Auteur : Anahit Miridjanian
Organisation affiliée : Libération
Type de publication : Entretien
Date de publication : 22 janvier 2018
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Entre fake news ou commentaires haineux, comment contrôler l’énorme masse d’informations qui se crée chaque seconde sur Internet ? Plusieurs pays s’interrogent. En Italie, à deux mois des législatives, la police vient de lancer un outil de vérification des informations. L’Allemagne a adopté une loi drastique qui oblige Twitter, Facebook et YouTube à supprimer les contenus indésirables en vingt-quatre heures, sous peine d’amendes pouvant aller jusqu’à 50 millions d’euros. En France, Emmanuel Macron souhaite la création d’une loi qui lutterait contre les fake news pendant la période électorale. De leur côté, les Etats-Unis, encore sous le choc après les révélations sur l’ingérence russe dans l’élection présidentielle de 2016, tentent de tirer les leçons de la vente d’espaces publicitaires sur les réseaux sociaux à des faux comptes russes. Les quatre pays ont des visions différentes des normes de régulation sur Internet.
Benedetto Ponti, professeur de droit des médias numériques à l’université de Pérouse (Italie) :
Comment fonctionne le nouvel outil anti-fake news lancé par la police ?
Sur le site de la police postale [spécialisée dans la surveillance d’Internet et des réseaux de télécommunications, ndlr] chacun peut signaler de possibles fausses informations. Pour cela, il suffit d’indiquer son mail et laisser un lien vers la page web. Selon la déclaration de la police, une équipe d’experts du Centre national anticriminel informatique va procéder à la vérification des données en temps réel. Des logiciels spécifiques vont analyser 24 heures sur 24 le contexte de l’information : la présence des démentis, les preuves de la fausseté du contenu provenant des sources objectives, la qualité des sources. Il est à noter que le site ne donne pas la définition des fake news.
Pourquoi est-ce la police qui réalise ce travail ?
Il n’existe aucun acte législatif qui confierait cette responsabilité à la police. Les forces de l’ordre ont pris elles-mêmes l’initiative. Je pense que l’outil a été créé parce que le Parlement italien s’est avéré incapable d’approuver un texte de loi semblable à celui adopté en Allemagne. La loi dite «Gambaro», du nom de la femme politique qui a proposé le projet, contient des dispositifs similaires, mais elle n’a été ni officiellement mise en route ni approuvée.
Pourquoi l’Italie a-t-elle introduit cet outil ?
Je crois que cela s’est passé surtout à cause des résultats du dernier référendum en décembre 2016. La grande majorité des électeurs a rejeté la réforme de la Constitution italienne, même si une majorité au Parlement l’a approuvée. Cet événement a donné un signal clair aux forces politiques : elles ne sont plus capables de diriger et contrôler l’opinion publique à cause du développement d’Internet et des réseaux sociaux. Le mécanisme de censure sur les réseaux sociaux et plus généralement sur le web est aussi un moyen de retenir le mécontentement et les protestations qui gagnent du terrain.
Emmanuel Netter, chercheur spécialisé en droit des nouvelles technologies (France) :
Qui doit réguler les réseaux sociaux ?
C’est une vaste question. Il faudrait que ce soit le système policier et judiciaire classique qui s’occupe de ces enjeux. On peut confier une part de la tâche de régulation aux plateformes elles-mêmes : c’est visiblement la voie que le gouvernement français entend renforcer. Mais je pense qu’on ne devrait pas s’engager trop loin dans cette démarche car elle aboutit à confier trop de responsabilités à des personnes privées.
Dans quels cas les plateformes doivent-elles censurer des contenus ?
Lorsque Facebook et Twitter voient leur attention attirée sur un contenu qui est une forme de discrimination visible envers une communauté quelconque, on peut attendre de ces plateformes qu’elles réagissent. En revanche, dès que l’on arrive dans le domaine de la satire, de la critique, du débat politique, de l’humour ou même quand on arrive à la question des fake news, il peut y avoir une matière à discussion.
A quoi pourrait mener le contrôle renforcé des plateformes par elles-mêmes ?
En cas de doute, la plateforme va plutôt retirer le contenu. Parce que si vous censurez une publication qui ne méritait pas de l’être, vous ne prenez pas un grand risque. L’utilisateur en question sera mécontent, mais a priori la plateforme ne commettra aucune infraction pénale. Alors que si la plateforme n’a pas retiré un contenu manifestement illicite, elle pourrait risquer une grosse amende, comme le prévoit déjà la loi en Allemagne par exemple. C’est une dérive très dangereuse pour une société démocratique qui entend conserver un libre débat entre ses citoyens, y compris parfois sous une forme provocante, ou excessive. Je pose simplement la question de savoir si les caricatures de Mahomet publiées par Charlie Hebdo il y a quelques années seraient maintenues en ligne avec l’adoption d’une loi semblable à la loi allemande. Je n’en suis pas certain.
Comment les réseaux sociaux luttent-ils actuellement contre les fake news et les contenus de haine en France ?
Grâce à son «Journalism Project», Facebook a réussi à externaliser la fonction de vérification des «fake news». Ce réseau est malin : il ne va pas censurer, mais dégrader la visibilité de l’information dans l’algorithme. Donc il sera encore plus difficile pour quelqu’un qui aurait publié une information considérée comme fausse de se plaindre, parce qu’elle ne sera pas complètement censurée. En ce qui concerne Google, l’outil repose sur le crowdsourcing : le moteur de recherche demande à ses utilisateurs de signaler ce qui leur semble faux. Dans les deux cas, c’est de la régulation «soft», les entreprises ne cherchent pas à «taper» sur qui que ce soit.
Dieter Frey, avocat média au cabinet Frey Rechtsanwälte (Allemagne) :
Qui doit réguler les réseaux sociaux ?
Chaque entreprise doit s’occuper de sa propre plateforme. Les réseaux sociaux ont leurs propres directives qui déterminent ce qui est acceptable ou pas. Mais leurs règles ne correspondent pas toujours aux lois nationales et européennes. La question est de savoir comment effectuer ce contrôle. Je pense que la nouvelle loi allemande dépasse les frontières nécessaires ; ses règles sont trop rigides.
Lorsque Facebook et Twitter voient leur attention attirée sur un contenu qui est une forme de discrimination visible envers une communauté quelconque, on peut attendre de ces plateformes qu’elles réagissent. En revanche, dès que l’on arrive dans le domaine de la satire, de la critique, du débat politique, de l’humour ou même quand on arrive à la question des fake news, il peut y avoir une matière à discussion
Pourquoi l’Allemagne a-t-elle adopté la loi contre les fake news ?
Il y a eu une grosse discussion sur les discours de haine et les fausses informations pendant l’élection américaine. Le gouvernement allemand a aussi considéré que les plateformes n’avaient pas assez fait pour endiguer les discours de haine ou de xénophobie, comme ceux de l’extrême droite envers les réfugiés. Enfin, les élections générales allemandes, en septembre, ont joué un rôle certain. La loi a été adoptée juste avant leurs tenues.
Comment distinguer la haine et le sarcasme sur Internet ?
C’est l’un des problèmes les plus importants que pose cette loi. Il n’est pas si facile de comprendre si le commentaire est satirique ou pas. Il est nécessaire d’identifier la personne qui l’a écrit et d’interpréter son contexte. Mais les modérateurs n’ont pas d’intérêt à passer trop de temps sur les commentaires. Facebook a recruté deux équipes de vérificateurs, mais la majorité de ces gens ne sont pas avocats. Ils sont formés, mais quand il y a un danger d’infraction, ils peuvent être tentés de bloquer le commentaire. Une intervention qui peut paraître démesurée.
Nina Iacono Brown, professeure de droit de la communication à l’université de Syracuse (Etats-Unis) :
Qui doit réguler les réseaux sociaux ?
Aux Etats-Unis, il y a une protection très forte de la liberté d’expression. Le premier amendement de la Constitution la protège des restrictions gouvernementales. Cela ne rend possible qu’une très faible régulation des réseaux sociaux. Le gouvernement ne peut pas indiquer aux sites les types de contenu autorisés.
Après les révélations sur l’ingérence russe, d’où vient la pression sur les réseaux sociaux ?
Il y a certainement une pression de la part du gouvernement à cause de cette ingérence. Mais je pense qu’elle est plutôt due aux citoyens, utilisateurs des réseaux sociaux. Après l’élection, quand on a appris ce qui s’était passé, les gens sont devenus furieux que les réseaux sociaux aient laissé cette situation se produire et, en plus, en aient profité financièrement. Ce mécontentement dure depuis un an déjà, et je crois qu’il a encouragé les réseaux sociaux à introduire des changements. Mais Facebook et Twitter n’ont aucune obligation de rendre des comptes. Ils rendent publiques certaines de leurs décisions, mais ce n’est que de la communication.
Grâce à son «Journalism Project», Facebook a réussi à externaliser la fonction de vérification des «fake news». Ce réseau est malin : il ne va pas censurer, mais dégrader la visibilité de l’information dans l’algorithme. Donc il sera encore plus difficile pour quelqu’un qui aurait publié une information considérée comme fausse de se plaindre, parce qu’elle ne sera pas complètement censurée. En ce qui concerne Google, l’outil repose sur le crowdsourcing : le moteur de recherche demande à ses utilisateurs de signaler ce qui leur semble faux. Dans les deux cas, c’est de la régulation «soft», les entreprises ne cherchent pas à «taper» sur qui que ce soit
Comment les plateformes luttent-elles contre les commentaires haineux et les fake news ?
Encore une fois, le gouvernement ne peut pas forcer Facebook et Twitter à effacer des contenus. Les réseaux sociaux sont libres de le décider eux-mêmes. Ils ont tous des conditions d’utilisation qui bannissent le harcèlement et la haine. On peut signaler un contenu problématique, mais ce sont les plateformes qui vont prendre les décisions. Parfois ils ne la prennent pas, et leur inaction peut susciter des problèmes.
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