Alain K. Tossa, Faozane Oro, Leonide Sinsin
L’année 2021 s’est achevée et nous tournons nos regards vers un nouveau cycle d’expériences, d’espoir mais surtout d’épreuves. En 2021, dans la quasi-totalité de la région ouest-africaine (de Savalou à Porga au Bénin, de Fada à Ouargaye au Burkina, de Cinkassé à Koutoukpa au Togo, etc.), nous avons impuissamment observé le poids de la solitude et du vide laissé par l’exode des populations; loin de représenter une fuite mais plutôt un témoignage. Parce que nous valons plus que des chiffres, ce billet se veut nourrir l’espace public des réflexions portées sur le secteur de l’énergie en Afrique subsaharienne sous différents regards.
Nous avons fait de l’accès à l’énergie un vecteur d’intégration des populations et des régions en électrifiant autant d’infrastructures socio communautaires et essentielles (écoles, centres de soin et de santé, unités administratives) que d’unités productives isolées exportatrices de biens à forte valeur ajoutée (champs de maraîchers, usines de transformation agricole, etc…) dans des régions souvent transfrontalières.
L’énergie comme rempart face à l’exclusion et la vulnérabilité
Des épreuves de la fermeture des frontières due au COVID-19, force est de constater les conséquences de l’insécurité grandissante dans des territoires pourtant peuplés mais précaires. Cela est en grande partie causé par le manque d’infrastructures publiques et sociales essentielles, la faible attractivité du capital privé hors des centres urbains ou des zones côtières et touristiques, ainsi que par la difficile mise en œuvre d’une intégration régionale propice à la mobilité des biens comme des personnes.
Nos résultats obtenus au quotidien grâce à nos actions pluridisciplinaires liées à l’accès à l’énergie témoignent de l’importance de cette dernière comme une source de vie intarissable. Dans ce contexte, le solaire photovoltaïque jouera un rôle primordial de par sa rapidité de déploiement et son coût de plus en plus compétitif. Électrifier un hameau ou un arrondissement est un premier levier de lutte contre toutes formes d’exclusion et de réduction des inégalités à la base.
L’importance d’une pluralité des solutions
L’accès à l’énergie ne peut aucunement être un luxe à l’heure des externalités climatiques et des inégalités en toutes sortes qui accélèrent la vulnérabilité des hommes et de leurs territoires. Toutes les instances qui coordonnent les investissements du secteur de l’énergie se doivent de regarder l’immensité du potentiel de toutes les formes d’énergie nouvelle qui existent. L’hétérogénéité des besoins doit toujours nous guider, loin des débats modernes d’imposer des formes spécifiques d’unité de production d’énergie.
Chaque pays se doit de miser sur la diversité des solutions viables au profit d’une option unique de type clé en main, financée ou même offerte. En effet, les sciences et techniques n’ont cessé de prouver qu’il n’existe aucune forme d’énergie prépondérante, mais plutôt un mix à atteindre en fonction des ères, des contraintes mais surtout de la vision des gouvernants.
Les signaux d’une gouvernance concertée
Diriger, c’est porter la responsabilité de l’incertain. Les besoins en infrastructures sont alarmants et le seront davantage tant les multiples formes d’exode et les taux de natalité accroissent toutes pressions sur l’habitant et sur l’environnement.
Il est donc capital d’associer la société civile dans la conception des politiques d’investissement et d’aménagement grâce aux formes de consultation qui existent notamment celles portées par le digital. Ceci, pour que l’acceptabilité ne soit pas qu’une exigence de financement suivant les standards internationaux mais le réel leitmotiv justifiant la viabilité des projets. Il convient donc pour les bénéficiaires et les parties prenantes de disposer d’informations à jour et fiables.
L’accès à l’énergie ne peut aucunement être un luxe à l’heure des externalités climatiques et des inégalités en toutes sortes qui accélèrent la vulnérabilité des hommes et de leurs territoires
Le Bénin a récemment appliqué, avec succès, une telle méthodologie dans le cadre du cofinancement des mini réseaux solaires hybrides où des consultations publiques sont organisées au sein des localités devant abriter les ouvrages. Les instances publiques associées aux communes en présence des populations se retrouvent autour de débats animés et ouverts sur les questions de foncier, d’économie inclusive, mais surtout de tarification en présence des développeurs de projet et des financiers. Cette cohésion justifie l’intérêt d’une gouvernance concertée et l’importance des mécanismes réglementaires et législatifs clairs pour tout investisseur et développeurs de projet.
La durabilité: du rôle des formations et passerelles multi sectorielles
Les investissements dans le domaine de l’énergie reposent sur la pérennité des actifs aux horizons de moyen et long terme. En moyenne et sous couvert du risque et des assurances de financement et d’exploitation, une centrale thermique a une durée de vie d’une vingtaine d’années, une centrale nucléaire comme hydroélectrique peut être exploitée sur un demi-siècle, et une centrale solaire hors stockage sur une vingtaine d’années. La gestion efficace des actifs, le partage d’informations, et la veille permanente reposent sur des ressources humaines aguerries et formées pour la circonstance.
Malheureusement, les chiffres actuels ne nous donnent guère raison tant la part d’assistance technique est encore significative dans les grands projets d’infrastructures. En l’absence de données affinées et à jour, nous pointons du doigt les laboratoires et centres de recherche qui ne sont pas suffisamment associés et outillés dans la pérennisation des actifs. Ce constat peut se justifier par l’absence d’observatoires qui sont des points culminants d’informations synthétisées et à forte valeur analytique ou encore l’absence de clusters qui soient des passerelles stratégiques et opérationnelle entre le monde de l’entreprise et celui de l’enseignement.
En l’absence de données affinées et à jour, nous pointons du doigt les laboratoires et centres de recherche qui ne sont pas suffisamment associés et outillés dans la pérennisation des actifs
Une approche de solution demeure la nécessité de disposer d’un laboratoire de tests, pour accréditer la qualité des biens importés et dont malheureusement la dégradation avancée ne reflète aucunement les fiches techniques et d’études de référence. La contribution de ce centre facilitera les synergies entre les organes étatiques et les cordons douaniers pour protéger et rentabiliser les investissements annoncés dans les énergies renouvelables, ceci au profit des populations.
De tout ce qui précède, les investissements dans le capital humain, le cadre de travail, et la formation, aussi bien appliquée que de pointe, ne seront jamais de trop dans une Afrique où les principales valeurs ajoutées économique et énergétique comptabilisées même aux échelles macroéconomiques sont bien trop souvent le fruit du travail manuel, à la sueur du front, et sans trop de contribution technique ou technologique.
Comme suggéré dans le rapport “Perspectives Économiques 2020” de la Banque africaine de développement. (BAD) : “nos entreprises et nos centres de formation doivent en toute synergie œuvrer à développer des compétences pour une réallocation dans des filières à forte intensité de main d’œuvre et à moyenne ou forte productivité”.
Cette approche certes très coûteuse, ne peut que passer par des spécialisations, des approches de formation en métiers, et une coopération internationale plus intensive car les migrations, la mobilité et la technologie ont prouvé que ni la géographie, ni les langues et encore moins les cultures ne sont une barrière à l’innovation, à l’unisson.
Dans un monde où le temps et la distance sont bravés au quotidien par les réseaux interconnectés, l’accès à l’énergie permet à l’Afrique de ne pas être dans une relative autarcie. En effet, les multiples annonces en faveur du secteur de l’énergie portent en filigrane un certain nombre de paradoxes: la quasi inexistence d’industrie de production ou d’assemblage des produits et équipements déployés, les coûts du financement et de structuration onéreux avec une forte perception du risque, un poids des subventions, aides ou exonérations au détriment de politiques fiscales et sociales audacieuses et durables pour construire un cadre durable et décent, des coûts logistiques et l’aléa des récoltes qui compromettent le panier de la ménagère en production locale comme en importation, sans oublier les tensions sécuritaires comme la gestion de la crise sanitaire.
Pour que nos énergies ne se meurent, notre seule survie et dignité reposent sur de la productivité active massive
Il est en effet coutume d’entendre ou de se laisser croire que le mal règne là où réside l’obscurité. Mais notre obscurité ne doit aucunement être confondue à une forme d’obscurantisme car bien trop longtemps, nous avons été loin des cercles stratégiques, décisionnels ou simplement dans une éternelle position de simples bénéficiaires ou de parties prenantes. En effet, l’Afrique n’est pas une exception tant les régions du monde sont toutes à l’épreuve de tensions et de chocs en tous genres.
Alors, pour que nos énergies ne se meurent, notre seule survie et dignité reposent sur de la productivité active massive. Nous devons produire (sciences, culture, technique, publications, colloques, jumelage, etc…), produire autant que nous pouvons pour porter notre voix, prouver que nos choix et décisions sont mûris et nourries, et surtout justifier par des approches empiriques nos courbes d’apprentissage, en apprenant de nos erreurs et pour une transmission efficace à la jeunesse.
Parce que le changement climatique nous révèle chaque jour le coût de l’inaction, et parce que les soixante dernières années nous ont largement prouvé que les cautions extérieures ne représentent aucunement la solution, nos efforts collectifs et notre voie assumée vaudront toujours mieux que toute forme d’intelligence solitaire, ou reçue sans le poids de l’effort créatif derrière.
Crédit photo : ARESS
Alain K. Tossa D’origine béninoise, Alain K. Tossa est docteur en Génie énergétique et ingénieur de Conception respectivement au Burkina Faso (2iE) et au Bénin (EPAC). Il cumule plus d’une dizaine d’années d’expériences (études, réalisation, audit) dans les énergie renouvelables, et en particulier dans le solaire photovoltaïque. Faozane Oro D’origine béninoise, Ayefemi est diplômé en Information et en Communication. Il est un entrepreneur dans les métiers de la communication et du numériques. Leonide Sinsin D’origine béninoise, Leonide intervient dans les domaines et applications des énergies en particulier du solaire photovoltaïque. Après des études en Énergies, Économies et Techniques appliquées, il a fondé en 2012 la African Renewable Energy Systems & Solutions (ARESS).