L’avocat Duma Boko a prêté serment le vendredi 8 novembre au stade national de Gaborone, devenant le nouveau président du Botswana. Le parti d’opposition Umbrella for Democratic Change (UDC), dirigé par ce défenseur des droits humains âgé de 54 ans a remporté 36 sièges au parlement, infligeant une défaite historique au Botswana Democratic Party (BDP), au pouvoir depuis l’indépendance en 1966 qui n’a remporté que quatre sièges. Le président sortant Mokgweetsi Masisi a immédiatement concédé la victoire et félicité son adversaire, admettant que son parti avait lourdement échoué au cours des dernières années. Il s’est dit fier du processus démocratique dans son pays. Pour rappel, au Botswana, comme en Afrique du Sud, le président n’est pas élu au suffrage universel. Il est désigné par le parti ou la coalition majoritaire à l’Assemblée nationale.
Le parti historique et jusque-là intouchable, le BDP, a été sévèrement sanctionné par les citoyens de ce pays d’Afrique australe de 2,6 millions d’habitants abonné aux toutes meilleures places dans les classements africains en matière de démocratie, de respect de l’État de droit et de bonne gouvernance. Au cours des dernières années, la popularité du BDP s’est effondrée, le gouvernement étant accusé de corruption, de népotisme et de mauvaise gestion, aggravant des inégalités de revenus déjà très fortes. Le chômage des jeunes a explosé, atteignant 38%, avec l’essoufflement d’une économie restée trop dépendante des exportations de diamants naturels, dont le Botswana est le deuxième producteur mondial, derrière la Russie.
La récente étude de l’institut Afrobaromètre montrait la chute spectaculaire de la perception de la qualité de la démocratie au Botswana par les citoyens. Le soutien à la démocratie comme meilleure forme de gouvernement est passé de 82% à 75 % des populations entre 2013 et 2023. La satisfaction vis-à-vis du fonctionnement de la démocratie a régressé de 40 points, passant en dix ans de 70% à 30% de populations satisfaites. Le même effondrement de la satisfaction, 40 points, a été observé dans une autre des démocraties les plus installées du continent, l’île Maurice, où des élections législatives auront lieu ce dimanche 10 novembre.
On ne parle pas suffisamment de ce noyau de pays africains constants pendant plusieurs décennies dans le maintien de bonnes pratiques démocratiques et dans une gestion des affaires qui a permis d’améliorer incontestablement les conditions de vie des populations. Les classements ne reflètent certes jamais parfaitement la réalité des progrès et des limites, mais les Seychelles, l’île Maurice, le Cabo Verde, l’Afrique du Sud, le Botswana, qui sont les 5 pays avec les meilleurs indicateurs synthétiques de gouvernance de la fondation Mo Ibrahim en 2023, restent des références sur le continent, malgré la dégradation brutale de la perception de la qualité démocratique au cours des dernières années.
Pendant ce temps, aux Etats-Unis, les électeurs ont ramené Donald Trump au pouvoir au terme d’un résultat incontestable et incontesté et d’une campagne agressive dominée par des attaques personnelles, des fausses informations et la vulgarité de celui qui est donc redevenu président de la première puissance mondiale. C’est une victoire de la démocratie – si on réduit celle-ci à l’expression du choix de la majorité des électeurs à un moment donné, sur la base de l’offre politique qui leur est présentée. Mais la première puissance mondiale sort de ces élections avec une polarisation intacte de la société, joie et excitation d’un côté, angoisse et stupeur de l’autre. Avec aussi le risque d’une remise en cause de certains piliers d’un État de droit et la banalisation de propos et d’actes de racisme, de xénophobie et des violences policières ciblant des groupes minoritaires. La posture et les déclarations d’un président ne sont jamais sans conséquences sur l’atmosphère générale dans un pays.
La victoire de Donald Trump illustre les impasses politiques auxquelles conduisent les évolutions économiques, sociales et technologiques sur la longue durée. Des universitaires comme l’économiste Angus Deaton, prix Nobel d’économie en 2015, expliquent depuis des années comment la mondialisation, le progrès technique mais aussi l’influence politique insidieuse des riches et des très riches alimentent l’appauvrissement et les frustrations des classes populaires ouvrières, les moins diplômés, victimes de la désindustrialisation, des pertes massives d’emplois, et plus récemment de l’inflation.
Donald Trump n’a eu aucun mal à se faire passer pour le candidat le mieux placé pour défendre les intérêts économiques immédiats de ces Américains des campagnes et des petites villes très éloignés des débats intellectuels, des innovations technologiques et du bouillonnement culturel de New York, Los Angeles ou San Francisco. Et il a réussi l’exploit de se faire le porte-voix des catégories sociales défavorisées et frustrées tout en bénéficiant du soutien précieux du multimilliardaire Elon Musk, star planétaire de la tech, qui n’a pas de souci à se faire pour la bonne santé de ses entreprises dont les actions se sont littéralement envolées au lendemain de l’élection. Trump et Musk ne semblent pas considérer la diffusion massive de fausses informations sur les réseaux sociaux comme un problème majeur. Rien que pour cela, il y a des raisons de s’inquiéter pour le signal qui sera donné pendant les quatre prochaines années au reste du monde comme manière de faire de la politique et de gouverner.
En Afrique, ce dimanche 10 novembre, ce sera donc au tour de l’île Maurice, un autre pays parmi les mieux classés sur la longue durée en matière de pratique démocratique, comme le Botswana, d’élire un nouveau parlement. Si nous ne parlons jamais de ce petit groupe de pays africains qui montrent qu’il n’y a aucune incompatibilité entre choix de la construction progressive de systèmes démocratiques et d’États de droit d’une part, progrès économique et social et gestion intelligente de la diversité ethnique et culturelle d’autre part, personne ne le fera. Les régimes militaires et civils qui s’imposent par la force aux populations ne sont nulle part pas une fatalité.