Auteur :
Oswald Padonou est expert-consultant en réforme/ gouvernance du secteur de la sécurité auprès de la division Afrique subsaharienne du DCAF. Membre du comité scientifique de l’Observatoire Boutros-Ghali du maintien de la paix (OBG), il est professeur et directeur de programme à l’École nationale supérieure des armées (ENSA) au Bénin.
Organisation :
DCAF – Le Centre de Genève pour la gouvernance du secteur de la sécurité, se consacre à l’amélioration de la sécurité des états et de leurs citoyens dans le cadre d’une gouvernance démocratique, de l’état de droit, et dans le respect des Droits de l’Homme. Depuis sa création en 2000, il contribue à rendre la paix et le développement plus durables en aidant les états partenaires, ainsi que les acteurs internationaux qui les soutiennent, à améliorer la gouvernance de leur secteur de la sécurité grâce à des réformes participatives et inclusives. Il développe des matériels pédagogiques, fait la promotion de normes et de bonnes pratiques, délivre un conseil juridique, politique et technique, et appuie le développement capacitaire des parties prenantes tant étatiques que non-étatiques. Les membres du Conseil de fondation du DCAF représentent plus de 50 pays et le canton de Genève. Actif dans plus de 70 pays, le DCAF est internationalement reconnu comme un des chefs de file au niveau mondial parmi les centres d’excellence en matière de gouvernance et de réforme du secteur de la sécurité (G/RSS). Le DCAF est guidé par les principes de neutralité, d’impartialité, d’appropriation locale, de participation inclusive et d’égalité des genres.
Site de l’organisation : www.dcaf.ch
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Date de publication : juin 2022
Le contexte politique et sécuritaire au Sahel est marqué depuis plusieurs années par une relative instabilité politique et une insécurité en progression. Dans ce contexte, plusieurs États et organisations partenaires apportent leur appui aux gouvernements et organisations régionales sahéliennes afin de renforcer la professionnalisation et la capacitation des armées et services de sécurité, en soulignant également la nécessité d’une bonne gouvernance. Ce document offre une présentation et une vue d’ensemble des mécanismes de contrôle financier du secteur de la sécurité, de leur création et leur fonctionnement jusqu’à leur réforme. Il décrit les processus de renforcement du contrôle financier, qui passent nécessairement par la coopération des acteurs formels et informels que sont les parlements, les institutions de contrôle, la société civile et les médias. Il fait suite à la conférence régionale sur la gestion des ressources du secteur de la sécurité qui s’est tenue à Bamako les 17 et 18 mars 2021, ainsi qu’à une série d’évaluations, de formations et d’échanges d’expériences et de bonnes pratiques sur le contrôle financier du secteur de la sécurité au Burkina Faso, au Mali, en Mauritanie et au Niger.
Un examen du cadre juridique régissant la gestion des ressources allouées au secteur de la défense et de la sécurité au Sahel révèle qu’elles existent, mais que leur efficacité est affectée par un manque de précision et une mise en œuvre extrêmement limitée. En outre, il existe un besoin largement exprimé de consolider la confiance des citoyens dans les forces de défense et de sécurité en améliorant la transparence et la responsabilité par le renforcement du contrôle financier interne et externe. Les informations présentées dans ce document permettent la mise en exergue des opportunités et défis liés au contrôle afin d’améliorer la sécurité et la stabilité au Sahel, en proie à des menaces de tous ordres. Il offre des éclairages à tous les élus, professionnels et citoyens intéressés par la gouvernance du secteur de la sécurité au Sahel. En effet, il décrit les rôles des inspections, du parlement et des institutions de contrôle dans le contrôle financier des ressources allouées au secteur de la sécurité et fournit également des conseils pratiques pour les autres acteurs formels et informels impliqués dans la promotion de la gouvernance démocratique du secteur de la sécurité. En outre, au-delà de l’identification des opportunités et défis, le document propose des mesures pour renforcer le contrôle financier du secteur de la sécurité au Sahel. Il s’agit de : La formation et la valorisation des acteurs chargés du contrôle financier.
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Introduction
Qu’est-ce que le contrôle financier du secteur de la sécurité ?
Le contrôle financier du secteur de la sécurité est un outil conçu pour s’assurer que les fonds publics alloués par l’État à la sécurité des citoyens sont dépensés de manière transparente et responsable.
Un contrôle financier efficace du secteur de la sécurité permet de garantir que :
- les institutions utilisatrices des ressources adhèrent à des mécanismes de supervision portés par des institutions indépendantes chargées de veiller à la bonne exécution des services et, en cas de manquement, susceptibles de suggérer des corrections ou de prononcer des sanctions ;
- les institutions de contrôle formelles et informelles surveillent de manière méthodique l’usage que font les forces armées, de police et de sécurité des fonds publics mis à leur disposition ;
- les services d’inspection, les parlements, les autorités judiciaires et les institutions supérieures de contrôle détectent les atteintes aux lois, règlementations et politiques de responsabilité financière de la part des institutions de défense et de sécurité, enquêtent sur ces situations et y remédient ;
- des procédures administratives ou des poursuites pénales soient rigoureusement menées contre les membres des institutions de défense et de sécurité qui sont reconnus coupables de corruption ;
- la société civile et les centres universitaires mènent des débats publics et inclusifs afin d’évaluer et de contribuer à prévoir les dépenses de l’État en ressources humaines, matérielles et immatérielles ;
- la presse puisse, en toute liberté et indépendance, mener des investigations et diffuser des informations relatives à l’usage des ressources financières du secteur de la sécurité.
Quels sont les acteurs intervenant dans le contrôle financier du secteur de la sécurité ?
Il existe deux types d’acteurs intervenant dans le contrôle financier du secteur de la sécurité. D’une part, les acteurs formels, tels que le gouvernement et ses ministères, qui ont pour mandat spécifique d’exercer un contrôle financier du secteur de la sécurité. D’autre part, les acteurs informels, tels que les médias, les organisations de la société civile (OSC) et les groupes de réflexion (think tanks), qui sont de plus en plus appelés à compléter les activités des acteurs formels.
Parmi les acteurs formels qui exercent un contrôle financier du secteur de la sécurité, citons essentiellement :
- Les auditeurs et experts-comptables travaillant au sein des principales institutions de sécurité et de justice : il s’agit notamment d’inspecteurs généraux, d’auditeurs internes
ou de médiateurs pour les forces armées. Leur rôle est de mener des enquêtes et des audits internes sur les cas de fraude financière ou de mauvaise gestion des fonds publics alloués aux forces armées et de sécurité. - Les ministères : ceux-ci comprennent le ministère des Finances et ses départements
du budget, du trésor, du contrôle financier, des marchés publics et de l’inspection, le ministère de la Défense, le ministère de l’Intérieur, le ministère de la Justice et le ministère du Plan. Leur fonction principale consiste à formuler les stratégies nationales de sécurité et à les chiffrer. Ces ministères préparent le budget qui va être alloué aux principaux prestataires de sécurité et de justice et en contrôlent l’exécution. Ils gèrent et vérifient également les dépenses de ces prestataires. Tous ces ministères rendent compte au Conseil des ministres et au président de la République. - Les députés du Parlement et les commissions spécialisées dans lesquelles ils siègent : citons, par exemple, la commission de la défense et de la sécurité ou la commission des finances et du budget. Les députés légifèrent en matière de défense et de sécurité et votent le budget de l’État qui alloue des ressources à l’exécution de la politique de sécurité. Ils élaborent également un cadre juridique permettant de renforcer la responsabilité financière des institutions de sécurité. De par leur travail au sein des commissions spécialisées, ils contrôlent les dépenses en matière de sécurité et enquêtent sur d’éventuels détournements de fonds publics.
- Les institutions supérieures de contrôle (ISC) : ces organismes nationaux indépendants sont chargés de mener des contrôles externes des institutions du secteur de la sécurité. Les auditeurs travaillant pour les ISC analysent les dépenses du secteur de la sécurité. Ils émettent un avis indépendant sur la façon dont les principaux prestataires de sécurité et leurs organismes de contrôle et de gestion utilisent les ressources pour leur fonctionnement.
Parmi les acteurs informels exerçant un rôle de contrôle financier du secteur de la sécurité, on peut notamment citer :
- Les organisations de la société civile (OSC) : il s’agit d’associations nationales
ou transnationales promouvant la bonne gouvernance et les droits humains, de groupes de réflexion, de centres universitaires et de recherche et d’autres organisations similaires. - Les médias, qui comprennent les organes de presse écrite, les médias audiovisuels et les organisations de développement des médias.
Les « lanceurs d’alerte » ou dénonciateurs peuvent appartenir ou non aux médias et à la société civile, mais agissent d’abord à titre citoyen et doivent être protégés par loi.
Quels sont les avantages du contrôle financier du secteur de
la sécurité ?
Le contrôle financier du secteur de la sécurité a pour avantage de rendre les prestataires de sécurité et de justice responsables et redevables de leur utilisation des fonds publics.
Correctement mené́, le contrôle financier permet de s’assurer que :
- les ressources de l’État sont mobilisées en fonction des besoins réels des citoyens en matière de sécurité ;
- les dépenses de défense et de sécurité de l’État sont gérées de manière efficace et transparente ;
- les principaux prestataires de sécurité et de justice demeurent redevables vis-à-vis des institutions de contrôle financier et accessibles aux demandes de la société ; et
- l’allocation de fonds publics à la défense et à la sécurité ne compromet pas les programmes visant à réduire la pauvreté́ et à promouvoir un développement socioéconomique durable.
La programmation budgétaire dans le secteur de la sécurité
Comment le budget de l’État couvre- t-il les dépenses de défense et de sécurité ?
Le budget annuel de l’État comprend des volets distincts. Les volets consacrés à la défense et à la sécurité décrivent le volume de fonds que les principaux prestataires de services concernés pourront dépenser afin d’assurer la sécurité des citoyens.
Destinées au fonctionnement ou à l’investissement, les ressources sont réparties en missions et programmes mis en œuvre dans différents services de l’État.
Au sein des institutions de défense et de sécurité, des départements et services spécialisés sont chargés de convertir les stratégies opérationnelles en rubriques budgétaires détaillées et quantifiables.
Ces rubriques budgétaires couvrent généralement :
- les dépenses liées au personnel (salaires, indemnités, primes et gratifications, paquetage, etc.) ;
- les dépenses administratives (frais de déplacement et de subsistance, frais de transport, régime de retraite, frais de soutien social, frais d’études et de communication) ;
- les entrepôts, munitions et explosifs, les pièces détachées et composants pour l’entretien de l’équipement, les matériaux de construction, les fournitures de bureau, le carburant, l’habillement, etc. ;
- l’équipement, tel que les véhicules, les armes, les machines et le mobilier ;
- la construction de locaux ou la location de terrains et de bâtiments ;
- les services professionnels et spécialisés, tels que les consultations, les services sous- traités et les programmes de recherche ou de développement.
Qu’est-ce que la programmation budgétaire à moyen terme et comment s’applique-t-elle au secteur de la sécurité ?
La programmation budgétaire à moyen terme consiste à combiner financement et planification. Appliquée au secteur de la sécurité, cette méthode établit un lien entre la gestion financière des principaux prestataires de sécurité et de justice et les processus de planification et de formulation des stratégies de défense et de sécurité de l’État.
L’objectif de la programmation budgétaire à moyen terme au sein du secteur de la sécurité
est de prendre en compte les besoins financiers des principaux prestataires de sécurité et de justice sur le moyen terme (c’est-à-dire dans une fourchette de deux à cinq ans). La programmation budgétaire à moyen terme appliquée au secteur de la sécurité permet de concilier les stratégies de l’État en matière de défense et de sécurité avec ses capacités financières réelles et anticipées. Des fonds publics sont alloués aux institutions de sécurité chargées de gérer les ressources publiques. Ainsi, la police ou les services de renseignement se voient remettre des sommes budgétées en fonction d’estimations à moyen terme. Cela doit se faire en accord avec l’ensemble des objectifs budgétaires de l’État.
La programmation budgétaire à moyen terme de la défense et de la sécurité est justifiée par :
- l’examen périodique de l’environnement stratégique et de sécurité ;
- l’évaluation du niveau de ressources financières disponibles ;
- l’évolution des menaces de sécurité qui pèsent sur la société à moyen terme ;
- les coûts générés par des opérations onéreuses, telles que les opérations de maintien de la paix ou de guerre ; et
- l’augmentation des besoins dans d’autres secteurs publics tels que la santé, l’éducation ou le développement social.
Dans de nombreux pays en développement, la programmation budgétaire à moyen terme au sein du secteur de la sécurité s’inscrit dans des cadres de dépenses à moyen terme.
Qu’est-ce qu’une loi de programmation militaire et de la sécurité intérieure ?
Le Niger a été le premier pays à se doter d’une loi quinquennale de programmation militaire (2004- 2008), suivi par le Mali en 2015 et par le Burkina Faso en 2017.
En finances publiques, la loi de programmation militaire ou la loi de programmation de la sécurité intérieure vise à établir une programmation pluriannuelle des dépenses que l’État consacre à ses forces armées et de sécurité. Des crédits proportionnés sont ainsi réservés dans les lois de finances annuelles pour faire face aux engagements définis dans la loi de programmation.
Ce type de lois déroge au principe d’annualité budgétaire, car la nature des dépenses de sécurité et l’évolution des menaces à la sécurité exigent une anticipation, une planification et des engagements sur une durée relativement longue pour les aspects liés au personnel et aux équipements.
Quel est l’avantage de la programmation budgétaire à moyen terme dans l’élaboration d’une stratégie nationale de sécurité ?
La programmation budgétaire à moyen terme dans le secteur de la sécurité est souvent associée
à la formulation d’une stratégie nationale de sécurité (également appelée « politique nationale de sécurité »). La formulation d’une stratégie nationale de sécurité permet de faire face à l’évolution des défis sécuritaires internes et externes auxquels l’État est confronté.
Dans le cadre du processus de formulation d’une stratégie nationale de sécurité, la programmation budgétaire à moyen terme permet de planifier l’utilisation optimale des ressources de l’État en matière de défense et de sécurité à moyen terme (entre trois et cinq ans).
Renforcer le contrôle financier du secteur de la sécurité : le rôle des inspections générales des armées et services de sécurité
Pourquoi un service d’inspection pour les forces de défense et de sécurité ?
Dans les organisations (services publics, entreprises, société civile, etc.), les fonctions de gestion opérationnelle et de surveillance sont souvent séparées pour garantir la transparence, le contrôle et l’efficacité.
Inspecter, c’est donc examiner dans un but de contrôle, de surveillance, de vérification, mais également de conseil afin d’optimiser l’utilisation des ressources et de prévenir les fautes de gestion.
Ainsi, comme toute organisation, les forces de défense et de sécurité disposent de services d’inspection ayant un mandat de contrôle. Dans leur contexte administratif, le rôle des inspections s’apparente à l’audit interne. Il s’agit d’une activité indépendante et objective qui donne à l’organisation une certaine garantie concernant ses procédures et opérations en vérifiant l’exactitude et la pertinence des informations organisationnelles ou financières.
Fonctionnellement indépendante de la chaîne d’exécution, l’inspection contribue à créer de la valeur ajoutée en développant une sorte de « maintenance préventive » et de contrôle de proximité préalable et complémentaire à la supervision exercée par les ISC, lesquelles sont indépendantes à la fois de la chaîne d’exécution et de la chaîne de commandement des armées, des services de police et du gouvernement.
Le contrôle administratif exercé par les services d’inspection se distingue du contrôle de régularité financière assuré par les délégués du contrôle financier. Ce dernier est intégral dans la chaîne de dépense en ce sens qu’il porte (ou est censé porter) sur toutes les opérations financières. Il est aussi intégré, dans la mesure où il intervient au cours de la procédure. Il n’intervient ni a priori, ni a posteriori.
A contrario, le contrôle réalisé par l’inspection peut se déployer a priori (alerte sur des risques, conseil, etc.) et surtout a posteriori (vérifications, identification de fautes, proposition de sanction, etc.).
Suivant le cadre juridique qui les régit, les inspections peuvent ou non s’autosaisir, élaborer et exécuter des plans de contrôle systématique et aléatoire ou ad hoc, à la demande des institutions habilitées ou à la suite de dénonciations.
Au Sahel, le Burkina Faso dispose de l’Inspection générale des forces armées et de l’Inspection technique des services du ministère de la Sécurité. Le Mali possède l’Inspection générale des armées et services et l’Inspection des services de sécurité et de protection civile.
La Mauritanie dispose de l’Inspection générale des forces armées et de sécurité. Le Niger présente l’Inspection générale des armées et de la gendarmerie et l’Inspection générale des services de sécurité. Quant au Tchad, il dispose d’un Contrôleur général des armées et des inspections générales de la police nationale, de la gendarmerie nationale et de la garde et nomade.
Quels sont les défis rencontrés par les services d’inspection des forces de défense et de sécurité ?
Les services d’inspection sont souvent confrontés à l’instabilité et parfois aux compétences limitées de leur personnel, à des moyens humains et matériels insuffisants et à une autonomie d’initiative restreinte, voire nulle.
De plus, les inspections des armées et des services de sécurité entretiennent peu de relations fonctionnelles avec les organes de contrôle externe, interministériels et supérieurs (Inspection générale des finances, Inspection générale d’État, Cour des comptes, etc.).
Renforcer le contrôle financier du secteur de la sécurité : le rôle du Parlement
Quel est le rôle du Parlement dans l e contrôle financier du secteur de la sécurité ?
Le rôle du Parlement est de s’assurer que les besoins et intérêts des citoyens en matière de sécurité soient pris en compte dans le processus de programmation budgétaire. Il incombe également au Parlement de demander aux autorités exécutives des comptes sur l’utilisation des fonds publics, y compris dans le secteur de la sécurité.
Le contrôle financier du secteur de la sécurité mobilise le Parlement dans deux de ses fonctions fondamentales : la fonction législative et la fonction de contrôle.
- La fonction législative. Le Parlement établit et modifie le cadre juridique de responsabilité financière des institutions de défense et de sécurité. Il promulgue le budget annuel sous forme de loi et adopte les lois régissant la gestion des ressources humaines (statut des forces armées et de police) et matérielles des institutions de sécurité, ainsi que les mandats de leurs organismes de contrôle.
- La fonction de contrôle. Le Parlement examine le budget des institutions de sécurité. Dans de nombreux pays, y compris ceux du Sahel, le Parlement et ses commissions spécialisées ont le droit de modifier le document de budget avant son adoption. Les parlementaires débattent régulièrement en session plénière ou en commission du caractère approprié des demandes de financement soumises par le gouvernement. Cela suppose de mettre en perspective ces demandes, les menaces qui pèsent sur la sécurité nationale et la situation budgétaire du pays. Les parlements peuvent également contester les politiques de dépenses des institutions de sécurité. Pour ce faire, ils peuvent organiser des audiences publiques au cours desquelles les fonctionnaires chargés des dépenses de sécurité peuvent être appelés à expliquer l’objet et les modalités de ces dépenses.
Cependant, la contrainte de voter un budget à l’équilibre, en tenant compte des normes communautaires (de l’UEMOA, par exemple) et des objectifs économiques définis par le gouvernement, limite quelque peu le droit d’amendement des députés. En effet, aucun amendement à un projet de loi de finances ne peut être proposé et adopté par le Parlement en plénière, sauf exceptions strictement limitées et motivations appuyées par des développements de moyens le justifiant dans le respect de l’équilibre des finances publiques.
Par ailleurs, les parlementaires peuvent effectuer des visites pour constater l’effectivité de certaines dépenses et produire des rapports parlementaires sur l’exécution des dépenses de sécurité.
Le vote de lois de programmation militaire et de programmation de la sécurité intérieure donne également l’occasion au Parlement de se prononcer sur la politique de défense et de sécurité – un domaine qui, dans la pratique des régimes politiques présidentiels de l’espace sahélien, est considéré (à tort) comme exclusif à l’exécutif, et notamment à son chef, le président de la République, car les politiques de défense et de sécurité sont du domaine de la loi. Et le président de la République, chef suprême des armées, exécute la fonction suprême de commandement qui consacre la subordination des armées à l’autorité politique légitime.
Quels sont les obstacles au contrôle financier du secteur de la sécurité et comment les parlementaires peuvent-ils y remédier ?
Le contrôle financier du secteur de la sécurité pose de nombreux défis aux parlementaires. Parmi ces écueils figurent :
- Le manque de volonté politique des autorités :
Dans de nombreuses situations, une longue expérience de régimes militaires ou de parti unique, conjuguée à une pratique restreinte de la démocratie et à un pouvoir exécutif fort, rend particulièrement difficile le contrôle financier par le Parlement. Dans ces contextes, les
élites au pouvoir sont peu susceptibles de faire preuve de la volonté politique nécessaire pour promouvoir un contrôle parlementaire accru sur les dépenses effectuées dans le secteur de la sécurité.
Au-delà de ces aspects, le manque d’indépendance relative des députés de la majorité vis-à-vis des partis politiques inhibe toute velléité de débat, car l’expression d’une opinion contraire ou nuancée est perçue comme une défiance à l’égard du gouvernement.
- L’absence de cadre juridique et constitutionnel clair :
La Constitution et les lois de responsabilité financière confèrent aux parlementaires le droit de contrôler les budgets et les dépenses du secteur de la sécurité. En l’absence de cadre juridique et constitutionnel clair, le Parlement est incapable d’exercer un véritable contrôle financier. Dans certains pays, le Parlement est parfois trop faible pour promouvoir des réformes juridiques visant à renforcer la responsabilité financière des institutions de défense et de sécurité.
- Le manque d’accès à l’information :
Le pouvoir exécutif invoque souvent le prétexte de la confidentialité pour éviter de soumettre les institutions de défense et de sécurité au contrôle parlementaire. Comme elles sont jugées sensibles, les sources de financement et les dépenses des institutions de défense
et de sécurité peuvent demeurer hors budget et non soumises à un examen parlementaire. Dans ces cas de figure, l’accès du Parlement aux informations financières des institutions de défense et de sécurité demeure limité.
- L’absence d’indicateurs d’impact et de performance :
Dans certains pays en transition ou en développement comme les États sahéliens, il se peut que les parlementaires ne disposent pas de données cruciales leur permettant d’évaluer l’impact et la performance des prestataires de sécurité et de justice. En effet, il arrive que les résultats mesurables des institutions de défense et de sécurité ne soient pas disponibles ou soient mis à disposition très tard. Les parlementaires ont ainsi beaucoup de mal à estimer la performance des institutions de défense et de sécurité, faute de critères financiers clairs et d’indicateurs auxquels se référer concernant la prestation de services aux citoyens.
- Le manque d’expertise et de ressources au sein des institutions chargées du contrôle financier :
Dans de nombreux contextes, les activités des institutions de contrôle financier peuvent être compromises par des ressources financières limitées et un manque d’expertise de leurs agents. À titre d’exemple, les membres des commissions parlementaires n’ont pas toujours les compétences et l’expérience nécessaires pour mener des audiences avec les fonctionnaires du secteur de la défense et de la sécurité. Par ailleurs, le Parlement et les ISC ne disposent pas toujours de suffisamment de personnel formé et qualifié pour mener ces activités.
Renforcer le contrôle financier du secteur de la sécurité : le rôle des ISC et de la société civile
Que sont les ISC et quel type de contrôle financier exercent-elles dans le secteur de la sécurité ?
Les ISC sont les organismes nationaux chargés d’effectuer des audits externes indépendants des institutions publiques.
Les ISC (regroupant des organes dénommés Vérificateur général ou Cour des comptes) sont créées par loi constitutionnelle qui leur confère un statut d’institutions totalement indépendantes des branches exécutive, législative et judiciaire.
En règle générale, le mandat des ISC n’est pas restreint à certaines institutions étatiques. Par conséquent, les principes directeurs des ISC s’appliquent également au contrôle des prestataires de sécurité et de justice, ainsi qu’à leurs organes de gestion et de contrôle.
Le rôle des ISC dans le contrôle financier du secteur de la sécurité consiste essentiellement à :
- vérifier l’exactitude et la fiabilité des comptes présentés par les prestataires de sécurité et de justice et par leurs organes de gestion et de contrôle ;
- veiller à ce que toutes les opérations financières effectuées dans le domaine de la défense et de la sécurité soient exécutées conformément aux lois et règlements en vigueur ;
- demander aux représentants des institutions de sécurité et de justice et à leurs organes de gestion et de contrôle de rendre compte de leur gestion des fonds publics ; et
- signaler au Parlement et/ou à la justice les dysfonctionnements et les cas de corruption dans le secteur de la sécurité.
Quels sont les défis qui se posent au contrôle indépendant des institutions de défense et de sécurité ?
Les ISC impliquées dans l’audit des institutions de défense et de sécurité peuvent être confrontées à de nombreux obstacles. Voici les problèmes qu’elles rencontrent couramment :
- Éléments du budget national exclus de l’examen
Il arrive que le pouvoir exécutif soustraie certains volets du budget national au contrôle des auditeurs. Cela concerne souvent les volets « défense et sécurité », qui sont réputés sensibles ou confidentiels. Une telle pratique réduit la capacité des ISC à contrôler les transactions de fonds publics. Même si les ISC reposent sur de solides bases juridiques, le pouvoir exécutif et les institutions de défense et de sécurité les empêchent parfois de procéder à des vérifications de leurs comptes.
- Absence de législation claire et applicable
Certains pays ne disposent pas de législation adéquate pour garantir l’indépendance et la liberté des ISC. Dans ces contextes, l’ISC peut souffrir de l’interférence du pouvoir exécutif, des partis politiques ou de certains ministères. Par ailleurs, bon nombre de législations nationales n’indiquent pas si les prestataires de sécurité et de justice doivent être soumis ou non à des contrôles indépendants. En l’absence de précision dérogatoire, elles sont censées se soumettre au contrôle des ISC car « nul ne peut distinguer là où la loi ne distingue pas ». Malgré leurs spécificités, les prestataires de sécurité et de justice sont donc des services publics comme les autres et doivent faire l’objet de contrôles externes aptes à de garantir une relative transparence, la rationalité des choix budgétaires et la performance opérationnelle.
- Défaut d’accès à l’information
Les ISC peuvent se voir refuser tout accès à des informations pertinentes dans des délais opportuns. Ces informations comprennent notamment des documents confidentiels liés à la sécurité. Les informations qui ont généré certaines décisions de dépenser des fonds publics à des fins de défense et de sécurité peuvent demeurer confidentielles et être soustraites à tout contrôle indépendant. Dans ces conditions, il est important que la loi encadre l’invocation du secret ou de la confidentialité de ces informations, de manière à garantir à la fois la sécurité nationale et la bonne gouvernance en limitant leur portée à des informations exceptionnelles et d’une certaine gravité.
- Défaut de capacités et d’aptitudes
Dans de nombreux pays, les auditeurs travaillant pour les ISC ne possèdent pas les qualifications techniques ni les outils nécessaires pour s’acquitter de leur tâche. Dans le secteur de la sécurité, les ISC souffrent souvent d’un manque de ressources financières et humaines, ce qui entrave leur capacité à accomplir leur mission.
Quel est le rôle des OSC dans le contrôle financier du secteur de la sécurité ?
Les organisations de la société civile (OSC) sont devenues d’importants acteurs informels du contrôle financier du secteur de la sécurité. À titre d’exemple, les OSC sont de plus en plus appelées à examiner l’exécution du budget par le pouvoir exécutif ou législatif. Cette participation accrue contribue à rendre les principaux prestataires de sécurité et de justice plus redevables vis-à-vis des citoyens. Les OSC peuvent aider le gouvernement et le Parlement à établir une liste de dépenses publiques prioritaires en fonction des besoins les plus urgents de la société en matière de développement.
Pour contribuer à renforcer le contrôle financier du secteur de la sécurité, les OSC peuvent promouvoir l’accès à l’information. Dans de nombreux pays en transition et en développement, les OSC et certains médias soutiennent la formulation de lois sur la liberté d’information et la transparence administrative, ainsi que le suivi de leur application. Ces efforts contribuent à informer les citoyens et les acteurs concernés sur les meilleures pratiques en matière de contrôle financier du secteur de la sécurité. Par ailleurs, le fait de solliciter la participation des forces armées et de sécurité à ce processus législatif favorise leur adhésion plus large aux principes de bonne gouvernance financière du secteur de la sécurité.
Pourquoi renforcer les partenariats entre les parlements, les ISC et les OSC ?
Les partenariats entre les parlements, les ISC et les OSC sont propices au renforcement du contrôle financier du secteur de la sécurité. Ils permettent une gouvernance plus large et participative du secteur de la sécurité, en proposant de :
- Compléter les activités des parlements et des ISC. La participation de la société civile au contrôle financier du secteur de la sécurité peut contribuer à compenser les capacités limitées du Parlement en matière d’analyse financière. Le niveau de contribution de la société civile au contrôle financier du secteur de la sécurité peut se traduire par une pleine coopération au processus de contrôle du secteur de la sécurité. Le Parlement peut jouer un rôle décisif dans la définition des contributions de la société civile au regard des normes prédéterminées de professionnalisme et d’objectivité.
- Renforcer le système de pouvoirs et contre- pouvoirs. Encourager des experts de la société civile à examiner les rapports d’audit produits par les ISC permet aux membres des commissions parlementaires des finances et du budget de recevoir un second avis sur le budget de sécurité de l’État. Une contribution complémentaire de la société civile peut combler d’éventuelles insuffisances ou lacunes. De même, les ISC peuvent s’appuyer sur les associations de promotion de la bonne gouvernance pour rendre publics leurs rapports, au cas où les parlements ne les prendraient pas suffisamment en compte.
- Renforcer la participation citoyenne au contrôle financier. Les parlements peuvent accroître la participation citoyenne en évaluant les politiques et les opérations menées par les prestataires de sécurité et de justice. Pour ce faire, ils peuvent faire appel aux compétences et à l’expertise des OSC dans les domaines juridique, financier et des droits humains. Ainsi, les parlements peuvent bénéficier de conseils supplémentaires sur les questions liées au contrôle du secteur de la sécurité et se forger un avis plus inclusif sur la pertinence de la gestion financière du secteur de la sécurité.
Et ensuite, quelle marche à suivre ?
Quels sont les avantages d’un cadre juridique complet de responsabilité financière ?
La bonne gouvernance du secteur de la sécurité passe par la mise en place d’un cadre juridique clair qui définit les normes de responsabilité et d’intégrité financière.
Cela permet en effet de :
- mieux établir les rôles, mandats et relations entre les institutions de contrôle financier ;
- fixer des limites aux prérogatives et aux pouvoirs des institutions de défense et de sécurité en matière de gestion de fonds publics ;
- fournir un socle de responsabilité financière en définissant ce qui constitue un comportement financier illégal ;
- protéger les personnes qui dénoncent les cas de corruption ou de détournement de fonds publics ; et
- augmenter la confiance des citoyens et renforcer la légitimité et l’intégrité des institutions du secteur de la sécurité.
En règle générale, c’est le Parlement qui établit le cadre juridique de responsabilité financière. Mais cela ne peut se faire sans la participation des autorités gouvernementales, qui fixent des règles détaillées d’intégrité et prennent des mesures concrètes pour lutter contre la mauvaise utilisation des fonds publics. Les experts et les OSC peuvent également contribuer à dénoncer des cas de corruption et de comportement illégal, et prôner des réformes juridiques appropriées. À titre d’exemple, ils peuvent organiser des campagnes de sensibilisation visant à améliorer la protection de ceux qu’on appelle les « dénonciateurs » ou « lanceurs d’alerte ».
Comment promouvoir les processus d’autoévaluation de l’intégrité au sein des institutions de défense et de sécurité ?
Dans de nombreux pays, le pouvoir exécutif procède à sa propre analyse des problèmes de corruption qui minent les institutions de défense et de sécurité. Cette démarche s’inscrit souvent dans le cadre de stratégies de lutte contre la corruption au sein de l’État. À travers la promotion de processus d’autoévaluation de l’intégrité au sein des institutions de défense de sécurité,
les acteurs du contrôle financier proposent une approche holistique du problème de la corruption.
Ces processus d’autoévaluation permettent notamment de :
- promouvoir l’examen des relations institutionnelles entre tous les acteurs du secteur de la sécurité, ce qui inclut les principaux prestataires de sécurité et de justice, leurs organes de gestion exécutive et de contrôle, le Parlement, les institutions de contrôle de l’État et la société civile ;
- présenter le cadre institutionnel et juridique de contrôle financier, ce qui inclut toutes les lois et les institutions chargées de garantir l’intégrité des institutions de défense et de sécurité ;
- identifier les opportunités de rendre la pratique de l’État conforme aux traités internationaux de lutte contre la corruption, tels que la Convention des Nations Unies contre la corruption ;
- déterminer les domaines où les risques de corruption sont les plus élevés dans les institutions de défense et de sécurité ;
- suivre la mise en œuvre de codes de conduite en vue de renforcer l’intégrité du personnel de défense et de sécurité ; et
- améliorer la transparence des processus de planification, de programmation budgétaire, d’acquisition d’armes et d’équipement menés par les institutions de défense et de sécurité.
Comment former les acteurs chargés du contrôle financier ?
Le degré d’efficacité du contrôle financier repose souvent sur la qualité des programmes de formation et de renforcement des capacités auxquels les acteurs formels et informels participent. Des organisations nationales et internationales spécialisées sont souvent présentes dans les pays en développement et proposent des formations à ces acteurs.
Ces programmes de formation sont susceptibles d’intéresser les acteurs suivants :
- Membres du Parlement. La formation et le renforcement des capacités doivent être ciblés afin de sensibiliser les députés au contrôle financier du secteur de la sécurité et à leurs responsabilités à chaque étape du cycle budgétaire ;
- Fonctionnaires des parlements. La formation et le renforcement des capacités visent à professionnaliser l’appui apporté par les fonctionnaires des commissions parlementaires aux députés ;
- Fonctionnaires des ISC. La formation et le renforcement des capacités doivent avoir pour but de renforcer les compétences techniques des fonctionnaires des ISC appelés à auditer les institutions de défense et de sécurité ;
- Société civile et médias. Les programmes de formation et de renforcement des capacités doivent chercher à améliorer la qualité de la participation de la société civile et des médias aux processus de contrôle financier.
Compte tenu de la forte interdépendance entre les acteurs du contrôle financier du secteur de la sécurité, les organisations qui proposent de telles formations peuvent réunir toutes ces parties prenantes au sein d’une même session.
Comment valoriser les acteurs chargés du contrôle financier ?
L’efficacité du contrôle financier externe mené par les parlements et les ISC repose sur l’aptitude des inspections internes des armées et des services de sécurité à agir rapidement pour prévenir, circonscrire, enquêter et rapporter des faits ou des risques de corruption.
Le degré d’efficacité du contrôle financier repose souvent sur la qualité des programmes de formation et de renforcement des capacités auxquels les acteurs formels et informels participent
Ces institutions doivent être également valorisées et dotées de moyens adéquats : des femmes
et des hommes dont l’intégrité et l’exemplarité font l’unanimité, des budgets suffisants, un fonctionnement optimisé et un soutien politique déterminant du gouvernement.
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