Florent Houessinon
A défaut du confinement, de la fermeture de l’aéroport et du marché international de Dantokpa, le gouvernement béninois a opté pour l’établissement d’un simple cordon sanitaire autour de quelques communes avec suspension du transport en commun. Objectif fondamental: préserver l’activité économique et la survie des Béninois. Si la protection de la vie humaine ne devait pas être sacrifiée sous l’autel du profit, la réactivité face à la pandémie risque de nous coûter cher.
Dimanche 29 mars 2020. Après le sport, Gaël se dépêche de rentrer à la maison, car il ne voulait pas rater l’intervention du président Patrice Talon à la veille de l’application des dernières mesures pour lutter contre la Covid-19. A la fin de l’entretien télévisé, il affiche un sentiment de déception: «Au lieu de convaincre, le président a été alarmiste. Sans chiffre, sans accompagnement social, il a liquidé une question si cruciale en 10 minutes». En effet, des agents des ministères de l’Intérieur, de la Santé et de la Communication ainsi que des sociologues avaient pris d’assaut les médias publics et privés pour se prêter au même exercice, au cours de la même journée dominicale.
Le président de la République influence directement toutes les décisions et peut même décider à lui seul de ne pas tenir compte de l’avis technique
Dans le branle-bas (de combat) contre l’infox du weekend écoulé, l’omniprésence du chef de l’Etat dans l’appareillage étatique est désormais perceptible. «Si mes compatriotes n’ont pas encore eu l’occasion de m’entendre en personne, c’est bien parce que je suis à la tâche, jour et nuit, minute après minute … Je m’implique personnellement dans tous les segments de la riposte», déclare le président Patrice Talon au cours de son entretien.
«Il était donc sorti pour nous montrer qu’il travaille et qu’il est le plus atteint par la situation», commente Placide Kocou, entrepreneur. «Patrice Talon ne se contente pas de compte rendu d’un ministre ou d’un directeur de cabinet. Il est au fait de toutes les mesures. Il est au four et au moulin», ajoute James Agboli, enseignant. La conséquence de cette implication, c’est que «le président de la République influence directement toutes les décisions et peut même décider à lui seul de ne pas tenir compte de l’avis technique», confie Carlos D., doctorant en sociologie.
L’aéroport n’est pas fermé et l’activité économique tourne à Dantokpa
Ce qui désole Ulrich, étudiant en sciences économiques, c’est que la crise a révélé que les Béninois ne jouissent pas encore du taux de croissance notable de 8% enregistré par le Bénin comparativement aux pays de la sous-région (le plus fort de l’UEMOA devant la Cote d’Ivoire avec 7,5%, le Niger avec 6,3%, le Sénégal avec 6,0%, et le Togo avec 5,3%) : «… la plupart de nos concitoyens donnent la popote avec les revenus de la veille …», reconnaît le président de la République.
«Les mesures que nous venons de prescrire et qui vont entrer en vigueur dès demain lundi, nous permettrons d’empêcher la propagation du virus à l’intérieur du pays, tout en préservant l’activité économique dans une partie du territoire», ajoute le président béninois. Au Sénégal, par exemple, un fonds de riposte et de solidarité, et une réduction des tarifs des besoins de base sont annoncés.
La récupération politique que semble connaître cette crise sanitaire saupoudre dangereusement la capacité de décimation du coronavirus
Décidément, «les calculs économiques ont pris le pas sur une analyse objective et des décisions courageuses pour protéger la vie humaine. L’aéroport n’est pas fermé et l’activité économique tourne à Dantokpa. Si nous échouons, la réactivité nous coûtera très cher», déclare Evelyne Cossi, fonctionnaire. «Le gouvernement est obligé de faire appel à des dons financiers, en équipements et en intrants médicaux alors que nous ‘’sommes une grande nation’’», ajoute un spécialiste de gestion des risques et catastrophes à la retraite.
Selon certains politistes, «la récupération politique que semble connaître cette crise sanitaire saupoudre dangereusement la capacité de décimation du coronavirus». Une option politique à éviter à tout prix pour conjurer le pire au tournant de la dernière année du premier mandat afin d’être effectivement «porté en triomphe» par le peuple béninois.
Source photo : CHUV
Florent Houessinou est titulaire d’une Licence ès Philosophie de l’université d’Abomey-Calavi au Bénin et d’un Master en Journalisme de l’Institut supérieur des métiers de l’audiovisuel (ISMA) au Bénin.Florent Houessinou est le secrétaire de rédaction de l’hebdomadaire catholique La Croix du Bénin et il est le chef Desk société de la même rédaction. Actuellement, il rédige un projet de thèse sur le thème: Journalisme et fait religieux au Bénin: vue synoptique.