Clara Gehrunger
Durant les dernières années, de nombreux scandales ont terni l’image de l’armée allemande. En plus de cela, plusieurs partenaires de l’Allemagne s’exaspèrent régulièrement du blocage allemand dans certaines structures de coopération militaire et dans le financement de l’OTAN. Toutefois, depuis le début de la guerre en Ukraine, la situation a changé. Le 27 février, le Chancelier allemand Olaf Scholz du parti Social-démocrate (SPD) a annoncé l’allocation d’une série de fonds et la mise en place de mesures dans le secteur de la sécurité.
Dix jours avant cela, le président français, Emmanuel Macron, apparaît face aux caméras pour annoncer la fin de « l’Opération Barkhane » après neuf ans d’intervention militaire française au Mali. Partenaire stratégique de la France au Sahel, l’Allemagne avait jusqu’ici travaillé en étroite collaboration avec son pays voisin.
Impliquée au niveau militaire notamment dans la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA) et Mission de formation de l’Union européenne (EUTM), il est probable que la décision du président français aura également un effet domino et direct sur l’implication militaire allemande au Mali.
Une série de scandales au sein de l’armée allemande
Depuis longtemps, l’image de la « Bundeswehr », l’armée fédérale allemande s’est fortement dégradée. Au cours dernières années, un scandale a chassé l’autre. En 2015, des enquêtes menées par des médias et des commissions parlementaires révélaient que les fusils d’assaut G36 de la compagnie Heckler & Koch montraient des problèmes de précision lors de tir à haute température. Depuis 1996, les G36 faisaient partie de l’équipement standard de chaque soldat, l’armée disposait d’approximativement 167 000 fusils. Selon les enquêtes, le ministère de la Défense connaissait ces problèmes depuis 2011.
D’autant plus que le grand public est régulièrement scandalisé par des opinions d’extrême droite au sein même de l’armée. Entre 2012 et 2016, 18 membres de l’armée allemande ont dû être démis ou suspendus pour des convictions proches des thèses de l’extrême droite. En 2017 notamment, le soldat Franco Albrecht, a été suspendu alors qu’il planifiait un attentat en se faisant passer pour un réfugié syrien afin d’attiser la xénophobie. Apparemment, ses supérieurs avaient ignoré des signaux concernant ses convictions ultra-nationalistes en 2014.
Un autre défi récurrent est celui des coûts excessifs liés à l’entretien des équipements militaires. En 2018, la ministre de la Défense de l’époque, Ursula Von der Leyen du parti Chrétien-démocrate (CDU), annonçait la rénovation du voilier école « Gorch Fock » pour 135 millions d’euros. Deux ans plus tôt, les coûts avaient été estimés à seulement 35 millions. En plus de cela, les travaux de rénovation avaient été interrompus pendant plusieurs années et prenaient donc plus de temps que prévu.
En 2021, 300 véhicules blindés de combat d’infanterie du type « Puma » ont été livrés à la Bundeswehr, soit environ 20 ans après la période initialement prévue. Les chars sont vétustes et ont besoin de travaux de modernisation. Le coût estimé pour cela s’élève à 500 millions d’euros. En conséquence, seulement une quarantaine environ (en juin 2021) fonctionne normalement. Initialement prévu pour l’usage national mais aussi pour l’exportation, les coûts de maintenance, les temps de finalisation et des problèmes observés avec le Puma découragent les acheteurs potentiels. Le modèle précédent « Marder » datait encore des années 1970.
Ces nombreux scandales ont pour conséquence une image affaiblie de l’armée malgré les efforts de la nouvelle ministre de la Défense Christine Lambrecht (SPD) pour remettre la « Bundeswehr » en état de marche.
De l’austérité aux grands investissements militaires
L’Allemagne a été récemment réprimandée pour ne pas avoir respecté les 2% d’investissements militaires exigés par l’OTAN. Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine en février de cette année, le nouveau Chancelier Olaf Scholz a complètement changé la dynamique en cours. Il a promis d’investir énormément dans le domaine militaire. Pour commencer, il a décidé de respecter l’exigence des 2% d’’investissement de l’OTAN, ce qui ferait de l’Allemagne le troisième plus grand investisseur militaire au monde.
D’autant plus que le grand public est régulièrement scandalisé par des opinions d’extrême droite au sein même de l’armée. Entre 2012 et 2016, 18 membres de l’armée allemande ont dû être démis ou suspendus pour des convictions proches des thèses de l’extrême droite
Pourtant, les problèmes de l’armée résident plus dans sa structure et son organisation que dans le financement. Par ailleurs, le Chancelier Scholz, qui était auparavant ministre des Finances de l’Allemagne, a été critiqué pour n’avoir pas effectué beaucoup de dépenses dans d’autres domaines, y compris l’éducation et la santé.
Au-delà du financement, le Chancelier a acheté des avions de chasse américains très modernes. Dans le contexte de la guerre entre l’Ukraine et la Russie, il a rompu avec le principe de non-prolifération des armes en faveur de l’Ukraine, une politique que l’Allemagne avait officiellement adoptée depuis 1971).
L’implication allemande au Mali
L’Allemagne a été, selon ses propres mots , le premier pays à reconnaître l’État malien après son indépendance en 1960. Depuis, elle a investi dans la coopération notamment au niveau dans des projets de développement. Entre 2014 et 2020 seulement, l’aide allemande au développement à destination du Mali s’est élevée à 540 millions d’euros . Une partie de cet intérêt provient certainement de la crainte allemande de flux migratoires importants.
Dans ce contexte, et en prenant en compte l’étroite coopération politique et stratégique avec la France, il est donc peu surprenant que l’Allemagne soit devenue active sur le plan militaire au Mali. La décision sur sa participation à l’EUTM a été prise en urgence en février 2013 au Parlement pour commencer en mars de la même année. Il faut, par contre, mentionner que tout engagement allemand au Sahel a toujours été basé sur le critère d’un caractère non-exécutif, c’est-à-dire, qui ne permet pas la participation au combat. C’est peut-être grâce à cette caractéristique de la mission et à la non-implication historique dans le colonialisme au Sahel que l’opinion publique dans la région paraît plus favorable à la politique étrangère allemande comparée à la France.
Au total, le plus grand engagement militaire allemand actuel à l’étranger est la participation à la mission de casques bleus dans la MINUSMA, à la mission d’entraînement EUTM et au renforcement des forces de sécurité (EUCAP Sahel Mali, EUCAP Sahel Niger). Depuis plusieurs années, l’armée allemand déploie des soldats à Niamey et Tahoua au Niger : elle participe également à la formation des forces armées dans le cadre de la « mission Gazelle », même si le focus reste explicitement sur l’implication au Mali.
Chaque année, le Parlement allemand doit voter sur la continuation de l’intervention militaire. Le dernier vote en faveur s’est effectué en mai 2021 et est valable jusqu’au 31 mai 2022. Il est donc bientôt temps de décider à nouveau de l’avenir de l’engagement au Mali. Plus que jamais, un changement de l’intervention est probable dans le contexte actuel.
Pourtant, depuis le début de la guerre en Ukraine en février de cette année, le nouveau Chancelier Olaf Scholz a complètement changé la dynamique en cours. Il a promis d’investir énormément dans le domaine militaire. Pour commencer, il a décidé de respecter l’exigence des 2% d’’investissement de l’OTAN, ce qui ferait de l’Allemagne le troisième plus grand investisseur militaire au monde
Quel avenir pour l’engagement allemand au Sahel ?
En février, peu après l’annonce de la fin de Barkhane et de la Task force européenne Takuba, l’EUTM fut aussi suspendue. Un mois plus tard, suite à une réunion des ministres des affaires étrangères des pays membres de l’Union européenne, le 11 février, le Chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, en annonçait aussi la fin, tout en laissant ouverte la possibilité de la reprendre.
Cette décision va dans le sens des opinions et intentions prononcées par des hommes politiques allemands. Avec un budget européen de 46 milliards d’euros en 2021, 10 milliards de plus que l’aide humanitaire européenne au Mali, et qui composait seulement environ 5 à 10% des coûts totaux de la mission, l’EUTM était d’ores et déjà critiquée. Surtout en raison du fait que la majorité du budget allouée servait à protéger le personnel et les moyens logistiques.
La ministre des Affaires Étrangères allemande, Annalena Baerbock (parti vert), avait récemment exprimé des craintes concernant la future implication allemande au sein de l’EUTM, puisqu’elle considérait l’hypothèse que les soldats formés par l’armée allemande pourraient ensuite coopérer avec les mercenaires russes de groupe Wagner et participer à des abus de droit humain. Par contre, la ministre a jugé préférable de poursuivre la participation allemande à la MINUSMA. La déléguée de l’armée allemande, Eva Högl (SPD) avait formulé des réserves sur les objectifs de moins en moins clairs pour la mission et pour l’armée.
Entre 2014 et 2020 seulement, l’aide allemande au développement à destination du Mali s’est élevée à 540 millions d’euros . Une partie de cet intérêt provient certainement de la crainte allemande de flux migratoires importants
Ce qui reste une option pour la mission de formation est un redéploiement vers le Niger. Puisque l’Allemagne est déjà impliquée dans la formation dans deux villes de ce pays voisin du Mali, également affecté par le conflit. La France envisage également de s’y réorienter, cela constituerait une alternative plausible. Annalena Baerbock et la ministre allemande de la Défense, Christine Lambrecht (SPD), ont récemment effectué des visites diplomatiques à Niamey. Cette dernière s’était déjà prononcée en décembre 2021 en faveur d’un éventuel transfert militaire suite à l’intervention du président Mohamed Bazoum.
La décision finale sur le futur de l’intervention militaire allemande sera entre les mains du Parlement en ce mois de mai . Depuis le dernier vote, le contexte de l’intervention et la situation diplomatique ont beaucoup changé. Un redéploiement vers le Niger est probable, mais pas évident. Par contre, la poursuite de l’engagement au sein de la MINUSMA est à supposer, vu que les conséquences d’une détérioration supplémentaire de l’instabilité s’étendraient jusqu’en Europe. Pour l’armée allemande, il s’agit de redorer son image tout en gardant une présence dans le Sahel.
Crédit photo : lindependant-mali.net
Clara Gehrunger est diplômée en journalisme. Intéressée par les questions de géopolitique, les crises et conflits, elle effectue actuellement un Master en paix, conflits et développement en Espagne. Elle est en stage à WATHI.