Auteurs : Leah Worrall, Shelagh Whitley, Andrew Scott
Organisation affiliée : International Centre for Trade and Sustainable Development (ICTSD)
Type de publication : Passerelle
Date de publication : Avril 2018
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Malgré la dynamique internationale en faveur de la lutte contre le changement climatique et la promotion des énergies renouvelables, certains pays africains continuent de distribuer des subventions aux combustibles fossiles. Pourquoi est-il important de réformer ces instruments et comment y parvenir?
En Afrique, le faible niveau d’accès à l’électricité constitue encore aujourd’hui un frein majeur au développement économique. Dans un scénario de «statu quo», on estime qu’en 2030, 89 pourcent des personnes souffrant de précarité énergétique dans le monde vivront en Afrique subsaharienne. Bien que la part des combustibles fossiles dans l’énergie consommée y soit restée relativement stable au cours des deux dernières décennies (à près de 40 pourcent), la découverte récente de gaz et de pétrole dans la région pourrait conduire à un usage accru des combustibles fossiles pour la production d’énergie.
Au niveau international, les parties à l’Accord de Paris ont convenu de limiter l’augmentation moyenne des températures mondiales à moins de 2°C, tout en d’efforçant d’atteindre un objectif plus ambitieux de 1,5°C d’augmentation maximale. Pour respecter cet engagement, au moins trois quarts des réserves confirmées de pétrole, de gaz et de charbon devraient rester inexploitées, selon le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC). Dans ce contexte, l’élimination progressive des subventions aux combustibles fossiles constitue une véritable nécessité dans l’optique de la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris.
Définir les subventions aux combustibles fossiles
Il n’existe pas de définition internationalement acceptée des subventions aux combustibles fossiles, ni de consensus sur la manière de les estimer. Cet article s’appuie sur l’Accord sur les subventions et les mesures compensatoires de l’OMC, qui définit les subventions comme toute contribution financière des pouvoirs publics ou d’un agent des pouvoirs publics qui est propre au bénéficiaire et lui confère un avantage par rapport aux autres acteurs du marché. Cela comprend les transferts directs de fonds (par exemple, sous la forme de dons, prêts et participations au capital social) et les transferts directs potentiels de fonds (par exemple, des garanties de prêt), les recettes publiques normalement exigibles qui sont abandonnées ou ne sont pas perçues (dans le cas par exemple d’incitations fiscales, telles que les crédits d’impôt), les biens ou services fournis par les pouvoirs publics qui ne sont pas des infrastructures générales, l’achat de biens en-dessous de leur prix de marché ou les mesures de soutien du revenu et de soutien des prix.
Estimer les subventions aux combustibles fossiles en Afrique
On estime ainsi qu’en 2015, le montant total des subventions aux combustibles fossiles distribuées par les pays d’Afrique saharienne s’est élevé à 26 milliards US$, un chiffre en baisse par rapport aux 32 milliards US$ estimés pour 2013, en raison des efforts de réforme et de la chute des prix des combustibles fossiles, en partie compensés par la hausse de la demande d’énergie (subventions avant et après impôt comprises). Les pays ayant distribué plus d’un milliard de dollars de subventions aux combustibles fossiles en 2015 sont l’Afrique du Sud, l’Angola, la Côte d’Ivoire, le Mozambique, le Nigeria, la Tanzanie, la Zambie et le Zimbabwe. Si on y ajoute les externalités telles que la pollution locale, l’impact sur le changement climatique, les accidents de la route et les embouteillages, les coûts estimés liés aux subventions aux combustibles fossiles atteignent 75 milliards US$ en 2015 pour l’ensemble de la région. La plus grande partie de ces coûts se rattache à la consommation et à la production de pétrole, de charbon et d’électricité.
À l’heure actuelle, la production de combustibles fossiles en Afrique est financée à la fois par les pouvoirs publics et des institutions financières publiques. Sur le continent, les investissements réalisés entre 2008 et 2014 par des banques multilatérales de développement dans le secteur des combustibles fossiles ont atteint 13 milliards US$. Ou encore, en Afrique du Sud, le soutien des organismes de crédit à l’exportation de pays membres de l’OCDE en faveur de l’extraction de charbon et de la production d’électricité à partir du charbon s’est élevée à 4,5 milliards US$.
Engagements internationaux
Au niveau international, les pays africains ont reconnu l’importance de réformer les subventions aux combustibles fossiles en prenant des engagements dans différents cadres. L’Accord de Paris vise à renforcer la réponse mondiale au changement climatique, notamment en «rendant les flux financiers compatibles avec un profil d’évolution vers un développement à faible émission de gaz à effet de serre et résilient aux changements climatiques.» Au titre de cet accord, plusieurs pays se sont engagés à réformer leurs subventions aux combustibles fossiles dans le cadre de leur «contribution déterminée au niveau national» (CDN) respective, dont notamment l’Égypte, l’Éthiopie, le Ghana, le Maroc, le Rwanda et le Togo.
Fin 2015, les membres des Nations unies ont adopté les Objectifs de développement durable (ODD) et se sont engagés avec l’ODD 12 à «établir des modes de consommation et de production durables», dans le cadre notamment d’une «rationalisation» des subventions aux combustibles fossiles. Dans le cadre du G20, l’Afrique du Sud a réitéré chaque année depuis 2009 son engagement à mettre progressivement fin aux subventions inefficaces accordées aux combustibles fossiles. À l’OMC enfin, les « Amis de la réforme des subventions aux combustibles fossiles » ont publié un communiqué appelant à une action plus rapide pour mettre fin aux subventions aux combustibles fossiles, qui a été soutenue par l’Éthiopie, la Gambie, le Ghana, le Maroc, le Mozambique et l’Ouganda.
Pourquoi une réforme est-elle nécessaire?
Ces engagements internationaux doivent être soutenus par des mesures concrètes et les pays africains qui distribuent des subventions aux combustibles fossiles et qui ont, au minimum, souscrit à l’ODD 12 devraient saisir avec détermination les opportunités de réforme qui s’offrent à eux sur le plan domestique. Les données s’accumulent pour montrer que le coût des subventions aux combustibles fossiles l’emporte de loin sur leurs avantages. D’un point de vue environnemental, les subventions aux combustibles fossiles encouragent le gaspillage, découragent l’investissement dans les économies d’énergie et faussent les règles du jeu pour les énergies renouvelables. L’AIE estime que l’élimination de ces subventions permettrait d’atteindre douze pourcent des réductions d’émissions nécessaire d’ici 2020 pour limiter le réchauffement climatique mondial à 2°C, quinze pourcent de ces économies étant réalisés par l’Afrique.
Les subventions aux combustibles fossiles sont socialement régressives. Elles contribuent à perpétuer les inégalités en favorisant davantage les plus riches sans répondre aux besoins des plus pauvres.
En outre, les subventions aux combustibles fossiles sont inefficaces sur le plan économique, car elles constituent un fardeau considérable pour les budgets publics et réduisent la compétitivité de secteurs clés, tels que les entreprises faiblement consommatrices de carbone ou le secteur des énergies renouvelables. Elles peuvent également accroître le risque de délaissement d’actifs en encourageant les investissements en capital et en dépenses d’exploitation dans les combustibles fossiles et compromettre l’efficacité des signaux relatifs au prix du carbone sur les marchés.
Quels sont les facteurs clés pour une réforme réussie?
Si les pays d’Afrique subsaharienne distribuent relativement peu de subventions aux combustibles fossiles par rapport à d’autres régions, la croissance prévue de la population du continent associée à la croissance économique des pays africains les expose à un risque de nouvelles dépenses budgétaires liées aux combustibles fossiles. Pour réduire ce risque, il leur faut donc rechercher des opportunités de réforme à court terme. En vue d’une réforme efficace, plusieurs principes clés peuvent être tirés des enseignements fournis par différents efforts de réforme qui ont déjà été initiés de part et d’autre du continent.
En premier lieu, les décisions de politique énergétique influencent d’autres objectifs plus larges en matière sociale, économique et environnementale et doivent, par conséquent, être abordées de façon globale par l’ensemble des ministères formant le gouvernement.
En second lieu, davantage d’efforts de recherches et d’analyses sont nécessaires pour mieux cerner le champ d’application et la nature des subventions aux combustibles fossiles, leurs objectifs politiques et les impacts potentiels d’une réforme sur le plan intérieur.
En troisième lieu, la communication et la consultation des parties prenantes représentent un autre facteur clé pour une réforme couronnée de succès. Ceci peut prendre la forme d’alliances pour le changement entre les représentants des pouvoirs publics, les associations professionnelles, les entreprises, les syndicats, les consommateurs, les acteurs politiques et les organisations de la société civile, en essayant d’impliquer des acteurs susceptibles de contrebalancer l’influence des lobbys des combustibles fossiles.
Quatrièmement, il est indispensable de mobiliser des ressources financières en amont. La réforme des subventions est susceptible de libérer une importante marge de manœuvre budgétaire, mais seulement après coup, ce qui fait que les pouvoirs publics ont besoin de se procurer des financements initiaux (de source intérieure ou internationale) pour mettre en place les éléments nécessaires à un processus efficace de réforme.
Cinquièmement, il est nécessaire de renforcer les institutions.Cela peut passer par la mise en place d’organismes indépendants de réglementation pour soutenir le processus de réforme.
En premier lieu, les décisions de politique énergétique influencent d’autres objectifs plus larges en matière sociale, économique et environnementale et doivent, par conséquent, être abordées de façon globale par l’ensemble des ministères formant le gouvernement
Sixièmement, les processus de réforme doivent être accompagnés de mesures complémentaires (par exemple, de nouvelles subventions plus efficaces). L’impact des réformes peut être significatif pour certains secteurs économiques ou segments de la population. Des mesures d’accompagnement peuvent aider à limiter cet impact, qu’il s’agisse d’une assurance chômage pour les pertes d’emploi, de prestations sociales ou de transferts budgétaire.
Enfin, les pays africains doivent porter une attention particulière au timing et à la mise en place progressive des réformes, tout en faisant également le lien avec les réformes plus larges du secteur de l’énergie. La réforme des subventions aux combustibles fossiles doit avoir des objectifs ambitieux accompagnés d’un calendrier crédible et précis, qui coïncide avec des périodes économiquement favorables dans le cycle économique ou sectoriel, afin d’améliorer la probabilité que les réformes perdurent.
Conclusion
Les engagements internationaux peuvent aider les gouvernements africains à mettre en place une dynamique collective et à lancer des réformes concernant les subventions aux combustibles fossiles. La coopération internationale a déjà un effet positif avéré sur certaines mesures au niveau domestique, grâce notamment au soutien technique et financier des organisations internationales.
Les gouvernements africains doivent saisir les opportunités qui se présentent pour réformer les subventions aux combustibles fossiles (en cas par exemple de baisse des cours internationaux du pétrole) et procéder aux réformes en partenariat avec les acteurs internationaux, qu’il s’agisse de donateurs bilatéraux ou de banques multilatérales de développement.
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