Marcel Sartre Rengou Nchare
La création des structures universitaires telles que l’École normale supérieure de Yaoundé (ENS), l’École nationale supérieure polytechnique de Maroua (ENSPM) et l’Université de Maroua (UMa) en 2008 a orchestré un reflux migratoire académique vers l’Extrême-Nord Cameroun. Dans le même sens, s’en est suivi la mise en place de l’Institut des mines et des industries pétrolières (IMIP) de Kaélé, créé le 13 septembre 2013.
En cette même année, débutèrent les prises d’otages et les enlèvements, par exemple celle de la famille française Moulin Fournier au campement touristique de Waza dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun par l’organisation terroriste Boko Haram. Ces assauts ont plongé le Cameroun et surtout l’Extrême-Nord dans l’insécurité et ont placé le pays sur la liste rouge des États dangereux et menacés par le terrorisme.
Dans les villes urbaines de l’Extrême-Nord du Cameroun, certaines catégories de migrants ont renforcé leur présence depuis plus d’une décennie: il s’agit des «migrants académiques» et «des migrants sécuritaires». Sur le plan de l’urbanisme, cette nouvelle réalité socioculturelle a développé une occupation anarchique de l’espace résidentiel par les travailleurs sociaux d’une part et le recrutement d’ouvriers informels non agréés (la pioche) par les constructeurs et les investisseurs d’autre part.
Cette formule a facilité la péri-urbanisation et l’émergence de la construction des nouveaux logements locatifs réalisés par des constructeurs «informels» au détriment des bâtisseurs diplômés (la plume).
Par conséquent, l’on assiste désormais à l’essor des nouveaux bâtisseurs locaux ingénieux favorisant l’émergence de quartiers récents et anonymes ; puisque les aménagements cadastraux ainsi que le plan directeur (Plan d’occupation du sol, plan secteur, des constructions non autorisées …) de la ville de manière pratique tardent à éclore. Du coup, ce phénomène social a favorisé une certaine extension géomorphologique liée «à l’accroissement processuel du commerce des parcelles à construire au milieu des champs et au fil des transactions (…) de règles locales énoncées dans les actes de vente».
Dans les villes urbaines de l’Extrême-Nord du Cameroun, certaines catégories de migrants ont renforcé leur présence depuis plus d’une décennie: il s’agit des «migrants académiques» et «des migrants sécuritaires»
De ce fait, il se développe une pression démographique (exode rural, accroissement naturel, promiscuité familiale, migration…) qui se traduit par la construction des logements informels par des bâtisseurs non agréés mais privilégiés au regard des faibles coûts et de la cherté des matériaux de travail.
Ces réalisations architecturales illicites se sont accrues davantage en périphérie favorisant l’essor de nouveaux quartiers comme on pourrait l’observer à Dougouf, Frolina, Mayel-Ibbe, Mesquine, Palar, Kongola ,Laïndé, Sékandé, Zileng-Ibassangue, Ouro-Djarendi, Méri et dans certaines villes à l’instar de Mokolo, Kaélé ,Yagoua etc.
La dérégulation urbaine voire résidentielle due à l’arrivée massive des migrants a davantage favorisé l’augmentation de nouveaux bâtisseurs locaux dits «informels» ainsi que la baisse de la production des logements formels
Une innovation locale qui est un indicateur d’une métropolisation accrue et de la mondialisation des échanges qui procèdent à de nouvelles modalités de négociation de l’espace urbain constructible et qui «redéfinissent le statut des bâtisseurs dits informels mais qualifiés».
L’enrôlement des actifs inoccupés dans le domaine architectural par les investisseurs suscite un assouplissement de la main d’œuvre formelle et la précarisation salariale voire contractuelle des bâtisseurs professionnels qualifiés de «combleurs de vide» ou de chômeurs résignés. Ces actions enveniment le métier architectural et obligent ces bâtisseurs dits spécialisés à signer, par un système de «jeu de rôle», des contrats de confiance et à occuper des postes inférieurs à leur niveau de qualification. D’autant plus qu’ils sont dominés de manière arithmétique par les ouvriers informels qui disposent de plus de capital social et d’opportunités.
Au demeurant, il faut reconnaître que le secteur informel offre de véritables opportunités à saisir. Il constitue un choix volontaire d’individus qui créent des affaires. Il faut de façon rassurante que l’âme du remodelage et de la réforme culturelle africaine atypique fasse croître quasi-totalement le secteur informel à l’instar des bâtisseurs locaux et ses corollaires à l’Extrême-Nord du Cameroun, surtout que si «les structures publiques et privées connaissent de grandes difficultés, celles relevant du secteur informel résistent» (Hugon, 1980) toujours et se multiplient, il faut donc les parfaire.
L’enrôlement des actifs inoccupés dans le domaine architectural par les investisseurs suscite un assouplissement de la main d’œuvre formelle et la précarisation salariale voire contractuelle des bâtisseurs professionnels qualifiés de «combleurs de vide» ou de chômeurs résignés
En somme, la dérégulation urbaine voire résidentielle due à l’arrivée massive des migrants a davantage favorisé l’augmentation de nouveaux bâtisseurs locaux dits «informels» ainsi que la baisse de la production des logements formels surtout en zone péri-urbaine à partir des méthodes de contournement utilisées par ces différents bâtisseurs en compétition. Dès lors, se dessinent d’emblée de nouvelles façons de construire qui procèdent à l’assurance de la survie familiale et sociale.
Ces nouveautés proviennent surtout de l’ingéniosité architecturale traditionnelle d’antan acquise à partir des méthodes de construction claniques, des pratiques tribales et coutumières solidaires et salutaires, historiquement reconnues, que l’idéologie dévastatrice et avarice de la colonisation et ses technologies modernes nous ont fait oublier.
Crédit photo : Blog skyrock Delitour
Marcel Sartre Rengou Nchare est doctorant en Sociologie du développement à l’Université de Maroua au Cameroun.