femme africaine qui dit «non » le jour de son mariage. L’amour, les sentiments, ces choses essentielle dans la vie, mais aussi l’Afrique en Chine et la Chine en Afrique, les préjugés, les malentendus, et des jeunes Chinois qui apprennent à danser sur la musique congolaise d’Inoss B.
Le film, projeté en ouverture du Fespaco, a été tourné à Taïwan après neuf mois d’attente d’une autorisation de tournage en Chine, jamais venue. « L’aventure ne pouvait s’arrêter là. Il a donc fallu changer de lieu et avec lui transformer, non pas l’histoire du film, mais l’univers dans lequel il prenait place ». Le cinéma, c’est aussi un art incroyablement exigeant, c’est énormément de travail individuel et collectif, de minutie, d’adaptation, de détermination à aller jusqu’au bout. Nous devons faire beaucoup plus sur le continent pour donner à voir le meilleur du cinéma d’Afrique et du monde aux jeunes et aux enfants de toutes les catégories sociales. Et susciter des vocations qui pourront s’exprimer avec éclat sur le continent et partout dans le monde.