Auteur (s): Human Rights Watch
Type de publication : Rapport de recherche
Date de publication : 2018
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En Guinée, l’un des pays les plus pauvres du monde, l’exploitation de la bauxite est en plein essor. Depuis 2015, le gouvernement du président Alpha Condé a fait de la Guinée l’un des principaux exportateurs mondiaux, et le plus grand exportateur de ce minerai vers la Chine, le premier producteur mondial d’aluminium.
La région de Boké, au nord-ouest de la Guinée, est le point central de la récente croissance du secteur minier. La région compte aujourd’hui des dizaines de carrières de bauxite à ciel ouvert, qui se démarquent facilement des paysages guinéens verdoyants par leur terre de couleur rouge.
Bien que le développement florissant du secteur de la bauxite apporte au gouvernement un revenu fiscal dont il a grand besoin, des milliers d’emplois et des bénéfices aux sociétés minières et à leurs actionnaires, il a également de lourdes conséquences sur les droits humains des communautés rurales vivant à proximité des activités liées à l’exploitation du minerai. Les sociétés minières profitent de la protection ambiguë des droits fonciers ruraux par la législation guinéenne pour exproprier des terres agricoles ancestrales sans offrir d’indemnisation adéquate, ou en versant des paiements financiers qui ne compensent pas le profit que les communautés en tiraient. Les dégâts causés aux sources d’eau et attribués par les populations locales à l’exploitation minière, ainsi que la demande provoquée par l’afflux de migrants vers les zones minières, réduisent l’accès à l’eau dont les communautés dépendent pour boire, se laver ou cuisiner.
Des milliers de jeunes ont saccagé des bâtiments publics et ont érigé des checkpoints officieux afin d’empêcher les sociétés minières de mener leurs activités. « Lorsque les frustrations s’accumulent, il suffit d’un rien pour que cela explose », a confié un haut fonctionnaire du ministère des Mines à Human Rights Watch. « La population voit les investissements financiers réalisés par une société, les taxes et les impôts perçus, les camions transportant la bauxite de leurs terres agricoles vers les pays étrangers, ils respirent la poussière et s’interrogent, “Quels bénéfices en tirons-nous ? ” ».
Perte des terres et des moyens de subsistance
En Guinée, les terres rurales sont organisées conformément au droit coutumier (ou traditionnel). Celui-ci reconnaît les droits d’une famille, d’un lignage ou d’une communauté sur la terre en fonction de son lien historique avec celle-ci.
Les sociétés minières profitent de la protection ambiguë des droits fonciers ruraux par la législation guinéenne pour exproprier des terres agricoles ancestrales sans offrir d’indemnisation adéquate
En l’absence de protection claire pour les droits fonciers coutumiers, les sociétés minières affirment souvent que les terres rurales restent, en termes juridiques, « la propriété de l’Etat », qui leur a donné le droit de les exploiter. Dans le cas de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), les responsables locaux et les leaders communautaires ont déclaré que jusqu’à 2015, la société n’avait procédé à aucune indemnisation pour les terres utilisées dans le cadre de l’exploitation minière.
Des dizaines d’agriculteurs ont expliqué que l’impact de la perte de terres a été aggravé par les dégâts causés par l’exploitation minière sur les terres agricoles restantes et les autres sources de nourriture, comme la pêche. « Depuis l’ouverture de la mine, nos champs sont couverts de poussière », a dénoncé un agriculteur qui a montré aux chercheurs de Human Rights Watch des arbres et des cultures recouverts d’une poussière rouge.
Si certains hommes peuvent obtenir des emplois dans les sociétés minières en remplacement des revenus qu’ils ont perdus, il est rare que les femmes soient employées par ces sociétés, alors même qu’elles sont souvent chargées de trouver d’autres sources de nourriture en raison du manque à gagner dû à l’exploitation minière.
Accès réduit aux ressources en eau
Des études montrent qu’à moins d’une gestion adaptée, l’extraction de la bauxite peut avoir des impacts significatifs sur l’hydrologie du paysage alentour.
En raison de l’expropriation des terres pour permettre l’exploitation minière ou la construction d’infrastructures minières, les communautés avaient été privées d’accès aux cours d’eau et aux sources naturelles d’eau potable, alors même que la pression sur les ressources en eau augmente en raison de l’afflux de personnes à la recherche d’un travail à la mine.
La pénurie d’eau signifie que les femmes et les jeunes filles, qui sont souvent chargées du ravitaillement en eau, sont obligées de parcourir de plus grandes distances, ou d’attendre plus longtemps pour se servir à des points d’eau déjà saturés, comme les forages ou les puits.
Jusqu’en 2017, la CBG ne disposait pas des outils de suivi nécessaires, comme par exemple un modèle qui permettrait de suivre l’impact de l’exploitation minière sur le débit des fleuves, cours d’eau et eaux souterraines, afin d’évaluer l’impact de l’exploitation minière sur le niveau des eaux. La CBG a indiqué qu’elle développait désormais des outils de suivi qui lui permettraient de comprendre l’impact de l’exploitation minière sur les sources d’eau au niveau local.
Menaces pour la santé liées à la détérioration de la qualité de l’air
De nombreux habitants de la région de Boké ont décrit comment leurs vies avaient été durement affectées par la poussière rouge produite par l’extraction et le transport de la bauxite, qui recouvre les villages et les récoltes et pénètre dans les maisons. « Elle s’introduit partout, jusqu’aux repas que nous cuisinons », a expliqué l’habitante d’un village proche d’une mine de la Société Minière de Boké (SMB) située au sommet d’une colline.
La poussière qui émane des mines de bauxite à ciel ouvert ainsi que des zones de stockage, avant d’être dispersée lors du transport routier du minerai, n’est normalement pas plus toxique que d’autres formes de poussière. Mais l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que l’exposition à toutes particules fines, qui constituent une partie de la poussière produite par les activités minières, peut causer, déclencher ou exacerber les maladies respiratoires et cardiovasculaires. Les émissions de gaz d’échappement des véhicules sont également une cause avérée de maladie respiratoire.
En février 2018, en pleine saison sèche, une inspection conjointe du ministère des Mines et du ministère de l’Environnement conduite dans quatre villages proches des zones d’opération de la SMB a enregistré des niveaux de particules fines qui se situaient bien au-delà des niveaux recommandés par l’OMS.
Supervision gouvernementale
La capacité et les ressources des organismes gouvernementaux qui supervisent l’industrie minière se sont améliorées au cours des dernières années, en partie grâce aux formations et à l’équipement des donateurs internationaux. Néanmoins, les institutions gouvernementales sont toujours loin du compte en matière de personnel, de ressources et souvent aussi, de volonté politique quand il faut superviser de manière effective des projets qui se multiplient, avec la focalisation du gouvernement sur la croissance du secteur minier parfois surpassant la protection environnementale et sociale.
« Elle s’introduit partout, jusqu’aux repas que nous cuisinons », a expliqué l’habitante d’un village proche d’une mine de la Société Minière de Boké (SMB) située au sommet d’une colline
D’après les fonctionnaires du ministère de l’Environnement, il leur est en théorie possible, une fois l’exploitation minière commencée, de refuser à une société minière le renouvellement de son certificat environnemental, qui lui est nécessaire pour mener ses activités en Guinée, si ses pratiques présentent des anomalies. « Si le certificat n’est pas renouvelé, l’entreprise est en situation d’illégalité au regard des lois environnementales de la Guinée », a expliqué Seydou Barry Sidibé, Secrétaire général du ministère guinéen de l’Environnement. Cependant, le ministère de l’Environnement a reconnu qu’il est difficile pour le gouvernement de fermer des projets rentables à grande échelle.
Bien que le gouvernement puisse imposer des pénalités aux entreprises qui violent les obligations environnementales, des responsables au niveau national et local ont déclaré que la contribution de l’exploitation minière à l’économie guinéenne protégeait les entreprises contre les sanctions gouvernementales.
Le manque de transparence de la part des sociétés minières et du gouvernement guinéen sur les impacts sociaux et environnementaux de l’exploitation minière aggrave encore l’absence d’une véritable supervision étatique. Les organisations de la société civile et même les responsables locaux ont souvent du mal à obtenir les exemplaires des études d’impact, des plans de gestion sociale environnementale, des rapports d’inspection, des audits et des données de suivi.
Ce qu’il faut faire
Le boom de la bauxite en Guinée étant appelé à se poursuivre, il est impératif que le gouvernement continue à renforcer ses capacités de supervision du secteur minier et à protéger les droits des communautés concernées. Le gouvernement devrait commencer par adopter une réglementation qui a trop tardé depuis l’arrivée du code minier de 2011 avec un système uniforme d’indemnisation et des normes pour les acquisitions foncières dans le secteur minier.
Pour permettre aux organisations de la société civile de compléter ce contrôle, le gouvernement devrait s’assurer que le secteur fonctionne avec plus de transparence, notamment en exigeant la publication des études d’impact environnemental et social (EIES).
Recommandations
- Pour le Gouvernement
Renforcer le processus d’approbation des nouveaux projets miniers : n’approuver que les projets d’industries extractives dont les entreprises ont évalué correctement les risques en matière de droits humains, ainsi que les risques sociaux et environnementaux, et démontré leur capacité à protéger les communautés des impacts négatifs liés au projet.
Le gouvernement devrait commencer par adopter une réglementation qui a trop tardé depuis l’arrivée du code minier de 2011 avec un système uniforme d’indemnisation et des normes pour les acquisitions foncières dans le secteur minier
Exiger que les communautés touchées aient accès à des conseils juridiques indépendants lorsque des études d’impact environnemental et social (EIES) sont menées par des entreprises et examinées par le gouvernement guinéen.
Veiller à ce que deux représentants de la société civile participent aux réunions de suivi pour déterminer si l’entreprise a rempli les conditions qui lui ont été imposées
- Aux compagnies minières
Améliorer le suivi interne des impacts sociaux et environnementaux : Veiller à ce que les équipes chargées des relations communautaires et le personnel de santé, sécurité et environnement soient dotés du personnel, des ressources et de la formation nécessaires pour faire un suivi efficace des impacts environnementaux, sociaux et en matière de droits humains de l’exploitation minière.
Améliorer la transparence : publier des études d’impact environnemental et social, des plans de gestion environnementale et sociale et des rapports périodiques de suivi de l’environnement.
Respecter les droits fonciers en milieu rural : Veiller à ce que, lorsque des terres sont acquises pour l’exploitation minière, les individus et communautés détenteurs de droits fonciers coutumiers soient indemnisés de manière équitable.
Surveiller et protéger l’accès à l’eau potable : suivre les meilleures pratiques internationales pour prévenir ou atténuer l’impact de l’exploitation minière sur l’accès à l’eau et suivre l’impact de l’exploitation minière sur les niveaux et la qualité de l’eau.
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