Auteur : Interpol
Type de publication : Rapport
Date de publication : septembre 2016
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Contexte
La destruction, le pillage et le trafic du patrimoine et des biens culturels ont toujours été présents à travers l’Histoire, en particulier dans les situations de conflits ou d’après-conflits. À l’origine, le commerce international d’antiquités et d’objets d’art, légal ou non, était aux mains de spécialistes membres d’un réseau de partenaires de confiance, qui suivaient des méthodes unifiées. Les biens de valeurs étaient identifiés et sélectionnés, avant d’être transportés dans des conditions adaptées et de traverser les frontières, parfois dissimulés dans des compartiments cachés ou grâce à la présentation de documents falsifiés ou un versement de pots-de-vin à des fonctionnaires corrompus. Un réseau de partenaires confidentiels établissait une trace écrite qui permettait aux revendeurs de ne pas être démasqués, en créant des documents attestant de contrats, de frais et d’un assujettissement à l’impôt. Ces pratiques sont désormais facilitées par la mondialisation des échanges, les nouveaux moyens de transport ainsi que les sites protégés et la quantité de contacts disponibles sur Internet.
Il y a plusieurs dizaines d’années sont apparus des groupes organisés, criminels ou non, proposant des services professionnels à un nombre croissant de vendeurs et de collectionneurs. Le volume et la valeur des transactions ont augmenté, provoquant alors une explosion des prix et des marges, alors que le commerce illégal d’œuvres d’art ne cessait de croître. Aujourd’hui, grâce à des technologies avancées, les biens culturels procèdent de vols, de pillages, de fouilles, d’exportation ou d’importations illégales.
La place qu’occupent les groupes criminels organisés et les groupes terroristes à cet égard est particulièrement préoccupante. Ils se livrent au trafic de biens culturels sous toutes ses formes et commettent des infractions connexes. Ils vendent illégalement des biens sur différents marchés, notamment dans des salles de vente et sur Internet. Le trafic de biens culturels est désormais un instrument de blanchiment d’argent et une source de financement pour les groupes terroristes. Il est bien souvent rendu possible par le soutien de parties prenantes en interne, telles que douaniers, agents chargés du contrôle aux frontières, agents d’application de la loi, marchands d’arts et antiquaires corrompus.
Du fait de leur caractère transnational, les infractions liées au trafic de biens culturels peuvent impliquer plusieurs juridictions nationales. Les biens tombés aux mains de trafiquants sont d’abord pillés dans un pays et traversent plusieurs territoires avant d’atteindre leur destination finale. Lorsque ces biens sont interceptés, les autorités locales ne disposent pas toujours de l’expertise nécessaire pour les identifier, les évaluer ou prendre la mesure des activités criminelles qui se cachent derrière leur trafic. Les actions menées par les autorités législatives et institutionnelles et par les services chargés de l’application de la loi se sont avérées insuffisantes. Seules des actions menées à l’échelle régionale ou mondiale pourront endiguer ce trafic.
À la fin des années 1960 et au début des années 1970, les musées et les sites archéologiques sont confrontés à un nombre croissant de vols. Des objets frauduleusement importés ou d’origine non identifiable commencent à être proposés à des collectionneurs privés et parfois même à des institutions officielles. La première mesure de lutte contre ce phénomène au plan national est la création, en Italie, du premier service national de police dédié à la protection des biens culturels, le commandement de Carabiniers pour la Protection du patrimoine culturel. En 1970, l’UNESCO apporte la première réponse internationale à cette menace en adoptant sa Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels.
Cette dernière exhorte les États parties à prendre des mesures dans trois domaines-clés : la prévention, le retour et la restitution des biens, et la coopération internationale. Grâce à des procédures claires et détaillées, la Convention définit des mesures concrètes à mettre en place à l’échelle nationale pour mieux lutter contre ce type de trafic. En 2015, la Conférence des États parties adopte les Directives opérationnelles relatives à la mise en œuvre de la Convention de 1970, en vue de renforcer les mesures préventives et les procédures de retour et de restitution des biens.
La liste d’actes de procédure adoptés relativement au retour des biens s’allonge en 1995 lors de l’adoption de la Convention d’UNIDROIT sur les biens culturels volés ou illicitement exportés, qui traite des relations entre les acteurs du secteur privé et révèle la place prépondérante du commerce privé dans le trafic des biens culturels.
En 1954, la Convention de La Haye pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux protocoles (de 1954 et 1994) définissent une série d’obligations s’appliquant aux États parties en temps de paix (p. ex. créer des unités spéciales dans les armées nationales pour protéger les biens culturels) et en temps de guerre (p. ex. ne pas viser les biens culturels ni les utiliser à des fins militaires). Cette Convention est enrichie près de vingt ans plus tard, en 1972, par la Convention de l’UNESCO concernant la protection du patrimoine mondial culturel et naturel, qui définit un cadre rigoureux de conservation et de suivi d’un certain nombre de biens d’une valeur universelle exceptionnelle.
La première mesure de lutte contre ce phénomène au plan national est la création, en Italie, du premier service national de police dédié à la protection des biens culturels, le commandement de Carabiniers pour la Protection du patrimoine culturel. En 1970, l’UNESCO apporte la première réponse internationale à cette menace en adoptant sa Convention concernant les mesures à prendre pour interdire et empêcher l’importation, l’exportation et le transfert de propriété illicites des biens culturels
En adoptant ses résolutions 66/180 du 30 mars 2012 et 68/186 du 18 décembre 2013, l’Assemblée générale reconnaît la nécessité d’établir une vaste collaboration internationale, reposant sur la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée (2000), pour lutter contre le trafic de biens culturels et les infractions connexes. Cette convention est particulièrement adaptée à la prévention, aux actes d’instruction et à la poursuite de ce trafic ainsi qu’au retour et à la restitution des biens volés ou tombés aux mains de trafiquants car elle s’applique à la grande criminalité organisée.
En 2014, l’Assemblée générale des Nations unies adopte les Principes directeurs internationaux sur les mesures de prévention du crime et de justice pénale relatives au trafic de biens culturels et aux autres infractions connexes (résolution 69/196 de 2014). Ce texte à portée internationale définit un ensemble de principes directeurs sur les mesures de justice pénale en matière de lutte contre le trafic de biens culturels. Il prévoit notamment la mise en œuvre de stratégies de prévention de la criminalité, de politiques de justice pénale et de mécanismes de coopération entre les services chargés de l’application de la loi et les autorités judiciaires dans le but d’assurer le retour, la restitution ou le rapatriement des biens volés. Si ces actes de procédure témoignent de l’attention qu’accorde la communauté internationale à ces questions, elles mettent également en lumière les nombreuses dispositions devant être transposées dans les législations nationales. Pour en assurer l’exécution homogène à l’échelle internationale, des actions doivent être menées pour harmoniser les législations et réglementations nationales et renforcer la coopération des parties prenantes et des acteurs des secteurs public et privé nationaux et internationaux.
En adoptant en 2015 la résolution 69/281 sur la « Sauvegarde du patrimoine culturel de l’Iraq », l’Assemblée générale des Nations unies déplore le nombre croissant d’attaques et de menaces visant le patrimoine culturel des pays victimes de conflits armés. Une avancée majeure survient en février 2015 lors de l’adoption de la Résolution 2199 du Conseil de sécurité des Nations unies au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations unies.
En 2013, la Résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations unies intègre, pour la première fois, la protection des sites du patrimoine culturel au mandat d’une mission de maintien de la paix de l’ONU : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Cette résolution appelle la MINUSMA « à aider, si nécessaire et réalisable, les autorités de transition maliennes à protéger des attaques les sites culturels et historiques du pays, en collaboration avec l’UNESCO ».
Principales mesures proposées
Au niveau international
Les États qui n’y sont pas déjà parties sont invités à envisager la ratification des Conventions de 1954, 1970 et 1972 de l’UNESCO et de leurs protocoles de 1954 et 1999, de la Convention UNIDROIT de 1995, de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 et de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme de 1999. Ils sont également invités à ratifier le Statut de Rome ou à reconnaître ponctuellement son autorité en matière d’infractions visant des biens culturels pour faciliter la poursuite de ces infractions et la lutte contre l’impunité des malfaiteurs.
Il convient de conclure des accords et traités bilatéraux et de renforcer les traités multilatéraux applicables. Nous devons également enrichir leurs dispositions et étendre leur champ d’application aux pays auxquels ils ne sont pas applicables à ce jour. Ils constitueraient ainsi une base juridique pour une entraide judiciaire la plus large possible dans le cadre des enquêtes, des poursuites et des procédures pénales visant le trafic de biens culturels (notamment le trafic perpétré à des fins de financement du terrorisme) et leur récupération.
Les États membres sont appelés à s’acquitter de leurs obligations en vertu des résolutions 2199 et 2253 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptées en 2015 et de toute autre résolution relative à la protection du patrimoine culturel. Il convient également de mettre en œuvre des actes de procédure similaires concernant les biens culturels enlevés illicitement des autres pays victimes de conflits.
En 2013, la Résolution 2100 du Conseil de sécurité des Nations unies intègre, pour la première fois, la protection des sites du patrimoine culturel au mandat d’une mission de maintien de la paix de l’ONU : la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA). Cette résolution appelle la MINUSMA « à aider, si nécessaire et réalisable, les autorités de transition maliennes à protéger des attaques les sites culturels et historiques du pays, en collaboration avec l’UNESCO »
La communauté internationale manque de données fiables sur la nature transnationale du trafic de biens culturels (itinéraires de trafic, ampleur, tendances, modes opératoires et bénéfices générés). C’est pourquoi il est conseillé aux organisations internationales d’envisager de mener des études et des recherches pour combler ces lacunes et réfléchir aux moyens de fournir des conseils et une assistance techniques aux États membres en vue de renforcer leur capacité de collecte et d’analyse des données en la matière. Il est crucial d’améliorer la coopération systématique entre les États et les organisations internationales dans ce domaine.
A l’échelle nationale
Nous invitons les États à harmoniser, le cas échéant, leurs législations nationales avec les normes internationales pertinentes, en particulier la Convention de 1970 de l’UNESCO et ses directives opérationnelles, la Convention d’UNIDROIT de 1995 ainsi que la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée de 2000 et les « Principes directeurs internationaux sur les mesures de prévention du crime et de justice pénale relatives au trafic de biens culturels et aux autres infractions connexes ».
Il convient de revoir les législations nationales de sorte à classifier comme actes de grande criminalité la destruction ou le trafic de biens culturels, y compris le vol et le pillage des sites archéologiques et des autres sites culturels, en vertu de l’article 2 de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, ainsi que l’importation et l’exportation illicites de biens culturels, définis à l’art. 8 de la Convention de 1970 de l’UNESCO. Il convient d’imposer à toutes les personnes et entités commettant ces infractions des sanctions proportionnées, dissuasives et efficaces.
Nous invitons chacun à faire usage, le cas échéant, de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée et de la Convention internationale pour la répression du financement du terrorisme comme base juridique pour étendre la coopération internationale en matière pénale afin de lutter contre toutes les formes et tous les aspects du trafic de biens culturels et des infractions connexes.
L’utilisation des outils existants développés sous l’égide de l’UNESCO, de l’ONUDC, de l’OMD et d’INTERPOL doit être améliorée et mieux intégrée de sorte à pouvoir lutter efficacement contre le trafic illicite de biens culturels. Parmi ces outils l’on compte la base de données d’INTERPOL sur les œuvres d’art volées, la plateforme ARCHEO de l’OMD, toutes les listes rouges de l’ICOM, le portail de gestion des connaissances SHERLOC de l’ONUDC et la base de données de l’UNESCO sur les législations nationales du patrimoine culturel.
Chaque pays est invité à procéder à un inventaire et un recensement complet de son patrimoine culturel, sous toutes ses formes, y compris les biens mobiliers, immobiliers, matériels et immatériels, afin de se préparer à l’éventualité d’un conflit armé ou d’une catastrophe naturelle. Il est recommandé de créer une base de données nationale sur les biens culturels volés qui s’avérerait cruciale dans le cadre des enquêtes visant ces biens et de la récupération et la restitution de ces objets.
Chaque pays est invité à renforcer ses capacités, par exemple en faisant participer des experts en patrimoine culturel, des membres de la société civile et des communautés locales au processus d’inventaire, de documentation et d’évaluation des dommages, de première assistance en matière culturelle et de réduction des risques. Il convient également de renforcer les capacités des autorités de justice pénale en matière de conduite d’enquêtes nationales et transnationales, de poursuites et de coopération judiciaire pour lutter contre les infractions pénales visant des biens culturels.
Il est recommandé d’encourager les activités de formation et de sensibilisation, notamment les activités informelles, de sorte à promouvoir le pluralisme culturel et le respect du patrimoine culturel et à créer des sociétés plus tolérantes et ouvertes grâce aux programmes scolaires. Nous invitons les services chargés de l’application de la loi mais aussi les organisations internationales, non gouvernementales et privées pertinentes à participer aux campagnes de sensibilisation à la question du patrimoine culturel.
Il convient de revoir les législations nationales de sorte à classifier comme actes de grande criminalité la destruction ou le trafic de biens culturels, y compris le vol et le pillage des sites archéologiques et des autres sites culturels, en vertu de l’article 2 de la Convention des Nations unies contre la criminalité transnationale organisée, ainsi que l’importation et l’exportation illicites de biens culturels, définis à l’art. 8 de la Convention de 1970 de l’UNESCO
Mesures principales concernant les biens culturels des zones victimes de conflits armés
Il convient de faire appliquer, en les intégrant au droit national, les dispositions de la Convention de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé et ses deux protocoles, indépendamment de leur ratification, et d’autres conventions de l’UNESCO concernant la culture, notamment les dispositions :
- imposant le respect du patrimoine culturel en interdisant d’utiliser ces biens et leur environnement immédiat et les dispositifs mis en place pour les protéger, à des fins susceptibles de les exposer à un risque de destruction ou dégradation en cas de conflit armé ;
- interdisant tout acte d’hostilité à l’égard de ces biens ou toute utilisation de ces derniers à des fins militaires, sauf en cas de nécessité militaire impérative.
Nous invitons les États à sensibiliser les populations à la lutte contre le trafic de biens culturels en cas d’urgence et à soutenir les activités existantes en la matière, par exemple la campagne #unite4heritage, en particulier celles qui ciblent les populations locales, les musées, les collectionneurs, les marchés d’arts et les plateformes en ligne.
Nous appelons les États à enregistrer systématiquement les biens culturels saisis provenant des pays victimes de conflits armés, ainsi que toute documentation y afférente (photographies, descriptions, rapports d’experts, etc.) et à communiquer régulièrement ces informations aux organisations internationales concernées, conformément aux obligations en matière de rapports prévues par les résolutions 2199 et 2253 du Conseil de sécurité des Nations unies adoptées en 2015.
Nous exhortons les États à intégrer à la formation des forces militaires et des services chargés de l’application de la loi un module concernant la protection du patrimoine culturel, notamment en cas et au cours de conflits armés.
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