Auteur : Katia Tosco
Organisation affiliée : Waisso
Type de publication : Article
Date de publication : 17 septembre 2019
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Ils ont pris une telle place dans nos habitudes qu’on peut raisonnablement se demander quel est leur impact sur notre santé mentale, cet état de bien-être psychologique qui, selon la définition de l’OMS, doit permettre à chacun de « réaliser son potentiel, de faire face aux difficultés normales de la vie, de travailler avec succès et de manière productive et d’être en mesure d’apporter une contribution à la communauté ». Les réseaux sociaux, à en croire le discours forcément prosélytique de leurs porte-parole (« notre mission, dit Facebook, est de donner à chacun le pouvoir de construire sa communauté et de rapprocher les gens du monde entier » permettraient de renforcer le lien social, et devraient en ce sens nous aider à nous sentir moins seuls et avoir un impact positif sur notre psyché. Pourtant, notre propre expérience personnelle des réseaux sociaux peut suffire à faire planer le doute sur des assertions aussi idylliques.
Les réseaux sociaux nous rendent-ils malheureux ?
Sans parler des cas de cyberharcèlement dont les réseaux sociaux peuvent se faire le vecteur, comme cela a été révélé avec éclat récemment dans l’affaire de la Ligue du LOL, même un usage « normal » des réseaux sociaux pourrait avoir un impact négatif sur notre santé mentale. Parmi les effets néfastes qu’ils engendreraient, diverses études pointent notamment du doigt :
- Une baisse de notre capacité de concentration : une étude menée au Canada sur l’activité cérébrale de 2000 participants a montré qu’entre les années 2000 (date approximative du début de la révolution mobile) et 2015, notre durée d’attention moyenne est passée de 12 à 8 secondes… soit une seconde de moins que celle d’un poisson rouge.
- Une détérioration de la qualité de notre sommeil : une étude de la Glasgow University sur plus de 460 adolescents a montré un lien entre l’utilisation des réseaux, en particulier la nuit, et une mauvaise qualité de sommeil. L’étude n’a cependant pas pu établir de manière claire si le sommeil est directement dégradé par l’usage des réseaux sociaux ou si ces adolescents se connectent parce qu’ils ne parviennent pas à s’endormir.
- Un impact négatif sur notre estime personnelle et notre confiance en soi : c’est Instagram qui est particulièrement en cause ici, avec sa tendance à embellir la réalité : non seulement grâce aux filtres, mais aussi parce que ce réseau social ne laisse apercevoir de la vie d’un individu que quelques clichés qui donnent l’impression que le quotidien des influenceurs n’est qu’une succession de brunchs, de séances de fitness et de voyages dans des destinations de rêve. D’après le American Journal of Preventive Medicine, « être exposé à une représentation hautement idéalisée de la vie de ses pairs sur les réseaux sociaux peut susciter des sentiments d’envie et une distorsion des croyances : on est persuadé que les autres ont plus de bonheur et de succès que nous ». Mark Leary, professeur de psychologie et de neurosciences à la Duke University, explique, lui aussi que nous nous évaluons toujours par rapport aux autres, car il n’existe pas de point de référence objectif pour des qualités comme la beauté, la moralité ou l’intelligence. Et donc, quand nous voyons une photo sur Instagram, le point de référence à l’aune duquel nous nous jugeons est une mise en scène fabriquée de toutes pièces, et donc irréaliste ! « Face à une publicité, vous êtes généralement conscients que la réalité y est trafiquée, explique Mark Leary. C’est beaucoup moins évident quand vous regardez les photos d’un inconnu sur les réseaux sociaux. »
Une autre étude publiée en 2014 a interrogé des participants issus de la même tranche d’âge sur leur utilisation de 11 réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter, Reddit, Pinterest, LinkedIn, YouTube, Google Plus, Tumblr et Vine) et sur leur propension à l’anxiété et la dépression. Le résultat de l’étude est que plus le nombre de plateformes utilisées est élevé, plus leurs utilisateurs risquent de souffrir de dépression et d’anxiété : ceux qui utilisent sept réseaux sociaux ou plus triplent leurs risques de souffrir de tels symptômes.
- Une augmentation des risques de dépression, du sentiment d’isolement et de solitude : une étude publiée en 2017 par la American Journal of Preventive Medicine a tenté de mesurer l’Isolement Social Perçu (perceived social isolation ou PSI) chez des jeunes adultes (de 19 à 32 ans) en partant du postulat que les réseaux sociaux pourraient permettre de réduire l’isolement social. Les résultats de l’étude semblent montrer la conclusion opposée : les jeunes adultes qui ont un usage important des réseaux sociaux se sentiraient plus socialement isolés que leurs homologues qui en font un moindre usage. Une autre étude publiée en 2014 a interrogé des participants issus de la même tranche d’âge sur leur utilisation de 11 réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Snapchat, Twitter, Reddit, Pinterest, LinkedIn, YouTube, Google Plus, Tumblr et Vine) et sur leur propension à l’anxiété et la dépression. Le résultat de l’étude est que plus le nombre de plateformes utilisées est élevé, plus leurs utilisateurs risquent de souffrir de dépression et d’anxiété : ceux qui utilisent sept réseaux sociaux ou plus triplent leurs risques de souffrir de tels symptômes.
- Une surcharge d’information pour notre cerveau : sur Twitter, un réseau social qui met moins en avant l’expérience personnelle et les réseaux d’amitié ou de connaissances, les chercheurs mettent en garde contre un risque psychologique d’une autre nature : celui d’une surcharge d’information pour notre cerveau. Le concept de information overloadn’est pas nouveau, mais il prend une nouvelle dimension sur Twitter : en l’espace de quelques secondes seulement, le temps de passer d’un tweet à un autre dans notre fil d’actualité, nous sommes bombardés par des contenus qui vont d’histoires amusantes ou attendrissantes à base de chatons et de memes, à des actualités sinistres sur des fusillades, des crimes de guerre ou le réchauffement climatique.
- Des bonnes et des mauvaises utilisations des réseaux sociaux ? Sur la Newsroom de Facebook, dans une série de blog posts intitulée « Hard questions » (les questions difficiles, des articles non traduits en français), on peut lire cet article : « Passer du temps sur les réseaux sociaux est-il mauvais pour nous ?». La réponse apportée à cette question est nuancée : Facebook reconnait que quand les gens passent beaucoup de temps sur les réseaux sociaux en consommant de l’information de manière passive (c’est-à-dire en lisant les publications, mais sans prendre la peine d’interagir avec leurs amis), cela a un impact négatif sur leur bien-être. Les causes ne sont pas claires, mais Facebook avance les explications suivantes : le fait de lire ce que les autres font peut amener à une comparaison sociale négative, d’autant plus que chacun sélectionne ce qu’il publie afin de donner une image flatteuse de sa vie (on retrouve cette idée de point de référence que nous évoquions plus haut au sujet d’Instagram). Une autre explication proposée par Facebook est le fait que passer du temps sur Internet amènerait les gens à s’éloigner des interactions sociales en personne.
Les réseaux sociaux peuvent-ils évoluer pour être meilleurs pour nous ?
Rien d’étonnant à ce que la réponse de Facebook soit aussi nuancée. Parce que ce réseau social est utilisé de manière intime par des millions de personnes, mais aussi parce que Mark Zuckerberg a déclaré de manière ouverte et publique vouloir relever ce défi, sa société doit s’atteler à la tâche presque impossible de « construire un produit avec une conscience » : Facebook veut se montrer capable d’être redevable d’un point de vue moral, tout en construisant un empire publicitaire.
D’ailleurs, les réseaux sociaux ne peuvent-ils pas évoluer pour être meilleurs pour nous et pour mieux préserver notre santé mentale ? C’est dans ce sens qu’ont été décidées certaines des futures modifications annoncées par Facebook lors de la F8 Developper Conference du 30 avril au 1er mai 2019. Parmi elles, une modification importante de l’interface d’Instagram, qui consiste à cacher le nombre de likes reçus par les publications dans le fil d’actualité. Instagram a d’abord expérimenté cette mesure au Canada dès mai 2019, et l’a aujourd’hui étendue à 6 autres pays (Irlande, Italie, Japon, Australie, Nouvelle Zélande et Brésil). Désormais, pour les utilisateurs de ces pays, le compteur des likes d’une publication n’est plus disponible directement sous la photo publiée, dans le fil d’actualité, et il n’est pas visible par les followers ; seul l’auteur de la publication peut le voir, et il doit pour cela accéder à un panneau dédié, en tapant sur « et autres » (« and others »).
Selon Adam Mosseri, le dirigeant d’Instagram, la mesure doit permettre aux utilisateurs « d’être moins intéressés par le nombre de likes obtenus par un post, et de se concentrer davantage sur le fait de se connecter avec d’autres personnes. » Cacher les likes permet de mettre l’accent sur le contenu plutôt que sur les performances d’une publication, permettant ainsi aux utilisateurs de poster avec plus de liberté. Et le fait de devoir accéder à un menu spécial pour voir son nombre de likes agit comme un rappel à l’ordre : a-t-on vraiment besoin d’aller vérifier le nombre de personnes qui ont liké notre dernier selfie ? Lors de la F8, Mosseri a aussi évoqué d’autres mesures envisagées pour protéger les utilisateurs, comme un « Mode Vacances » (Away Mode), qui permettrait de mettre la plateforme en sourdine pendant les périodes sensibles de notre vie, telles qu’un déménagement ou une rupture sentimentale.
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