Auteur : Groupe de la Banque mondiale
Type de publication : Rapport
Date de publication : Janvier 2019
Lien vers le document original
Une ville qui bouge est une ville qui gagne
« Il est 5 heures, Abidjan se lève ». Chaque matin Jean-Noel se réveille pour rejoindre son poste de travail dans le quartier des affaires sur le Plateau. Il doit passer d’un taxi collectif à l’autre si bien qu’il dépense environ FCFA 25.000 par mois ou environ le quart de son salaire. Gertrude, elle, a besoin de 90 minutes par jour pour voyager de sa maison située à Yopougon jusqu’à son école, qui se trouve dans le quartier de Cocody. Ces expériences individuelles se répètent des centaines de milliers de fois chaque jour dans la ville d’Abidjan, qui regroupe près de 5 millions d’habitants. Ceux-ci se déplacent à pied, en taxi individuel ou collectif, en bus, ou en voiture, créant des embouteillages monstres et de multiples nuisances.
Un ménage abidjanais dépense en moyenne, directement en frais de transport et indirectement en temps perdu, plus de 30% de son budget pour les plus pauvres
A cela s’ajoute tous les déplacements commerciaux car Abidjan est le poumon économique de la Côte d’Ivoire, avec son port, son aéroport et ses zones industrielles et commerciales. Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que le transport influe fortement sur la vie des ménages, affectant leur bien-être, et sur la rentabilité des entreprises. Un ménage abidjanais dépense en moyenne, directement en frais de transport et indirectement en temps perdu, plus de 30% de son budget pour les plus pauvres. Avec une pointe d’humour, les Ivoiriens ont coutume de dire : « quand tu cherches quelqu’un à Abidjan, il est soit au maquis ou en chemin pour arriver au maquis ». Parce que le transport urbain joue un rôle central dans le développement économique de la Côte d’Ivoire, cette deuxième partie de ce rapport sur la situation économique du pays s’intéresse à cette problématique. Elle commence par situer l’importance du transport urbain dans la vie économique des citoyens et des entreprises de la Côte d’Ivoire, pour ensuite examiner les multiples facteurs qui influencent la performance actuelle. Enfin, elle conclut en évaluant la pertinence de la stratégie poursuivie par le Gouvernement tout en proposant plusieurs directions qui pourraient mener à une meilleure efficacité.
L’importance du transport urbain
Malgré son importance, il n’est guère facile d’estimer quantitativement le poids du transport sur toutes les activités économiques et sur l’ensemble des habitants d’une ville. La principale difficulté est qu’il affecte une vaste panoplie d’agents économiques et cela pour de multiples activités. Au risque de simplifier, et en suivant l’exemple de nombreuses études internationales, le point de départ est de s’intéresser aux déplacements qu’effectuent les ménages, notamment pour rejoindre leur lieu de travail, ou le cas échéant leurs écoles ou les autres services sociaux comme les centres de santé. Le coût total de ces déplacements est alors estimé en coûts monétaires et en durée du trajet (qui est ensuite convertie en coût monétaire en supposant que les individus pourraient travailler pendant ce temps perdu).
En suivant cette méthode, il peut être estimé que le coût total du transport urbain au sein d’Abidjan est à peu près égal à 4,1 milliards de FCFA par jour pour l’ensemble des ménages de la métropole, soit presque 1.200 milliards de FCFA sur une année (ou l’équivalent d’environ 5% du PIB national en 2017). Ces montants sont obtenus de la manière suivante :
- Chaque jour ouvrable, un ménage de la ville d’Abidjan effectue en moyenne 6,09 déplacements, chacun d’entre eux ayant une durée d’environ 33 minutes (en comptant le temps d’attente). Il dépense quotidiennement 1.075 FCFA.
- Dans la mesure où il y a environ 1.167.000 ménages dans l’agglomération d’Abidjan, le coût monétaire direct est donc de 1,26 milliards de FCFA par jour, soit l’équivalent de 376 milliards par an.
- A ce coût monétaire direct s’ajoute le coût d’opportunité en supposant que chaque ménage perd 200 minutes par jour de temps de travail et que son salaire quotidien est égal 6.000 FCFA, ce qui revient à un total d’environ 2,9 milliards par jour ou 879 milliards par an.
La lourdeur des coûts de transports réduit les effets d’agglomération et augmente les inégalités car elle pénalise davantage les ménages pauvres. En effet, elle rend difficile l’accès aux emplois, qui ne se trouvent pas toujours proches des lieux d’habitations. A Abidjan, la majorité des emplois sont concentrés dans les quartiers du Plateau et de Marcory. Or, les ménages pauvres habitent dans d’autres quartiers urbain et de plus en plus dans des quartiers en dehors mais à proximité de l’agglomération comme Grand Bassam, Dabou, Bonoua et Azaguié. Seulement 18,5% de tous les emplois au sein de la région du Grand Abidjan sont accessibles en moins d’une heure. Ce pourcentage diminue jusqu’à 5% lorsque cet exercice est étendu aux banlieues où vivent une majorité de pauvres et où les réseaux de transports sont limités. L’accessibilité est plus faible pour les emplois dans le secteur industriel (moins de 15%), alors qu’elle atteint environ 22% dans le secteur des services dont les activités sont mieux réparties géographiquement sur l’ensemble de la ville. Le même exercice pour les soins de santé illustre qu’uniquement 7% de la population se trouve à moins d’une heure d’un centre hospitalier à Abidjan. Le manque de mobilité urbaine pénalise donc directement les ménages, qui doivent consacrer une part importante de leur budget et de leur temps aux transports, et indirectement en les empêchant de tirer parti des avantages potentiels d’une ville, à savoir les opportunités de trouver un emploi ou d’accéder à une meilleure éducation et à des soins de santé.
Le nombre de décès sur les routes est plus élevé en Côte d’Ivoire qu’au Nigeria et au Ghana
Enfin, la qualité de la vie est affectée négativement en raison de l’insécurité routière et l’accroissement de la pollution. Le nombre de décès sur les routes est plus élevé en Côte d’Ivoire (16,9 pour 100,000 habitants) qu’au Nigeria (9,7) et au Ghana (12,9). Les personnes à risques ne sont pas les conducteurs mais les piétons, en particulier les enfants. La pollution de l’air augmente avec l’accroissement du trafic motorisé et des embouteillages. Si ce phénomène est encore maitrisé, cela est surtout dû au fait que le nombre de véhicules privés reste marginal (environ 500.000 véhicules toutes catégories confondues, soit 0,1 véhicule par habitant). Toutefois, leur nombre est en rapide hausse, et l’émission de CO2 par véhicule est importante en raison du manque d’entretien, de contrôle et de l’âge moyen relativement élevé du parc automobile.
Pourquoi le transport urbain est-il en souffrance en Côte d’Ivoire ?
La faiblesse de la mobilité urbaine à Abidjan s’explique à travers l’existence de plusieurs contraintes. Certaines sont d’ordre naturel, telles que la morphologie de la ville avec ses nombreuses lagunes et quartiers séparés par des bras de mers. D’autres sont de nature humaine comme l’absence d’une infrastructure de transport de qualité, d’un accès limité aux moyens de transports, et le non-respect de simples règles de comportement par les usagers de la route. L’attention est ici donnée sur les contraintes humaines ou de politique économique.
Celui qui arrive à Abidjan ne peut être qu’agréablement surpris de prime abord : les routes existent. Plusieurs ouvrages importants ont vu le jour ces dernières années comme le troisième pont et des autoroutes ou voies rapides sur certains axes importants. La densité de routes bitumées y est d’environ 0,4 mètre par habitant ce qui est trois fois supérieur à celle de Dar es Salaam (0,15) et Conakry (0,17) et plus élevée qu’à Accra (0,34).
Toutefois, il ne faut pas se fier complètement à cette première impression pour au moins trois raisons :
- La première est que la densité du réseau routier est encore faible selon les normes internationales, égale à moins de la moitié de celle observée en moyenne dans le monde en développement qui est approximativement de 1 mètre de routes bitumées par habitant. Dans les villes modernes de l’OCDE, ce ratio dépasse en général 5 mètres par habitant (6,4 au Royaume-Uni, 8,1 en Allemagne).
- La deuxième est que l’état de ces routes est souvent déplorable. Non seulement les conditions climatiques spécifiques du pays telles que les fortes pluies, endommagent l’infrastructure rapidement, mais l’entretien est aussi problématique avec peu de planification et de ressources financières.
- La troisième et dernière raison est que la répartition spatiale du réseau routier est fortement inégale, avec des quartiers favorisés comme le Plateau et Cocody, alors que d’autres souffrent de déficits importants (Abobo, Yopougon).
Abidjan est une ville piétonne, ce qui est certainement une bonne nouvelle pour l’environnement mais moins pour l’économie de la ville. Environ 40% des déplacements quotidiens se font en marchant, ce qui est la norme dans la plupart des villes africaines et ultimement guère éloigné des proportions observées dans les villes développées. On marche tout autant à Paris (42% en 2010) ou Berlin (34%). La différence est qu’à Abidjan ce mode de transport est plus imposé qu’un choix pour les individus, en particulier les plus pauvres qui effectuent 60% de leurs déplacements à pied, alors que cette proportion diminue à environ 25% pour les plus riches. Plus pervers est que les plus pauvres renoncent souvent à se déplacer. En moyenne, à Abidjan, un ménage pauvre se déplace 5 fois par jour contre 7-8 fois pour les plus riches.
A Abidjan, un ménage pauvre se déplace 5 fois par jour contre 7-8 fois pour les plus riches
La spécificité d’Abidjan, à l’instar de nombreuses villes africaines, n’est pas tant dans la proportion de piétons mais plutôt dans l’usage proportionnellement élevé des transports collectifs nonconventionnés (appelés informels ou artisanaux), ce qui compense en grande partie l’absence de transport de masses dans la ville. Il est ainsi estimé que 4,1 déplacements quotidiens sur 10 s’effectuent par taxi individuel ou collectifs (Woro-Woro) et minibus (Gbaka) contre seulement 0,6 par bus de la SOTRA. Dans une ville européenne, en 2010, près de 40% des habitants utilisaient un transport public de masses à Zurich, plus de 30% à Londres et autour de 35% à Paris.
Le manque de mobilité urbaine à Abidjan est aggravé par les insuffisances civiques et l’irrespect des règles par de nombreux usagers et acteurs du transport. Par exemple, les routes sont souvent bloquées à cause de l’occupation illicite des voies par les petits commerçants. Les voitures ne sont pas toutes en règle car mal entretenues, et les sanctions rarement appliquées. La dégradation des voies s’accélère à cause des habitations construites sur les emplacements prévus pour l’évacuation des eaux, entrainant des inondations, des glissements de terrains et la dégradation des infrastructures. Peut-être le signe le plus visible est le non-respect du Code de la route et l’incivisme des conducteurs de taxis collectifs et des mini-bus, qui se sont inscrits dans la légende urbaine ivoirienne avec les chansons populaires des années 79-80 (par exemple, « les Gbakas de Daouda »).
Les Wathinotes sont soit des résumés de publications sélectionnées par WATHI, conformes aux résumés originaux, soit des versions modifiées des résumés originaux, soit des extraits choisis par WATHI compte tenu de leur pertinence par rapport au thème du Débat. Lorsque les publications et leurs résumés ne sont disponibles qu’en français ou en anglais, WATHI se charge de la traduction des extraits choisis dans l’autre langue. Toutes les Wathinotes renvoient aux publications originales et intégrales qui ne sont pas hébergées par le site de WATHI, et sont destinées à promouvoir la lecture de ces documents, fruit du travail de recherche d’universitaires et d’experts.
The Wathinotes are either original abstracts of publications selected by WATHI, modified original summaries or publication quotes selected for their relevance for the theme of the Debate. When publications and abstracts are only available either in French or in English, the translation is done by WATHI. All the Wathinotes link to the original and integral publications that are not hosted on the WATHI website. WATHI participates to the promotion of these documents that have been written by university professors and experts.