Auteur : Le Professeur Kapet de BANA
Type de publication : Étude
Date de publication : 1986
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PRÉSENTATION DE LA CHARTE AFRICAINE
C’est une tâche bien lourde que de parler d’un document d’une certaine importance en soi par son existence, en tant que phénomène historique, mais qui sur le plan pratique est presque une lettre morte.
HISTORIQUE DE LA CHARTE
En comparant la Charte africaine à une rivière qui prend sa source dans un affluent ou dans un delta, nous pourrons dire que la Charte prend sa source notamment :
- Dans la Charte de l’Unité africaine tout comme la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme a pris sa source dans la Charte des Nations Unies ou de San Francisco.
- Dans la grande frustration des peuples africains à ne pas trouver satisfaction, ni dans la Charte de l’O.N.U. (Droit des peuples à disposer d’eux-mêmes), ni dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme en ce qui concerne la jouissance effective des droits fondamentaux proclamés dans cette Déclaration.
- Dans l’existence de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, en ce qui concerne le caractère régional des Droits de l’Homme tenant compte des spécificités socioculturelles ou traditions locales.
- Ainsi que dans d’autres pactes régionaux (américains, arabes notamment).
- Dans le contexte de guerre de libération et de décolonisation (voir les Proclamations et résolutions de la Conférence afro-asiatique des pays non-alignés, tenue à Bandoun (Indonésie) en avril 1955).
Et par la suite, sous cette impulsion, diverses résolutions furent adoptées par les Nations Unies notamment :
- Résolutions 1514 du 14.12.1960 (déclarations sur l’octroi de l’indépendance aux pays et peuples coloniaux).
- Résolutions 1803 du 14.12.1962 (souveraineté permanente sur les ressources naturelles).
- Résolutions 2625 du 14.10.1970. (Déclaration relative aux principes touchant les relations amicales et la coopération entre les États).
- Pactes internationaux sur les Droits de l’Homme du 16.12.1966.
- Acte final d’Helsinki du 01.08.1975.
C’est dire que, c’est du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes que découlent les autres droits de l’homme.
On retiendra que c’est en 1976, à la suite de la célébration du bicentenaire de la Déclaration d’Indépendance Américaine, que fut adoptée à Alger, la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et des peuples, précisant les grands principes dont s’inspira la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. On doit cependant noter que cette Déclaration d’Alger était plutôt l’émanation d’une association internationale privée.
Ainsi, la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples a cette particularité, par rapport à celles qui l’ont précédée, qu’elle reconnaît et garantit, à côté des droits et libertés individuels, des droits aux peuples en tant que tels :
- L’égalité en dignité et en droit (art 19)
- Le droit à l’existence et à l’autodétermination,
- Le droit à se libérer de la domination coloniale ou de l’oppression par tous les Moyens reconnus par la Communauté Internationale,
- Le droit à l’assistance des États-parties à la Charte (art 20),
- Le droit à la libre disposition de leurs richesses et ressources naturelles, et en cas de Spoliation, le droit à la légitime récupération des biens spoliés, ainsi qu’à une Indemnisation adéquate (art 21),
- Le droit à leur développement économique, social et culturel (art 22),
- Le droit à la paix et à la sécurité (art 29),
- Le droit à un environnement satisfaisant et global, propice à leur développement (art 24).
C’est bien au cours de ce sommet que les chefs d’États et de Gouvernements adoptèrent à l’unanimité une résolution proposée par le Sénégal demandant que soit organisée rapidement dans une capitale africaine une réunion d’experts chargée de jeter les bases d’une Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples
HISTORIQUEMENT, on doit rappeler que l’idée d’une Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, ne date pas d’aujourd’hui. En effet, c’est dès 1961, qu’un premier congrès de juristes africains avait proposé l’élaboration d’une Convention africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, et la formulation d’une procédure ou d’un mécanisme de protection de droits.
Le Congrès des juristes africains francophones, réunis à Dakar en 1967, devait reprendre cette proposition.
Par la suite, furent organisés dans diverses capitales africaines, des séminaires et des colloques autour de la même idée, citons notamment :
- Le séminaire du Caire – 1969,
- Le séminaire de Dar Es Salam – 1973,
- Le séminaire de Monrovia – 1979.
Disons que toutes ces tentatives régionales eurent lieu sous l’impulsion des Nations Unies, en faveur de l’extension des Droits de l’Homme en Afrique. Nous devons dire, que les étapes plus décisives ont été celles du Sénégal où la Commission Internationale des juristes et l’Association sénégalaise d’études et de recherches juridiques, préconisèrent activement, en liaison avec l’Association des barreaux francophones et l’Union Interafricaine des avocats, la nécessité d’élaborer une Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples et la création d’une Commission indépendante, chargée de l’application ou de la mise en œuvre.
L’Union interafricaine des avocats et l’Institut africain des Droits de l’Homme et des Peuples de Dakar, organisaient à Dakar du 25 au 28 octobre 1982, le premier symposium international sur la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples. On peut dire, que l’origine de cette Charte remonte au sommet de l’O.U.A. de 1979, tenu à Monrovia (capitale de la République du Libéria) :
C’est bien au cours de ce sommet que les chefs d’États et de Gouvernements adoptèrent à l’unanimité une résolution proposée par le Sénégal demandant que soit organisée rapidement dans une capitale africaine une réunion d’experts chargée de jeter les bases d’une Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
- Le groupe d’experts fut réuni à Banjul (capitale de la République de Gambie) en juin 1980. Ce fut une réunion au niveau interministériel pour examiner un projet préparé par des experts réunis auparavant à Dakar (capitale de la République du Sénégal).
- La conférence interministérielle de Banjul comptait 37 participants sur 50 pays membres de l’O.U.A. A cette occasion, ils n’ont pu adopter que le long préambule et les onze premiers articles sur les 68 que comporte finalement la Charte. Ces onze premiers articles concernant surtout les grands fondements ou principes relatifs aux droits à la vie, à la religion, à l’information, à la liberté, à la sécurité.
- On peut imputer l’échec de la conférence aux divergences idéologiques et politiques qui caractérisent les régimes africains ( libéralisme, socialisme, néocolonialisme, féodalisme…) On comprend dès lors que les Ministres des Affaires étrangères, réunis en 1981 à Nairobi, ne purent faire avancer le travail sur la Charte désormais réservée à la seule compétence des Chefs d’États qui devaient néanmoins l’adopter quelques jours plus tard, dans la capitale Kenyane (Nairobi)Juin 1981.
- L’adoption de cette Charte marque la victoire du droit contre la peur et le changement d’attitude des Chefs d’États africains désormais contraints à la nécessité d’avoir à gouverner sous l’épée de Damoclès, qui est celle de l’État de Droit ; l’Afrique étant le continent qui connaît le plus de cas de violation des Droits de l’Homme, et où l’espace des libertés individuelles est le plus réduit (voir rapport d’Amnesty International et l’article du Professeur K. de Bana au journal : Jeune Afrique 1987 « l’Afrique orpheline des Droits de l’Homme et des Libertés »).
Bien sûr, la jeunesse des États africains, l’inexpérience des hommes d’États en matière de gestion des régimes autoritaires décriés par les populations insatisfaites dans leurs besoins essentiels rendent l’attitude des Gouvernants peu enclin au respect des droits individuels des citoyens.
- On comprend ainsi l’extrême laconisme de la Charte constitutive de l’O.U.A. sur la question des Droits de l’Homme. On s’est tout simplement borné, dans cette Charte à souscrire à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux principes de la Charte des Nations Unies. C’est donc, sûrement pour rectifier ce recul historique sur le plan des Droits de l’Homme que les États africains se sont résolus à doter le continent d’une Charte d’une grande portée originale. Cette originalité se traduit par le fait que la Charte contient non seulement les obligations des États à respecter les droits des citoyens, mais les dispositions importantes concernant les devoirs des citoyens envers l’État et la Société.
- En posant le principe de solidarité sociale, la Charte indique que chaque individu a des devoirs envers la famille, envers la Société, envers l’État et les autres collectivités légalement reconnues, envers la communauté internationale. L’individu doit également « préserver le développement harmonieux de la famille, respecter à tout moment ses parents, les nourrir et les assister mais aussi, il doit veiller, dans les relations avec la Société, à la préservation et au renforcement des valeurs culturelles africaines positives dans un esprit de tolérance et de dialogue et de concertation et d’une manière générale, de contribuer à la promotion de la santé morale de la Société».
- La Charte a donc voulu, par les dispositions ainsi rappelées, poser le fondement de la lutte pour le respect des Droits de l’Homme et des Peuples à partir des valeurs fondamentales de la Culture africaine.
- Pourtant, malgré le consensus sur le fondement culturel de la Charte, on ne saurait dissimuler les points de divergence entre les deux courants idéologiques qui caractérisent les systèmes politiques africains. La Charte est donc le résultat du compromis concédé par ces deux courants ou conceptions opposées :
- Un certain nombre d’États considèrent les Droits des Peuples supérieurs aux droits des individus, par opposition à la conception occidentale qui affirme la primauté des droits individuels. Ces États, estiment que l’individu faisant partie de la Collectivité doit lui être subordonné dans la jouissance des Droits. L’individu ne peut être supérieur à la Société qui le protège.
- Cette conception est tout à fait à l’opposé de la précédente. Elle considère que l’individu a des droits indépendants de son appartenance sociale. Il s’agit donc, d’après cette conception, de distinguer les droits de l’individu des droits des peuples.
– On peut dégager de ces deux conceptions, que la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples est influencée d’une part, par la conception occidentale des Droits de l’Homme en ce qui concerne les Droits civils et politiques, et d’autre part, par la conception des pays socialistes concernant les Droits sociaux, économiques et culturels.
– On en est donc venu à la fusion Droit de l’Homme et Droits des Peuples. La notion de Peuple en droit appartient davantage au droit international, c’est-à-dire, droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, droit à l’autodétermination, à l’indépendance, à la décolonisation des peuples africains.
– On comprend ainsi, que seule l’existence d’une Commission et un puissant mouvement de l’opinion publique peuvent aider à l’application de la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.
Car il s’agit, en définitive, pour les pays africains signataires de la Charte de résoudre les questions de la jouissance effective des droits proclamés.
Ceci nous conduit à l’examen du contenu de la Charte, l’objet du second point exposé.
La Charte indique que chaque individu a des devoirs envers la famille, envers la Société, envers l’État et les autres collectivités légalement reconnues, envers la communauté internationale
Contenu et Divisions de la Charte (68 articles)
La Charte est constituée de trois parties :
– La première traite des aspects normatifs composés de deux chapitres et vingt neuf articles :
- Le chapitre 1er intitulé « les Droits de l’Homme et des Peuples » est composé de 26 articles.
- Le deuxième chapitre intitulé « Des Devoirs » est composé de 3 articles : 27-28- 29.
– La deuxième partie traite des aspects institutionnels et est formée de quatre chapitres et 33 articles (30 à 63).
– La troisième partie est relative aux dispositions finales (art 64 à 68).
Mais ce que les Africains ont voulu souligner le plus, c’est que l’organisation et la défense des Droits de l’Homme doivent être adaptées aux besoins réels des États et des Peuples.
Cela conduit les Africains à soutenir davantage certains droits qui semblent correspondre le plus aux besoins actuels des peuples africains.
ANALYSE DE LA CHARTE
1/ Les aspects normatifs de la Charte Africaine
C’est dans la première partie de son contenu que la Charte Africaine énonce les Droits de l’Homme et des Peuples dont elle proclame la protection.
Il s’agit tout d’abord de leur énumération et ensuite de leur dimension constitutionnelle. Des Droits de l’Homme et des Peuples (art 1 à 26). Ces droits sont classés en deux catégories dans la Charte :
a) droits civils et politiques,
b) droits économiques, sociaux et culturels.
a) Les droits civils et politiques
On sait que ces catégories de droits sont d’une grande importance dans les différents systèmes juridiques du Monde. Pour leur part, les États de l’O.U.A. suivent l’exemple des Nations Unies et des autres organisations internationales et régionales (ex de l’O.E.A. et C.E.E.)
Ainsi, la Charte consacre une large place aux Droits civils et politiques qui visent à la protection :
– du corps humain, c’est-à-dire du droit au respect de la vie (art 4), toute forme d’exploitation et d’avilissement de l’homme, notamment l’esclavage, tortures ou traitements cruels et dégradants et inhumains (art 5) .
– de la liberté : il s’agit surtout de la liberté de circulation, du droit à la sûreté (art 6 et 12 al.1).
– du droit à la justice (être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale, et le droit de saisir les juridictions compétentes (art 7 al. 1 et 2).
– de l’activité intellectuelle (liberté de conscience et de religion). Du droit à l’information et à la liberté d’expression (art 8 et 9).
– de l’activité politique (la liberté de réunion et d’association) ; contradiction avec les systèmes de partis uniques (art 10 et 11).
La deuxième grande catégorie des Droits de l’Homme et des Peuples protégés par la Charte :
b) les droits économiques, sociaux et culturels.
La Charte Africaine à l’exemple des autres organisations régionales ayant vocation à protéger ces catégories de droits les a énumérés :
– le droit au travail est garanti (art 15). Toute personne a le droit de travailler dans des conditions équitables et satisfaisantes et de percevoir un salaire égal pour un travail égal.
– Le droit à la protection et à l’assistance pour la famille, la femme et l’enfant, les personnes âgées et les handicapés (art 18).
– Le droit à la santé physique et morale.
– Le droit à l’éducation (art 17 al.1 et 2).
Voilà donc, en gros, les dispositions normatives énoncées par la Charte africaine des Droits de l’Homme et des Peuples brièvement présentée.
Il est inutile de rappeler qu’on est au point zéro quant à l’application effective de ces dispositions. On le verra à travers les difficultés de la Commission chargée de leur respect.
LA COMMISSION AFRICAINE DES DROITS DE L’HOMME (article 30 de la Charte)
Examinons les instruments de contrôle et de protection de ces droits, notamment la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui représente l’apport le plus original du modèle africain. Cette commission est chargée de la protection des Droits de libertés, de promouvoir les Droits de l’Homme et des Peuples et d’assurer leur protection en Afrique.
L’article 45 assigne d’autres missions à la commission. Dans la mission de promouvoir et de protéger les Droits, les fonctions sont les suivantes :
– Rassembler de la documentation, faire des études et des recherches sur les problèmes africains dans le domaine des Droits de l’Homme organiser des séminaires, des colloques et des conférences, diffuser des informations, encourager les organisations nationales et locales s’occupant des Droits de l’Homme et des Peuples, faire des recommandations, donner des avis aux gouvernements.
– Coopérer avec les autres Institutions Africaines et Internationales.
Ce qui pose le problème de l’organisation et du fonctionnement de la Commission.
A) Organisation et fonctionnement
Cette commission est formée de 12 personnalités africaines siégeant chacune à titre personnel (art 31) de la Charte différent de l’article 20 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme. Ils sont élus au scrutin secret par le sommet de l’O.U.A. (aptitude et compétence) six ans renouvelables.
B) Compétence de la commission
La commission peut être saisie par toutes les parties sur la violation des Droits de l’Homme (art 49 et 55).
C) Procédure de la commission
Saisine par écrit (art 51 et 56).
D) Les décisions de la commission
Examen au fond et règlement de l’affaire (art 46).
Nous sommes ainsi amenés à rappeler dans le troisième et dernier point de cet exposé les observations que nous portons sur la signification de la Charte Africaine.
Il s’agit surtout des Droits de l’Homme et des Droits des Sociétés ainsi que des Devoirs du Citoyen.
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