Auteur : Franck Koman
Type de publication : Article scientifique
Date de publication : 2019
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En Afrique, la maîtrise de l’urbanisation passe par un contrôle politique de l’urbanisation, et pour avoir ce contrôle politique, il faudrait se référer à une autorité. C’est mettre en place une norme urbaine, un ordre prédéfini par une autorité afin d’aboutir à une maîtrise de l’urbanisation. Or dans le continent africain, plusieurs acteurs sociaux participent à l’urbanisation de la ville.
Parmi ces différents acteurs, nous notons plusieurs autorités, notamment des autorités coutumières et des autorités modernes. Cette participation de ces différents acteurs dans le processus d’urbanisation engendre de nombreux conflits entre ceux-ci, dont une des crises les plus importantes est la crise liée à la terre à savoir le conflit foncier interculturel.
En Côte d’Ivoire, précisément dans le district d’Abidjan, suite à la croissance démographique que Abidjan a connu après l’indépendance, l’Etat entrepris un projet d’urbanisation dans un objectif de favoriser un développement urbain sans précédent. Pour ce fait, les autorités publiques d’alors occupaient les terres des villages, qui semblaient être sans maître sur tout le territoire ivoirien, particulièrement dans le district d’Abidjan. L’Etat s’appropria le patrimoine foncier autochtone en vue de poursuivre l’urbanisation du district d’Abidjan. Mais, cet agissement des pouvoirs publics rencontrait l’opposition des autorités coutumières car pour ces populations autochtones, l’Etat veut les déposséder de leurs terres.
Enjeux politiques : le foncier au cœur du contrat social
La terre dans les villages d’une manière générale est un héritage des ancêtres aux descendants. Le peuple doit avoir une représentation propre du territoire sur lequel il vit. En Afrique, les descendants doivent ainsi considérer la terre comme un patrimoine familial. Le nombre d’ayants droit grandit au fur et à mesure que les fils puis les petits-fils s’installent et fondent des familles sur le territoire. Cette conception africaine va prévaloir pendant tout le XIXe jusqu’à la montée du capitalisme en Afrique, à travers la période coloniale. La terre est un facteur de cohésion sociale, la terre réunit tous les membres du village.
Aux premières heures des villages d’Abidjan, la gestion du foncier était l’œuvre de la chefferie qui avait des mécanismes de régulations foncières selon des principes et procédures locales. Ces principes parfois considérés comme informels, ignoraient souvent les principes du droit officiel que dictait le colon. En effet, l’aspect primordial des systèmes fonciers coutumiers est que les droits sur la terre et la distribution des parcelles sont liés aux appartenances sociales.
Avec le développement économique, des changements socio-politiques s’opéraient. Ceci se traduisait au niveau du foncier par une évolution des systèmes fonciers coutumiers. Ceux-ci ont été enchâssés par le système colonial puis celui qu’a connu l’indépendance. Ce système tentait de remplacer complètement le système foncier coutumier en vigueur.
Ainsi, tout morcellement et toute construction en milieu rural accordés par la chefferie du village demande au préalable un contrôle des autorités étatiques avant la réalisation. Dans notre zone d’étude, après l’obtention du droit de construire par les autorités étatiques, le propriétaire a selon le droit, au maximum un an pour mettre la terre en valeur sinon elle lui sera rétrocédée. Mais les villageois ne se sentent pas concernés par cette mesure.
Ces différentes formes de gestion foncière ont des conséquences sur l’urbanisation et ce type d’urbanisation à en conséquence un impact sur la terre des autochtones. Selon le mode de raisonnement du courant économique marginaliste, selon lequel la valeur d’un bien dépend de son utilité à un moment donné, explique la valeur économique qu’acquiert le foncier. Cette valeur économique est à la fois pour les villages compris dans le district d’Abidjan que pour les quartiers qui occupent les espaces considérés comme des domaines étatiques et les autorités publiques.
Enjeux économiques : le foncier comme capital marchand
La terre, plus particulièrement dans le village est un bien commun dont sa gestion se fait de manière collective sans faire l’objet de spéculation foncière. Mais avec le partage de lots aux différentes familles, la terre devient un bien individuel objet de marchandise. Chaque famille ayant reçu des lots, les met en location. Ces lots sont pour beaucoup un moyen de produire de la richesse.
L’enjeu économique pour ces populations est de pouvoir mobiliser quotidiennement la nourriture pour son alimentation. Avec l’avancée de la ville vers leur village, ces populations ont perdu toutes leurs parcelles de récoltes. Le foncier utilisé pour la construction de logements devient de ce fait des moyens importants de mobilisation de l’épargne.
La terre, plus particulièrement dans le village est un bien commun dont sa gestion se fait de manière collective sans faire l’objet de spéculation foncière. Mais avec le partage de lots aux différentes familles, la terre devient un bien individuel objet de marchandise
Au plan national, les taxes perçues par les autorités administratives sur les différents lots en location constituent une ressource pour l’Etat. Sur la question des taxes, un litige a eu lieu entre l’ancienne mairie d’Abobo et la chefferie du village. Inscrivant Akéikoi à Abobo, les autorités municipales demandaient des taxes journalières sur les artères commerciales. Cependant le village refusait car ce n’était à la mairie de fixer les taxes mais à la chefferie. De même dans le village d’Akéikoi à l’exemple des autres villages au sein du district d’Abidjan, l’activité commerciale est essentiellement la vente des produits alimentaires qui étaient cultivés.
Dans l’univers de ces villages situés dans le district d’Abidjan, la pratique de l’activité agricole n’est plus tout à fait d’actualité. Par conséquent leurs ressources financières proviennent essentiellement de la vente de parcelles de terres et des logements mis en location. Comme plusieurs citadins, ces populations autochtones dans la grande majorité vont travailler en ville comme ils aiment à le dire. En somme, nous assistons alors à une modification des activités économiques dans le village.
Enjeux sociaux : le foncier comme facteur d’appartenance sociale
L’enjeu social au niveau de la question foncière, selon les autorités coutumières, est fortement basé sur le culturel. Pour le village, la terre appartient aux ancêtres qui les ont légué aux chefs et à leur tour ont légué à la chefferie actuelle. Elle reste une manifestation de la tradition et de la culture du village. Elle reste la mémoire et l’histoire du peuple. Elle doit à travers sa culture et la tradition être un repère pour la génération future. Elle est le moteur de la cohésion sociale au sein du village. La terre représente surtout pour le village une représentation et identification du peuple.
Tous ces peuples autochtones du district d’Abidjan ont des pratiques sociales telles que les relations de parenté ou de connaissances ; ainsi que des relations d’alliances qui 13 définissent ensemble l’histoire d’un peuple. Ces peuples ont pour obligation de maintenir les pratiques traditionnelles comme les rituelles. Dans le cas du village d’Akéikoi, ces pratiques existent encore, toutefois les populations selon les générations décident de pratiquer ou non ces rituelles.
Pour le village, la terre appartient aux ancêtres qui les ont légué aux chefs et à leur tour ont légué à la chefferie actuelle. Elle reste une manifestation de la tradition et de la culture du village. Elle reste la mémoire et l’histoire du peuple. Elle doit à travers sa culture et la tradition être un repère pour la génération future. Elle est le moteur de la cohésion sociale au sein du village
Akéikoi comme d’autres villages est la terre natale d’un peuple. La transformer complètement, c’est faire disparaître quelques années plus tard ce peuple akyé situé dans le district d’Abidjan, c’est aussi, faire disparaître la culture d’Akéikoi. Ne dit-on pas que le développement passe par la culture ? Nous pensons que la culture au sein du village doit exister même si le village est phagocyté par la ville.
Le développement que connait Akéikoi, entraîne la disparition du milieu rural et, conduit le village à une gestion moderne du foncier selon la théorie de l’innovation institutionnelle induite.
Enjeux environnementaux : le foncier comme partie intégrante d’un développement durable
L’urbanisation est l’élément essentiel du développement du village d’Akéikoi et du district d’Abidjan en général. Avec la première phase d’urbanisation qu’a connue le village, donnant ainsi un lot à toutes les familles du village, la chefferie pense bâtir sur les 104 hectares. Les différentes constructions qui verront le jour sur les 104 hectares 14 doivent éviter une surconsommation de terrain et une véritable destruction foncière qui est une ressource non renouvelable.
Tandis que les pratiques foncières sont organisées par la chefferie du village, l’Etat fixe les impôts, comme dans tout le périmètre d’Abidjan, sur les maisons issues de cette pratique foncière
Pour les pouvoirs publics, nous pensons que l’urbanisation du district d’Abidjan, ainsi que de tous les villages et quartiers, notamment, doit donner à la localité une allure de cité moderne à l’exemple de toutes les cités du district d’Abidjan. Ainsi les taxes et impôt pourront augmenter, permettant à l’Etat d’augmenter son budget et participer au développement du village. Nous pouvons dire que l’urbanisation est tant profitable pour le peuple la population que pour les autorités étatiques. L’Etat ne peut embellir le district d’Abidjan sans porter une attention sur les villages et quartiers situés dans le district.
L’utilité du foncier dans le développement territorial a suscité plusieurs acteurs. Dans le village particulièrement, la gestion du foncier est la fonction de l’Etat et des populations autochtones. Tandis que les pratiques foncières sont organisées par la chefferie du village, l’Etat fixe les impôts, comme dans tout le périmètre d’Abidjan, sur les maisons issues de cette pratique foncière.
Ainsi le peuple autochtone étant le maître de sa terre décide de gérer le foncier qui est pour lui une ressource financière. Cette ressource financière pourrait participer à l’urbanisation du village et à la cohésion sociale. Alors, de ces enjeux autour de la question foncière qui sont d’ordre politique, économique, social et environnemental, une opposition va naître entre les autorités coutumières et autorités modernes pour le contrôle du foncier au sein du district d’Abidjan.
Conclusion
Nous constatons donc que cette dynamique d’expansion urbaine exerce des pressions sur les terres en zone périphérique. Avec l’étalement urbain dans les villages situés à la périphérie du district d’Abidjan, nous assistons à deux modes de gestion foncière. Cette pratique est aussi vécue dans le village d’Akéikoi. Nous avons d’une part le mode de gestion coutumière du foncier, d’autre part, le mode de gestion moderne du foncier. Et cette coexistence des deux modes de gestion foncière est source de différend entre les différents acteurs du foncier le village situé au sein du district d’Abidjan.
Ainsi, cette dualité des modes de gestion foncière entraîne à une diversité des enjeux politiques entre les autorités coutumières et les autorités modernes, qui explique les la conflictualité du foncier entre la chefferie traditionnelle et les autorités publiques.
En somme, nous confirmons que les conflits fonciers interculturels sont une réalité en Afrique au sud du Sahara. Ils sont essentiellement un frein au processus de développement des villes, partant de l’urbanisation et de l’aménagement urbain. Indifféremment des acteurs impliqués dans ces différents conflits fonciers dans ces villes de l’Afrique subsaharienne, il est important de porter un regard critique sur cet ensemble de conflits fonciers, car ils sont dus pour l’essentiel aux enjeux qui se nouent autour de la question foncière.
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