Situation des droits de l’Homme C’est toujours difficile de comparer un continent à un autre et même de comparer des pays. Disons que les pays africains, comme d’autres pays dans le monde, connaissent des périodes de troubles. Ce n’est pas une problématique africaine. On note de bonnes nouvelles et de mauvaises nouvelles. On observe des pays qui sont sur la voie du progrès et puis des pays qui connaissent un vrai recul en matière de démocratie et de droits humains. Dans les bonnes nouvelles, on peut citer par exemple l’abolition de la peine de mort. On voit un grand nombre de pays qui abolissent la peine de mort en Afrique. On voit d’autres pays qui empêchent les défenseurs de travailler et qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association On voit beaucoup de lois nationales qui permettent d’assurer la protection des défenseurs des droits humains et en même temps, on voit d’autres pays qui empêchent les défenseurs de travailler et qui portent atteinte à la liberté d’expression et à la liberté d’association. On a ce paradoxe de pays qui avancent à des rythmes divers, certains sur la voie du progrès et d’autres sur la voie de la régression sur le plan des droits humains. Obstacles majeurs J’aborde les situations par pays. Je ne vois pas les mêmes obstacles dans tous les pays. Parfois, le principal obstacle, c’est l’absence de volonté politique et s’il n’y a pas de volonté politique, alors bien évidemment rien n’avance. Dans d’autres pays, c’est la corruption qui est le principal obstacle souvent lié à l’absence de volonté politique et la corruption explique parfois l’absence de volonté politique. Parfois, il s’agit d’intérêts personnels et non d’intérêts géopolitiques ou géostratégiques. De grandes entreprises internationales opèrent dans des pays et ont la capacité de faire pression sur les États, sur le gouvernant, pour entraver la démocratie. Le mandat que j’ai est un mandat de coopération technique et je ne suis pas nommé pour dénoncer les pays mais pour les aider à progresser. Parfois, le principal obstacle, c’est l’absence de volonté politique et s’il n’y a pas de volonté politique, alors bien évidemment rien n’avance. Niveau d’indépendance de la Commission africaine J’aime beaucoup la Commission africaine, c’est un lieu un peu magique pour moi car on a la société civile qui s’exprime, les institutions nationales, les États… Parfois, c’est tendu et on le voit quand on aborde certaines situations nationales mais c’est un lieu au moins de discussions. Ce qui me plaît, c’est qu’au-delà des séances formelles de la commission, nous sommes dans un lieu à part où les relations interpersonnelles peuvent jouer. Je vois des ONG qui discutent avec des États. Ils peuvent se dire des choses, ils peuvent se passer des messages et cela me paraît extraordinaire. Ce que je note aussi, c’est que la Commission africaine nomme des rapporteurs sur des thèmes comme la défense des droits de l’Homme ou la question des femmes. C’est un lieu un peu magique pour moi car on a la société civile qui s’exprime, les institutions nationales, les États… Efficacité des mécanismes du système africain des droits de l’Homme Comme tous les systèmes internationaux et régionaux, le principal obstacle, c’est la mise en œuvre. Il n’y a pas de mécanismes contraignants aux Nations Unies, à la Commission Inter-américaine, dans le conseil de L’Europe et à la Commission africaine, pas de mécanismes de sanctions qui font que quand un État ne met pas en œuvre les recommandations, il peut y être contraint. Le principe même, c’est la coopération entre les États, les bonnes pratiques, l’échange de recommandations et ensuite on laisse aux États la liberté de mettre en œuvre. Il y a également la Cour africaine, comme il y a une Cour européenne, une Cour Inter-américaine qui est un lieu dans lequel on peut penser que les plaignants pourraient obtenir réparation mais on sait en même temps que la Cour Africaine a du mal à subsister, a du mal à exister, n’est pas assez financée, n’est pas assez soutenue. Mais on essaye d’avancer pour une plus grande effectivité de la Cour africaine des droits de l’Homme et des peuples qui permettrait de mieux répondre aux aspirations des Africains. Le système africain me paraît très vivant et je pense qu’il faut le soutenir. Pour ce qui concerne mon mandat, depuis que je suis là, j’organise tous les ans une réunion inter-mécanismes à laquelle j’invite le rapporteur de la Commission africaine, celui de la Commission inter-américaine et le conseil de l’Europe pour discuter et pour voir ce que nous pouvons faire ensemble, puelle stratégie nous pouvons développer ensemble pour être plus efficace. Que les Nations Unies parlent de la Commission africaine mais que j’entende aussi cette dernière me dire voilà ce que je pourrai faire pour les aider à être plus efficaces. La Cour africaine a du mal à subsister, elle a du mal à exister, elle n’est pas assez financée et n’est pas assez soutenue Les menaces actuelles Il y a des menaces politiques que certains font peser sur la commission. Prenons par exemple l’élection à la présidence de la commission, elle est un élément important puisqu’en fait le bureau de la commission va avoir un rôle important à jouer. L’élection des commissaires également est un levier important. On sait que les États font pression pour obtenir un siège ou pour empêcher un autre d’avoir un siège de leader au sein de la commission. L’obstacle financier constitue un élément préoccupant. Sans ressources financières, sans ressources humaines et sans staff compétent dédié à la Commission, elle est moins efficace. Les difficultés résideront dans la capacité à trouver les ressources financières et un budget approprié qui permettra à la Commission de jouer pleinement le rôle qu’elle devrait jouer. Enfin, il y a aussi l’absence de volonté politique de certains États qui en fait ne voient pas en la commission un bon outil capable d’adresser des recommandations pertinentes aux États sur l’état de droit et la justice. On sait que les États font pression pour obtenir un siège ou pour empêcher un autre d’avoir un siège de leader au sein de la commission Défis à relever Ce qui m’inspire dans le travail, c’est d’abord les rencontres humaines. Quand je suis dans un pays, je rencontre la société civile, les défenseurs et j’essaie d’aller dans les lieux les plus reculés. Je vais là où les défenseurs ne sont pas protégés par la communauté internationale parce qu’ils sont loin des capitales. On sait que les ambassades sont dans les capitales, ils invitent les défenseurs des droits humains à venir les rencontrer mais beaucoup d’entre eux ne peuvent pas voyager. Mon travail, c’est d’être le défenseur des défenseurs et de porter leur voix. Je porte cette voix devant la communauté internationale, soit devant le pays dans lequel je suis, soit devant la commission africaine, soit devant la Commission inter-américaine ou le conseil de l’Europe ou les Nations Unies. Cela constitue à chaque fois un défi. Il y a des pays dans lesquels il y a un défi principal et puis des pays dans lesquels je pense qu’il y a dix ou douze défis importants à relever, donc le degré d’intervention varie selon les obstacles dans les pays. Quand je suis dans un pays, je rencontre la société civile, les défenseurs et j’essaie d’aller les lieux les plus reculés Relation intergénérationnelle Alors, il y a des choses qui se font à l’heure actuelle qui sont très positives. On voit que la voix des défenseurs et celle de la société civile sont entendues à la commission lors des sessions. Ils ont une place pour prendre la parole et on voit que certains États prennent conscience du rôle important que joue la société civile. Ils ne sont pas des empêcheurs de tourner en rond, ils ne sont pas des ennemis du pays, ils ne sont pas “anti-développement”. Ce sont des gens, des femmes et des hommes, qui aident les populations à jouir de leurs droits ou à protéger des droits qui sont garantis par la constitution du pays ou par les textes internationaux. C’est une grande qualité que de pouvoir écouter la société civile et malheureusement beaucoup de chefs d’État et de gouvernement ou de ministres ne prennent pas la mesure de la richesse qu’ils ont chez eux. Dans tous les pays, je vois une richesse extraordinaire chez des femmes défenseurs des droits humains et chez des hommes et maintenant une nouvelle catégorie est apparue avec les enfants défenseurs. Il s’agit des jeunes qui utilisent les réseaux sociaux comme Twitter et Facebook. Ils twittent des images, des photos, des liens et qui en fait militent également, qui sortent parfois dans la rue pour manifester. C’est une catégorie qui me paraît particulièrement vulnérable et j’appelle les États à mieux prendre en compte la dimension des enfants défenseurs. Récemment, le comité des droits de l’enfant a adopté une résolution demandant aux États d’être plus attentifs aux jeunes. Lorsque les jeunes descendent dans la rue, il faut être capable d’entendre leurs aspirations à un monde meilleur. Il faut que les anciens apprennent à laisser la place aux plus jeunes et c’est ça qui permettra de revitaliser la démocratie L’ invitation que je lance aux ONG est d’essayer de se renouveler et d’inclure dans leurs instances dirigeantes des jeunes défenseurs qui pourront revitaliser l’action de leurs structures. Parfois, ma crainte est de voir que certaines grandes ONG internationales et nationales reproduisent le même système que les chefs d’Etat et de gouvernement, c’est-a-dire restent constamment au pouvoir. On a des présidents d’ONG qui restent 25 ans alors que des jeunes générations qui sont compétentes, formées et éduquées qui pourraient prendre le relais. Il faut que les anciens apprennent à laisser la place aux plus jeunes. C’est cela qui permettra de revitaliser la démocratie en Afrique.