Auteurs : Selahattin Selsah Pasali
Site de publication : Uneca
Type de publication : Rapport
Date de publication : juillet 2019
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Contexte
En Afrique, l’accès au marché salarial formel est difficile tant pour les hommes que pour les femmes, mais les écarts entre les sexes en matière de formation du capital humain font qu’il est plus difficile pour les femmes d’obtenir un emploi assorti d’un salaire égal à celui des hommes. Selon les estimations de l’Organisation internationale du Travail (OIT) pour 2020, il n’y aura que 13 pays africains où plus de la moitié des femmes actives occuperont un emploi salarié, contre 18 pour les hommes. Ce résultat est influencé par l’offre de main-d’œuvre instruite. Selon le Rapport sur le développement dans le monde, seuls 23 % des élèves du deuxième cycle du secondaire ont terminé leurs études secondaires en Afrique subsaharienne, soit un taux d’abandon scolaire de 77 %. On table sur une croissance de l’emploi dans les secteurs qui exigent un enseignement supérieur, notamment en sciences, technologie, ingénierie et mathématiques. Or, les femmes sont très faiblement représentées parmi les étudiants inscrits et diplômés dans ces matières, ce qui limite leur accès aux secteurs prometteurs de l’économie formelle. Enfin, la dynamique démographique en Afrique a des conséquences importantes sur l’offre excédentaire de main-d’œuvre masculine et féminine, en particulier chez les jeunes.
La majorité des femmes qui travaillent en Afrique sont des entrepreneurs par nécessité, exerçant un travail indépendant vulnérable presque exclusivement dans le secteur informel, que ce soit dans les zones urbaines ou en milieu rural
En Afrique, les taux de chômage sont plus élevés chez les femmes, surtout parmi les jeunes. L’écart entre les sexes en matière de taux de chômage atteint un maximum en Afrique du Nord, où les femmes sont en moyenne plus instruites que dans le reste de l’Afrique. Le travail indépendant a donc été la forme d’emploi dominante en Afrique et le restera dans un avenir proche. Soutenir la transition des femmes et des jeunes filles vers l’entreprenariat, qui est désormais largement considéré comme une stratégie de croissance économique favorable aux pauvres et au bien-être de la société, apparaît comme le moyen d’intervention le plus réaliste à court et moyen terme.
Les entrepreneurs ont des motivations différentes, que l’on peut regrouper en deux catégories. Tout d’abord, il y a ceux qui sont poussés par la nécessité car ils n’ont pas d’autres options de travail. Ils sont poussés vers le travail indépendant, principalement dans l’économie informelle et dans les secteurs à faible croissance et à faible profit du secteur des services. L’accès à ces secteurs est rendu aisé par l’absence de coûts fixes à l’entrée et par le montant négligeable des coûts irrécupérables à la sortie. Ensuite, il y a ceux qui sont motivés par les possibilités offertes et qui aspirent à une plus grande indépendance et à des revenus plus élevés. En d’autres termes, ils sont attirés par le travail indépendant et sont donc constamment à la recherche de créneaux dans des secteurs caractérisés par la productivité, la croissance, l’innovation et la rentabilité.
La majorité des femmes qui travaillent en Afrique sont des entrepreneurs par nécessité, exerçant un travail indépendant vulnérable presque exclusivement dans le secteur informel, que ce soit dans les zones urbaines ou en milieu rural. Dans les zones urbaines, elles travaillent à leur compte dans le commerce de gros et de détail ou dans l’hôtellerie et la restauration ; dans les zones rurales, en revanche, elles contribuent à l’agriculture de subsistance en tant que travailleuses familiales. La proportion des femmes parmi les travailleurs familiaux est presque cinq fois supérieure à celle des hommes en Afrique du Nord. Elle est seulement deux fois plus élevée dans le reste de l’Afrique.
L’analyse économique est simple. Alors que le secteur de la demande est divisé de manière assez égale, celui de l’offre est fortement déséquilibré, avec une surreprésentation des hommes, dont les initiatives et les produits ne peuvent pas répondre pleinement aux besoins du marché féminin. La surreprésentation des femmes dans l’entreprenariat de nécessité s’explique par les facteurs suivants :
Les femmes entrepreneurs ont un capital financier insuffisant. Cela s’applique à la fois aux femmes qui possèdent et gèrent des entreprises dans les secteurs formel et informel, et aux femmes qui travaillent à leur compte. Le manque de capital financier a des effets négatifs sur l’accumulation de capital physique et sur l’accès aux marchés publics.
Les femmes entrepreneurs ont un capital physique insuffisant. L’accès des femmes à la terre, au bétail, aux équipements et aux machines est limité. Les instruments juridiques ne sont pas appliqués, notamment en ce qui concerne l’accès des femmes mariées à l’héritage, à la propriété et aux biens matrimoniaux, ce qui réduit leur capacité à obtenir des crédits.
Les femmes entrepreneurs ont un capital social insuffisant. Les entrepreneurs doivent se mettre activement en réseau pour identifier de nouveaux créneaux et élargir leur champ d’action sur le marché. Il ressort de la base de données “Women, Business and the Law 2018” que, dans 15 pays africains, les femmes mariées ne peuvent pas choisir leur lieu de résidence de la même manière que les hommes mariés, ce qui limite leur mobilité dans la recherche de créneaux.
Principales constatations
L’éducation influence-t-elle la motivation des femmes dans la création d’entreprises ?
La décision de devenir entrepreneur est complexe et dépend d’une série de facteurs portant non seulement sur des caractéristiques individuelles de base telles que le sexe, l’âge, l’état civil et le nombre d’enfants, mais également sur le contexte familial, le temps disponible, les traits de la personnalité, la dotation en capital humain, l’état de santé, la nationalité et l’accès aux ressources financières, aux chaînes de valeur et aux possibilités offertes par le marché. Ces facteurs peuvent également façonner la motivation des entrepreneurs, ce qui est essentiel pour le pouvoir de transformation qu’a l’esprit d’entreprise. Cependant, la littérature sur les déterminants de l’esprit d’entreprise – l’accent étant mis sur l’éducation – s’est largement concentrée sur les pays développés, alors que le travail indépendant est le refuge de millions de personnes dans le monde en développement.
Malgré la révolution financière numérique en Afrique, on continue d’assister à une exclusion financière généralisée, qu’il faut combattre par des politiques ciblées et spécifiques à chaque pays afin que les individus et les entreprises tirent parti du pouvoir de transformation qu’a la finance
Les attitudes entrepreneuriales, qui sont essentielles pour la création d’entreprise et la motivation entrepreneuriale, sont fortement et positivement influencées par l’éducation, en particulier pour les femmes. Il existe quatre indicateurs qui permettent de juger des attitudes entrepreneuriales d’une personne. Tout d’abord, le fait de connaître personnellement quelqu’un qui a récemment créé une entreprise peut aider les entrepreneurs potentiels à transformer leurs idées en actions, à élargir leurs réseaux, à multiplier leurs débouchés et à s’inspirer de leur entourage. Cet indicateur est également une illustration du capital social. Deuxièmement, l’identification des possibilités de créer une entreprise dans les six prochains mois est une donnée fondamentale qui traduit la capacité des entrepreneurs potentiels à créer une entreprise, en particulier dans les secteurs de niche où la demande est émergente. Cet indicateur est une illustration d’une compétence et d’un talent entrepreneurial. Troisièmement, le fait de disposer des connaissances, des compétences et de l’expérience requises pour créer une entreprise est l’un des facteurs déterminants de la confiance en soi. Quatrièmement, enfin, la peur de l’échec est un frein à la création d’entreprise. Cette attitude est étroitement liée à la perception des risques par les individus et à leurs solutions de repli en cas d’échec.
L’éducation, en particulier l’enseignement supérieur, est négativement corrélée à l’esprit d’entreprise. Par rapport aux femmes sans instruction, les femmes ayant fait des études primaires, secondaires et supérieures ont 12 %, 23 % et 28 %, respectivement, plus de chances de connaître personnellement un entrepreneur. Les personnes ayant reçu une éducation primaire ont près de 30 % plus de chances d’être entrepreneurs que les personnes ayant fait des études supérieures. Les femmes ont en moyenne 30 % moins de chances que les hommes d’être entrepreneurs, mais l’éducation peut contribuer à réduire cet écart. Alors que les femmes ayant fait des études secondaires ont plus de 60 % moins de chances que les hommes d’être entrepreneurs, ce chiffre tombe à 30 % chez les femmes ayant fait des études supérieures.
L’éducation influence-t-elle l’accès des femmes au financement ?
Le pouvoir de transformation qu’a l’inclusion financière, c’est-à-dire l’accès et le recours aux services financiers formels, est désormais bien établi, surtout en ce qui concerne les personnes qui sont les plus limitées en termes de crédit et de liquidités. Les personnes ou les groupes ayant accès à des services financiers peuvent épargner ou emprunter, ce qui leur permettra d’investir à court et à long terme dans le capital humain ou physique, de faire face aux chocs négatifs et de gérer la consommation régulière, pour plus de prospérité. La finance numérique, grâce à l’expansion des services monétaires par téléphone portable, a récemment fait de l’inclusion financière une réalité, même pour les groupes auparavant désavantagés, notamment les habitants des zones rurales, les femmes et les jeunes. Les comptes d’argent mobile, qui auparavant étaient largement concentrés en Afrique de l’Est, se sont récemment étendus à l’Afrique de l’Ouest, à l’Afrique centrale et à l’Afrique australe.
Malgré la révolution financière numérique en Afrique, on continue d’assister à une exclusion financière généralisée, qu’il faut combattre par des politiques ciblées et spécifiques à chaque pays afin que les individus et les entreprises tirent parti du pouvoir de transformation qu’a la finance.
Malheureusement, le système éducatif actuel en Afrique n’a pas l’envergure et la qualité voulues pour soutenir l’expansion nécessaire de l’inclusion financière, en particulier pour les femmes. La part de la population âgée de 6 ans au moins et sans instruction varie de 7 % au Zimbabwe) à 67 % au Niger, la moyenne continentale étant de 30 %. Les taux d’achèvement sont faibles pour l’enseignement primaire et secondaire. La qualité de l’éducation est également en crise, comme le montre le Rapport sur le développement dans le monde 2018 : en Afrique (hors Afrique du Nord), moins de 15 % et 7 % des élèves évalués ont la maîtrise des mathématiques et de la lecture, respectivement. En outre, l’absentéisme des enseignants est élevé en Afrique : en moyenne, un enseignant sur cinq était absent de l’école le jour d’une visite inopinée effectuée dans le cadre d’enquêtes au Kenya, au Mozambique, au Nigéria, en Ouganda, en République-Unie de Tanzanie, au Sénégal et au Togo.
Recommandations pratiques
Education
La manière la plus durable de stimuler la productivité des femmes entrepreneurs en Afrique est de faire en sorte qu’elles terminent leurs études secondaires ou supérieures. Le présent rapport montre clairement que le fait de terminer les études secondaires ou supérieures est essentiel à la réussite entrepreneuriale. L’éducation aide les entrepreneurs à concrétiser leurs idées, à accéder au financement et à s’engager dans des secteurs rentables et à fort potentiel de croissance.
Les politiques publiques doivent s’attaquer de manière proactive aux écarts entre les sexes dans l’éducation, en particulier sur le plan de la qualité, afin d’accroître le capital humain des femmes entrepreneurs potentielles et de les préparer pour l’avenir.
Compléter l’enseignement général ou professionnel par des cours ciblés sur la gestion d’entreprise, les technologies de l’information et de la communication, les compétences entrepreneuriales non techniques et les connaissances financières peut préparer les jeunes femmes à un entreprenariat d’opportunité à forte valeur ajoutée en Afrique.
L’amélioration du niveau d’éducation et le renforcement des capacités des femmes entrepreneurs, ainsi que les actions de sensibilisation et d’information menées par les organismes d’État peuvent faciliter l’accès aux marchés publics.
Accès au financement
L’accès aux produits et aux services financiers est essentiel pour aider les femmes à devenir des entrepreneurs d’opportunité. Le présent rapport montre clairement que les entreprises soumises à des contraintes financières sont moins susceptibles d’innover et de saisir les possibilités, en plus d’être moins performantes. De profondes inégalités dans l’accès au financement sont également mises en évidence, ainsi que l’importance de l’éducation pour réduire ces inégalités. Les pouvoirs publics devraient intervenir pour améliorer l’accès des femmes aux modes de financement formels, notamment au crédit, à l’épargne et à l’assurance.
La réglementation du système financier par l’État, assortie de mesures de discrimination positive, peut également contribuer à lutter contre l’exclusion financière des femmes. Au Soudan, conformément aux exigences réglementaires, 70 % du portefeuille des institutions de microfinance est réservé aux femmes
Les technologies numériques peuvent remédier aux asymétries de l’information qui conduisent à l’exclusion financière des femmes entrepreneurs, en particulier dans les zones rurales. L’identification par empreintes digitales a contribué à réduire le risque que les institutions financières perçoivent dans l’octroi de crédit dans les zones rurales du Malawi et a amené les emprunteurs à se montrer disciplinés dans le remboursement à temps de leurs prêts.
L’entreprenariat féminin peut être soutenu et encouragé par le développement de sources alternatives de financement, y compris le financement participatif et le capital-risque ou les fonds de pension qui ciblent les jeunes femmes entrepreneurs. La création du Programme d’autonomisation économique des jeunes et des femmes et la mise en place du Fonds d’appui à la rémunération des femmes au Burkina Faso sont d’importants exemples de politiques dont il convient d’évaluer l’impact.
La réglementation du système financier par l’État, assortie de mesures de discrimination positive, peut également contribuer à lutter contre l’exclusion financière des femmes. Au Soudan, conformément aux exigences réglementaires, 70 % du portefeuille des institutions de microfinance est réservé aux femmes.
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