Auteur (s) : Bruno Hellendorff
Organisation affiliée : Groupe de Recherche et d’Information sur la Paix et la Sécurité (GRIP)
Type de publication : Rapport
Date de publication : 2012
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Introduction
Les ressources naturelles peuvent contribuer à l’explosion de violences ainsi qu’à leur prolongation. En Afrique de l’Ouest, la relation entre ressources et conflits a longtemps été illustrée par les guerres civiles du Libéria, de la Sierra Leone et de la Côte d’Ivoire. Mais les ressources naturelles jouent aussi un rôle crucial dans les processus de paix. Elles peuvent les retarder comme elles peuvent les consolider.
Depuis la fin de la Guerre froide, la place qu’occupent les ressources naturelles, et l’environnement plus globalement, dans l’étude des menaces à la paix et la sécurité internationales a pris une importance prépondérante. De nombreux conflits se sont en effet prolongés au travers des années 1990, et tout particulièrement sur le sol africain, sans qu’une confrontation idéologique globale ne parvienne plus à expliquer cette durée. Dans le chef des Nations unies, la perception d’une certaine « transformation » des conflits d’une part, et de l’environnement comme nouvelle menace sécuritaire d’autre part, a débouché sur un questionnement de fond quant à l’adéquation de ses actions vis-à-vis de la « nouvelle donne » post-Guerre froide.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs zones géographiques ; la bande sahélienne, les pays de la sous-région du fleuve Mano, la zone sénégalo-gambienne et le delta du Niger, sont le théâtre de violences politiques. Si les causes et motivations sont multiples, toutes plongent une partie de leurs racines dans les politiques de gestion des ressources naturelles.
Les liens que peuvent avoir ces ressources ainsi définies avec le déclenchement, le renouvellement, l’alimentation ou l’arrêt de phénomènes de violence armée dépassent la seule prise en compte de leurs caractéristiques intrinsèques. Leur répartition géographique est en elle-même un autre facteur potentiel de compétition, établissant de facto des inégalités de dotation entre régions et communautés. Plus important encore, les ressources naturelles, en tant que produits issus de la transformation de la nature par l’homme, ne peuvent acquérir une dimension conflictuelle qu’au travers des différents processus socio-économiques et politiques qui les entourent. Comme le dit Wennmann, « ce qui importe, ce n’est pas la simple présence des ressources naturelles mais la façon dont elles sont gérées ».
L’évolution des conflits et le rôle des ressources naturelles
Tout au long du vingtième siècle se sont succédé en Afrique différents types de conflits violents, allant des guerres coloniales aux guerres civiles en passant par les luttes de libération nationale, les coups d’État ou les manifestations sanglantes, détruisant les grands espoirs de prospérité économique, de liberté politique, de paix et de stabilité nés du mouvement de décolonisation et d’indépendance. Pourtant, depuis la fin de la Guerre Froide, deux changements fondamentaux ont modifié la perception de la communauté internationale sur la paix et la sécurité : premièrement, le spectre d’acteurs potentiellement impliqués dans des conflits s’est élargi pour inclure une quantité d’acteurs non étatiques.
Deuxièmement, les causes potentielles d’insécurité ont également augmenté et se sont considérablement diversifiées. Dès ce moment, l’accès aux ressources naturelles n’est plus apparu uniquement comme un enjeu géopolitique opposant des grandes puissances : il s’est progressivement imposé comme un enjeu socio-politique local générateur de tensions et conflits entre groupes et communautés.
Les années 1990 ont vu les phénomènes de violence politique se multiplier, principalement dans les États les plus pauvres, à un point tel que, sur l’ensemble de la décennie, un tiers des pays de la planète fut affecté à un moment ou à un autre par d’importants combats. Pour comprendre ce qui apparut pour certains comme des « guerres nouvelles», une certaine vision de ces conflits se développa autour d’une dimension particulière : l’avidité des belligérants qui, comme en Sierra Leone ou au Libéria, finança le prolongement d’une lutte armée que l’idéologie ne parvenait plus à justifier par l’exploitation et le commerce de ressources naturelles.
En Afrique de l’Ouest, plusieurs zones géographiques ; la bande sahélienne, les pays de la sous-région du fleuve Mano, la zone sénégalo-gambienne et le delta du Niger, sont le théâtre de violences politiques. Si les causes et motivations sont multiples, toutes plongent une partie de leurs racines dans les politiques de gestion des ressources naturelles
Cette transformation des conflits violents et la mise en valeur concomitante de leur dimension économique amenèrent inévitablement de nouvelles questions. Progressivement s’affirma l’idée selon laquelle les guerres civiles observées sur le continent africain n’étaient pas seulement l’expression d’un certain chaos inhérent à la désorganisation des sociétés africaines dans la période postindépendance mais pouvaient refléter l’instrumentalisation de la violence par des acteurs rationnels en quête de bénéfices particuliers.
Dans un premier temps, cette vision fonctionnelle de la violence s’avéra utile pour comprendre pourquoi des pays riches en ressources naturelles restaient sous-développés. Par exemple, certains pays sans pétrole ont connu une croissance quatre fois supérieure à celle des pays aux riches réserves pétrolières entre 1970 et 1993, malgré une épargne deux fois moindre. De plus, ces mêmes pays riches en ressources étaient souvent confrontés à des conflits récurrents. C’est ce phénomène qu’Auty qualifia dès 1993 de « malédiction des ressources ».
Dans un second temps, elle fournit les bases sur lesquelles se développèrent de nombreuses analyses causales des conflits. Ces analyses cherchaient à expliquer, voire prédire, les conflits en fonction du rôle de la violence dans l’organisation politique et économique d’un pays ou d’une région. Certaines isolèrent ainsi des mécanismes causaux (parfois très complexes) liant, de manière linéaire, les ressources naturelles aux conflits. D’autres trouvèrent dans la gouvernance des ressources la variable clé de l’équation ressources naturelles-conflits : c’est l’utilisation des rentes tirées de l’exploitation de ressources qui génère des conflits, les élites tendant « naturellement » à s’accaparer ces revenus pour consolider leur pouvoir, les populations marginalisées cherchant à accéder à ces richesses par la violence.
Selon cette seconde interprétation, c’est donc la qualité des institutions qui peut empêcher la tendance « naturelle » du politique à verser dans des mauvais choix de gouvernance (accaparement, subvention d’une bureaucratie lourde et inefficiente, développement d’un secteur de sécurité disproportionné, marginalisation du secteur privé…). Ces analyses répondaient finalement bien au besoin, exprimé par les institutions internationales et d’autres bailleurs de fonds, de disposer de grilles de lecture adaptées aux situations de conflit qu’ils rencontraient, surtout en Afrique.
Ainsi se développa au sein des Nations unies comme ailleurs, dans le domaine de la construction de la paix, l’usage de sanctions ciblées, de panels d’experts, d’initiatives concentrées sur le traçage des ressources et la transparence de leur gestion, de régulations contraignant les activités du secteur privé dans les zones de conflit.
Le point de vue des Nations unies
Les débats conceptuels sur le lien entre ressources naturelles et violence ne sont ni tout à fait neutres, ni « désincarnés » ; ils peuvent être orientés, voire sous-tendus, par des logiques d’intérêts nationaux concurrents. L’évolution de l’approche des Nations unies dans ce domaine permet d’éclairer ces logiques et d’étudier leurs impacts.
L’accès aux ressources naturelles n’est plus apparu uniquement comme un enjeu géopolitique opposant des grandes puissances : il s’est progressivement imposé comme un enjeu socio-politique local générateur de tensions et conflits entre groupes et communautés
L’approche de la relation entre ressources naturelles et conflits développée par les Nations unies a considérablement évolué depuis leur création. La prise de conscience environnementale au sein de l’organisation a joué à ce titre un rôle crucial. La conférence de Stockholm sur l’environnement de 1972 fut ainsi la première grande conférence internationale à se concentrer sur les liens entre l’humanité et l’environnement. Elle donna lieu à la création du PNUE, qui est l’agence des Nations unies mandatée pour traiter des questions environnementales.
Une de ses divisions, la « Division of Environmental Policy Implementation », est spécifiquement chargée d’aider les pays en développement à renforcer leurs capacités à gérer efficacement leurs ressources naturelles. Une autre branche de l’organisation, la « Post-Conflict and Disaster Management Branch », s’est impliquée très tôt dans l’étude des liens entre les ressources naturelles, l’environnement, les conflits et la construction de la paix.
L’établissement formel du lien entre sécurité et environnement au sein du Conseil de sécurité, promu par Kofi Annan puis par Ban Ki-Moon, reste encore aujourd’hui un enjeu géopolitique majeur : la Russie et la Chine considèrent cette problématique comme un enjeu de développement ou économique, et non comme un enjeu sécuritaire.
Malgré cette opposition, les questions environnementales s’intégrèrent de plus en plus aux réflexions des Nations unies sur la prévention des conflits. En 2007, les relations entre énergie, sécurité et climat furent abordées pour la première fois au sein du Conseil de sécurité et seront ensuite reprises en 2011.
En 2009, à la demande de l’Assemblée générale, le Secrétaire Général Ban Ki-Moon diffusa le rapport intitulé « Les changements climatiques et leurs répercussions éventuelles sur la sécurité ». Le rapport identifie cinq mécanismes généraux par lesquels le changement climatique et ses implications possibles pouvaient avoir une influence sur la sécurité (notamment une exacerbation des tensions intra- ou internationales, la création de vulnérabilités diverses, la génération de flux migratoires incontrôlés…). Il en ressortit que le changement climatique, en se greffant sur des vulnérabilités socio-économiques ou prédispositions politiques particulières, agissait davantage comme un « multiplicateur de menaces » que comme une menace en soi, et qu’il pouvait renforcer les antagonismes à tous niveaux.
Au final, et c’est la vision qui s’est imposée depuis, les implications du changement climatique sur la sécurité sont considérées comme des liens d’interaction relativement lâches, comme des facteurs pouvant catalyser certaines tensions voire les précipiter en conflits violents. En d’autres termes, c’est l’interaction des effets du changement climatique avec d’autres variables, socio-économiques, politiques ou institutionnelles, qui peut déboucher sur l’éruption de violence, pas le changement climatique en lui-même.
Cartographie des « points chauds » en Afrique de l’ouest
L’Afrique de l’Ouest est extrêmement riche en ressources naturelles ; c’est aussi une région qui a concentré quelques conflits internes parmi les plus sanglants du vingtième siècle. Entre le début de l’année 2011 et les premiers mois de 2012, la quasi-totalité des États régionaux ont été touchés par des épisodes de violence ou d’instabilité politique. Cette dimension régionale des conflits – due à la fluidité et à la porosité de leurs frontières –, la juxtaposition et l’entrecroisement d’enjeux (politiques, économiques, socioculturels, environnementaux) en leur sein et leur inscription dans une temporalité longue que leur « flexibilité » contribue à alimenter sont autant d’éléments rejoignant l’analyse de Luntumbue : les dynamiques de violence armée en Afrique de l’Ouest s’inscrivent dans des « systèmes de conflits ».
Pour changeants et différents qu’ils soient, ces systèmes de conflits ont un point commun : les tensions et dynamiques compétitives qui les sous-tendent ont pratiquement toujours une composante liée à l’accès aux ressources naturelles, même si cette dimension est parfois éclipsée par les discours identitaires, revendications politiques, et autres considérations d’ordre géostratégique.
- La sous-région du Fleuve Mano (UFM) : Libéria, Sierra Leone, Côte d’Ivoire
Les guerres civiles du Libéria et de Sierra Leone ont constitué, pour beaucoup d’observateurs, des exemples bruts d’un « esprit d’entreprise militaro-politique déterminé par l’exploitation de ressources naturelles ». Au début des années 1990, le National Patriotic Front of Liberia (NPFL) de Charles Taylor gagnait probablement 75 millions de dollars par an grâce à la taxation de l’exploitation du cannabis, des diamants, du fer, du caoutchouc et du bois. De plus, dès 1991, Charles Taylor finança l’invasion de la Sierra Leone par les rebelles du Revolutionary United Front (RUF), motivé en cela, au moins en partie, « par sa volonté de gagner le contrôle des lucratifs champs diamantaires sierra-léonais situés à moins de 100 kilomètres de la frontière libérienne ». En 1998, plusieurs rapports d’ONG dont Global Witness mirent au jour le rôle de la contrebande de diamants dans la perpétuation du conflit dans les deux pays.
Plusieurs rapports d’ONG et analyses économiques de ces guerres civiles eurent un impact considérable sur les Nations unies. Ils débouchèrent sur l’instauration de deux embargos sur les diamants par le Conseil de sécurité en 2000 et 2001 (résolutions 1306 pour la Sierra Leone et 1343 pour le Libéria). Si le RUF commença à déposer les armes dès la fin 2000, le Libéria de Charles Taylor se tourna vers le commerce du bois comme moyen alternatif au financement de son effort de guerre contre les factions rebelles pendant deux autres années avant qu’un embargo soit établi dans cet autre secteur.
C’est l’interaction des effets du changement climatique avec d’autres variables, socio-économiques, politiques ou institutionnelles, qui peut déboucher sur l’éruption de violence, pas le changement climatique en lui-même
Au-delà de ces difficultés qu’il est possible de qualifier d’«opérationnelles », d’autres auteurs ont surtout souligné que cette perspective était un peu trop centrée sur les agendas économiques des belligérants. Par exemple, Keen, un auteur renommé pour son travail innovant sur les dimensions économiques des guerres civiles à la fin des années 1990, a plaidé dès le début de la décennie 2000 pour un réexamen de facteurs autres qu’économiques dans l’explication des conflits, se basant pour cela sur son analyse de la guerre civile sierra-léonaise.
Les politiques de construction de la paix au Libéria, en Sierra Leone et en Côte d’Ivoire ont elles aussi dégagé leur lot d’enseignements. Parmi celles-ci, la réforme du secteur forestier libérien et la mise en œuvre du Processus de Kimberley (KPCS ou Kimberley Process Certification Scheme) en Sierra Leone sont souvent citées comme des réussites dans le domaine de la gouvernance des ressources naturelles. Dans le cas libérien, les accords de paix d’Accra de 2003 consacrèrent la notion de réforme de la gestion des ressources naturelles comme moyen d’empêcher un retour au conflit. Pour s’assurer de la bonne mise en œuvre de ces accords, les principaux partenaires internationaux du pays signèrent avec le gouvernement de transition, le Governance and Economic Management Assistance Program (GEMAP), un programme par lequel la communauté internationale pouvait superviser les réformes, et s’assurer de leur bonne application.
De ce fait, des appels à une intégration plus nette des leçons et des bonnes pratiques apprises par l’expérience dans les programmes de construction de la paix ont émergé au sein des Nations unies comme dans d’autres organisations. Ces recommandations consisteraient par exemple à accorder la priorité aux moyens de subsistance locaux et aux besoins de développement plutôt que de faire le choix « de construire l’État pour construire la paix », et donc se concentrer sur les recettes fiscales du gouvernement ou les investissements étrangers directs. Les conflits de la région de la sous-région du fleuve Mano ont mis en valeur le rôle que pouvaient jouer les ressources naturelles « de grande valeur » comme les diamants, le bois ou le cacao dans l’alimentation des conflits.
Ils ont eu une influence prépondérante sur l’élaboration, par l’ONU, de nouveaux outils, modes d’actions et perspectives dans ses politiques de gestion des conflits liés aux ressources (sanctions ciblées, embargos, imposition de réformes dans la gouvernance des ressources…). Dans les conflits liés aux ressources latents ou ouverts qui se sont exprimés et s’expriment actuellement dans la bande sahélienne, ces outils et approches vont néanmoins s’avérer inadaptés, donnant ainsi son élan à un plus large courant de recherche portant sur les relations entre l’environnement et les conflits violents.
- La zone sahélo-saharienne
Les régions sahéliennes de l’Afrique de l’Ouest, incluant le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger, le Nigeria et le Tchad, sont parmi les premières victimes du changement climatique. Dépendantes des cultures pluviales, elles sont particulièrement touchées par une baisse sévère des précipitations, appelée à s’aggraver dans le futur.
Une « pénurie environnementale », c’est-à-dire une situation où des ressources de subsistance manquent, peut-être causée par trois dynamiques, qui sont clairement identifiables au Sahel : (1) lorsque la demande dépasse les stocks disponibles ; (2) lorsque les stocks diminuent en quantité ou en qualité ; et (3) lorsque l’accès aux ressources est inéquitable. Les tensions et conflits observés au Sahel représentent ainsi un champ d’étude privilégié pour examiner le lien entre environnement et sécurité.
Dans un article retentissant de 1991, Starr présentait une pénurie d’eau comme pouvant être à l’origine de guerres interétatiques futures. Chronologiquement, cette thèse, largement relayée par ailleurs, fut développée peu après l’explosion d’un conflit sanglant entre le Sénégal et la Mauritanie autour du fleuve Sénégal en 1989-1990. Ce conflit aurait pu être interprété comme une « guerre pour l’eau », un conflit appelé à se répéter à mesure que les ressources disponibles s’amenuisent. Mais plusieurs éléments contredisaient nettement cette possibilité. Premièrement, depuis les années 1970, Dakar et Nouakchott, ainsi que Bamako, avaient développé une coopération exemplaire pour gérer le cours d’eau dont ils partagent le bassin. Au sein de l’Organisation de mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) avait ainsi été mis en place un programme d’infrastructure commun ayant débouché sur la construction de deux barrages.
Deuxièmement, le conflit s’est largement polarisé autour d’oppositions ethniques entre populations maures et « négro-africaines » de Mauritanie avant de concerner l’accès à l’eau. Troisièmement, comme le souligne Kipping, l’intensification de la coopération des trois États a suivi des épisodes de pénurie (les grandes sécheresses de 1968-1973) tandis que le conflit a eu lieu après qu’un accroissement de l’eau d’irrigation disponible (grâce aux barrages) avait fait prendre de la valeur aux terres de la vallée du fleuve. Ce conflit, plutôt que d’être lié à l’eau, ou même à la pénurie d’une ressource particulière, tirait en fait ses racines d’un ensemble de tensions latentes présentes depuis des siècles dans la sous-région, notamment en termes de distribution des terres.
Les conflits localisés de faible ampleur se produisant entre et au sein des groupes socioprofessionnels sont plutôt illustrés par les omniprésentes tensions et explosions sporadiques de violence entre pasteurs nomades et agriculteurs sédentarisés dans le Sahel.
Ces conflits agropastoraux sahéliens peuvent donc apparaitre comme une illustration flagrante des « conflits environnementaux », c’est-à-dire des « conflits de pénurie », opposant certaines communautés ou franges d’une même population entre elles pour l’accès à des ressources essentielles dont la disponibilité, déjà limitée.
Les dégradations environnementales interagissent avec les conflits en tant que « facteurs aggravants », « démultiplicateur de menaces » ou « cause permissive ». Les conflits observés au Sahel démontrent également une relation non linéaire entre changements environnementaux et violence : si les variations dans la disponibilité des ressources de subsistance peuvent être corrélées avec l’apparition de violences politiques, c’est plutôt lorsque ces ressources sont abondantes que les conflits apparaissent, et non pas lorsqu’elles sont rares.
- Le Golfe de Guinée
Les politiques environnementales fournissent une zone de convergence entre diverses thématiques et différents acteurs, très utile dans l’optique d’une prévention des conflits ou de la construction de la paix.
Le Nigéria concentre la plupart des réserves et de la production pétrolière du Golfe de Guinée avec une production de 2,2 millions de barils par jour sur un total de 3 millions de barils par jour équivalents à environ 4% de la production mondiale. Au Nigéria, le pétrole représente 95% des recettes d’exportation, 40% du produit intérieur brut (PIB) et 80% des revenus de l’État. Il se conjugue à un taux de chômage de 25% et à un secteur privé dysfonctionnel pour former l’un des exemples les plus usités de « malédiction des ressources ». Dans la région productrice du delta du Niger, de nombreuses communautés sont confrontées, non seulement à une pauvreté endémique, mais également à une pollution d’une ampleur catastrophique.
Cette situation a généré la cristallisation au sein des populations du delta d’un sentiment de marginalisation économique et politique accentué par des considérations d’ordre identitaire ou encore générationnelle. Cette perception d’une richesse locale détournée par les élites du gouvernement central s’est progressivement transformée en contestation violente, d’autant plus que les régimes autoritaires qui se sont succédé après l’indépendance ont réagi vis-à-vis de ces doléances et revendications locales par des actions militaires violentes. Comme l’explique Luntumbue, l’enjeu principal du conflit opposant les groupes armés présents dans le delta du Niger aux autorités centrales concerne la répartition des revenus pétroliers.
D’après la Banque mondiale, cette situation de crise politique a largement contribué à la politisation des divisions ethniques et religieuses, qui sont devenues des lignes de fracture, instrumentalisées par les élites et autour desquelles s’exprime aujourd’hui une violence armée (dans le delta du Niger mais dans d’autres régions du pays également).
- La zone sénégambienne
Si les ressources naturelles ont acquis une grande visibilité dans les conflits de la sous-région du fleuve Mano et ceux du delta du Niger, d’autres situations de crise ne reflètent pas cette problématique avec la même acuité. Le conflit casamançais, bien que le plus ancien des conflits affectant la région d’Afrique de l’Ouest, est probablement aussi l’un des moins bien connus.
Les dégradations environnementales interagissent avec les conflits en tant que « facteurs aggravants », « démultiplicateur de menaces » ou « cause permissive »
Depuis 1982, le MFDC s’est structuré autour de diverses factions armées et d’un bras politique aux orientations et objectifs divergents, mais tendant tous vers la sécession de la Casamance. La gestion des ressources naturelles et les politiques environnementales peuvent, ici comme dans les cas empiriques examinés plus haut, fournir un point d’entrée à l’action de partenaires internationaux. Toutefois, le conflit casamançais rappelle également que cette intégration de la dimension environnementale est nécessaire mais non suffisante au succès d’un processus de prévention des conflits, ou de construction de la paix.
Le lien avec les ressources naturelles est fondamental puisqu’il considère le conflit de Casamance comme tirant ses racines « originelles » de la gestion de la production agricole du pays, héritée en partie de la période coloniale.
La superposition des héritages coloniaux et postcoloniaux aux facteurs géographiques, un déficit de gestion de l’État, un développement économique régional faible et des enjeux fonciers représentent quatre facteurs explicatifs de premier ordre dans le conflit casamançais. Une spéculation foncière qui dure depuis les années 1970 et la perception d’un accaparement des terres par les Sénégalais du Nord ainsi que par les Guinéens ont ainsi généré des tensions et des ressentiments au sein des populations de Casamance, plus attachées aux méthodes traditionnelles d’accès et d’exploitation des terres. Ces facteurs ont cependant été quelque peu dissimulés par des préoccupations d’ordre « ethnique », le factionnalisme caractérisant le MFDC, le rôle trouble que jouent les États voisins, ou encore les accusations de corruption ciblant de nombreux membres des MFDC… Les ressources naturelles, et leur gestion par les élites de Dakar, constituent surtout un ancrage parmi d’autres au discours particulariste casamançais qui y puise matériaux et sens.
Les ressources naturelles font ainsi partie dans le cas casamançais d’un argumentaire à visée politique en même temps qu’elles forment la base du tissu socio-économique local, un ancrage idéel à l’interprétation de l’histoire, et une source de revenus parmi d’autres pour les groupes armés.
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