Amadou Wagne
Reformater quoi ? Reformer qui ? Réformer quoi ? Comment ? Et Pourquoi ?
« La République n’a point besoin de savant ». Ainsi s’exprimait le magistrat qui condamna l’illustre savant Lavoisier, fondateur de la chimie moderne. A présent, la jurisprudence de Lavoisier secoue le Sénégal. On pourrait même imaginer des pancartes portant : « L’enseignement supérieur en saignement ».
En amont, l’enseignement au Sénégal sanglote de posture néolibérale et s’érige en pompe économique pour satisfaire les poches de certains enseignants sanguinaires, programmateurs de programmes sans fin, pour des fins lucratives s’ouvrant généreusement aux nantis en fermant, la porte aux pauvres. En aval, le niveau marche à l’écrevisse dû à une mauvaise habitude de super-assistance qui exclue littéralement tout effort personnel.
Pour pallier ce phénomène honteux, je souscris à une trilogie : reformater pour un redémarrage sain et sans faille du système coincé au fin fond de ses entrailles ; reformer les formateurs qui sont les pivots car, après constats et témoignages, ils formatent plus qu’ils ne forment ; réformer les curricula et syllabi qui datent de Mathusalem et peinent à peser sur la balance internationale.
Reformater
Pour sûr, l’âme de ce verbe est sans doute formater, effacer ou supprimer à sec les dossiers en langage informatique. C’est souvent pratiqué lorsque les dossiers sont attaqués d’un virus non détectable, faisant corps avec tous les fichiers et rendant inopérants les supports. Formater rejoint ainsi l’idée de la « tabula rasa » de la mémoire historique africaine. Car depuis des siècles, le formaté n’apprend que pour servir l’intérêt du formateur. Dès lors, pour avoir un enseignement qui nous lie/lit et nous traduit fidèlement, il sera indispensable de brandir les préceptes de « reformatage » et de « reparamétrage » comme noyaux axiaux de notre trilogie.
Il est de fait que l’université est violemment attaquée et affreusement barbotée par l’assaut martial des « Brain Controlers » à tel enseigne qu’elle ne sait plus à quel saint se vouer. Elle est grisée de fusion et d’overdose, d’où son inauthenticité. Les logiciels envenimés, à désinstaller, ralentissent ses réflexes et réflexions, sa mémoire stagne en format téléchargement.
Les questions de l’heure sont souvent répondues par d’autres e-intelligences plus opératoires comme softwares. Ni le redémarrage, ni l’actualisation ne fera l’affaire pour sa marche. Elle est simplement infectée de virus. Ses disques durs externes historiques sont volés et dépouillés ; désormais l’Université sénégalaise réclame sa mémoire (patrimoine culturel, livresque et historique). Les vrais fichiers sommeillent dans la corbeille et sont léthargiques sous format « set up », installables pourtant, sans espace cependant.
De façon picturale, le terme reformatage traduit une nouvelle installation des logiciels développeurs et capables de répondre aux sommations professionnelles et infrastructurelles de l’heure. Reformatage, car le premier a été opéré par une main extérieure. Cette fois, on sera obligé d’appuyer par nous-mêmes sur le bouton « Backspace » pour attendre ensemble la fin de la procédure d’effacement.
La libération de cet espace générera un stock pour nicher, in fine, un enseignement supérieur authentique au style africain. L’écrivain français Jean Paul Sartre, dans la préface du dernier manuel de Frantz Fanon, a bien synthétisé notre idée en deux phrases : « ce n’est pas d’aujourd’hui que datent les services psychologiques. Ni le lavage de cerveau ».
D’ailleurs, le reformatage, ce paradigme nouveau, montrera aux Sénégalais que l’intelligence n’est pas liée au nombre de diplôme. L’intellectuel n’est pas le niveau de vocabulaire en français, ce qui écrasera l’idée de vouloir concevoir le diplôme comme une fin en soi pour réhabiliter sa dignité première d’être un moyen vers une fin : « le diplôme permet d’atteindre un but, il n’est pas carrément le but », nous dit le chroniqueur politique camerounais Claude Wilfried Ekanga.
Par-delà le reformatage, une nouvelle installation constituera l’urgence. Pour ce faire, on retournera sur le lointain passé de la culture africaine afin de débusquer les bons fruits des enseignements ancestraux. On assimilera in fine qu’apprendre sur l’autre est un supplément non-négligeable dans la globalisation, mais méconnaître le « soi » pour connaître tout sur l’autre est un investissement abominable à reformater cependant. Ce qui suscite deux idées additives : reformer et réformer…
Reformer
Beaucoup de scientifiques sont formés ailleurs ; moult sont ailleurs après leurs formations. Les premiers ne peuvent point taire leur formation, cela se ressent dans leurs méthodes, exégèses, et répliques. Sera-t-il facile aux intellectuels africains, moulés aux épistémologies, méthodes et paradigmes d’ailleurs, de rompre brutalement leurs respirations parfumées avec l’odeur du père ? Les deuxièmes sont confrontés au paradigme de la fuite des cerveaux.
Et comme l’a si bien questionné Ernest-Marie Mbonda : ne serait-il pas judicieux d’évoquer le primat de l’intérêt personnel aux dépens de l’intérêt collectif pour peindre les intellectuels qui ont choisi l’expatriation ? En revanche, cela n’exclut en rien l’idée du monde en mélange, en brassage, car nous sommes dans l’ère de la civilisation de bronze pour reprendre le poète congolais Tchikaya U’Tamsi.
Toutefois, par devoir de vérité, avouons que la formation occidentale a laissé des séquelles ineffaçables dans l’esprit de nos anciens tuteurs. La deuxième génération en a fait les frais de par leur psychopédagogie sans aucun sens de l’Afrique. D’expérience, même l’étudiant en première année, à son retour de séjour d’université, se sent étranger chez lui.
Les débats qui faisaient sa fierté le saoulent maintenant, ses amis du village deviennent lointains, son regard change, lui-même change, il perd la notion d’Afrique, ses repères se perdent. Ainsi qui forme-t-on à présent ? Que des robots ! Ils pensent pour l’autre, pansent les plaies des autres, existent pour l’autre et réussissent pour l’autre à des exceptions près.
L’université rend étrangers les universitaires qui n’ont plus aucune proximité avec la société qu’ils sont censés servir après l’obtention des diplômes. De là naît la distance entre élitiste et populiste. Pis, la formation est inadaptée au contexte continental et les réformes des universités de l’Afrique francophone notamment le Sénégal ont confirmé cette inadéquation.
Ma conviction : une formation qui n’a aucune visée future, aucune débouchée, aucune rentabilité à part le luxe du grade, n’est que chimère. C’est de la sorcellerie universitaire. Cap vers le désenvoutement : réformer.
Réformer
Le classement académique des universités mondiales réalisé par l’université Jiao-Tong de Shanghai compte trois établissements africains parmi les 500 premiers : l’université du Cap (201-300), du Witwatersrand (301-400) et du KwaZulu-Natal (401-500).
L’historien malawite Paul Zeleza montre que le continent reste au bas des classements pour les sciences, les technologies et l’innovation, et qu’il accuse un retard sur plusieurs indicateurs, comme la dépense intérieure brute en recherche et développement, le nombre de chercheurs et la part des publications scientifiques et brevets.
Pour « cliché » ou manichéenne que ce soit, l’évocation de ces indicateurs montrent que l’Afrique en général et le Sénégal en particulier doit s’inscrire dans la compétition universitaire tant dans la publication que dans la production de thèses sans oublier les innovations technologiques.
Pour arriver à cette tendance nouvelle, la réforme urge. Ladite réforme se fera à la base depuis l’orientation de l’élève. Au Sénégal, la grande majorité est orientée dans les disciplines littéraires alors que les enjeux du moment tournent vers l’intelligence artificielle et les constructions infrastructurelles.
Politiquement, interrogeons la disconvenance programmatique des trois ministères pivots : éducation, enseignement et emploi. Soit, ces ministères mènent une politique cohérente, concertée et complémentaire, soit ils font corps pour des perspectives d’avenir car du tohu-bohu il y a.
L’offre universitaire ne doit pas être contraire à la demande nationale, cela est un mécanisme à réformer avec la plus grande fermeté. Les cours en présentiel devraient être relayés par des plateformes de cours en ligne afin de désengorger les campus et lutter par ailleurs contre les mouvements virulents pilotés par des étudiants inconscients de leurs rôles dans la société. Le ministère des NTIC interviendra à point nommé.
Somme toute, revisitons le curriculum, le syllabus et les programmes pour savoir avec objectivité que tout souffre dans l’ossature universitaire africaine. Diagnostiquons les disciplines et harmonisons les matières, en un mot respectons les standards. Investissons sur les laboratoires, les centres de recherches et les instituts et faisons fi des créations démesurées de départements sans lendemain.
Source photo : Internationale de l’Education
Amadou Wagne est un politiste, il est auteur et co-coordonnateur de la plateforme « Cercle des jeunes chercheurs (CJC) ».
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Mais il ne manque pas quand même de raisons de sursauter.
Les supposés principes absolus et universels ne sont en fait absolument pas les principes mais la représentation continente d’une politique nationale fondée sur une représentation particulière de l’intérêt national.
Mais il ne manque pas quand même de raisons de sursauter.
Les supposés principes absolus et universels ne sont en fait absolument pas les principes mais la représentation incontinente d’une politique nationale fondée sur une représentation particulière de l’intérêt national.