Organisation affiliée : Coalition citoyenne pour le Sahel
La Coalition citoyenne pour le Sahel est une alliance informelle de plusieurs dizaines d’organisations de la société civile sahélienne et ouest africaine, soutenues par des ONG internationales, dont l’objectif est de convaincre les gouvernements d’adopter une nouvelle approche au Sahel qui permette de mieux protéger les populations civiles. La Coalition citoyenne a été lancée en juillet 2020, avec la publication des Piliers citoyens, les quatre priorités qui devraient orienter toute réponse à la crise au Sahel.
Date de publication : Juin 2022
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Site de l’organisation : Coalition citoyenne pour le Sahel
L’année 2021 est caractérisée par de nombreux bouleversements politiques dans le Sahel central, à savoir l’enchaînement des gouvernements de transition au Mali, le coup d’État au Burkina Faso, le redéploiement des forces Barkhane et Takuba du Mali vers le Niger, la suspension des activités de formation de l’Union européenne et la complexification et multiplication des forces armées impliquées. Ceci implique nécessairement de s’interroger sur le sort des civils devant une situation sécuritaire qui ne semble pas s’améliorer. WATHI a choisi ce document car il évoque des aspects moins médiatisés que les changements politico-militaires des derniers mois, mais tout autant important : l’importance d’investir dans la consolidation de la paix, la fourniture des services de base, l’accès à la justice et la refondation de la gouvernance, qui vont de pair avec le respect des droits fondamentaux des populations. La Coalition citoyenne pour le Sahel, dont WATHI fait partie, s’engage à proposer des solutions concrètes et centrées sur le bien-être des populations civiles à la crise sahélienne. Dans un contexte de forte militarisation de la zone, ponctuée par la récente implication financière et militaire des autorités saoudiennes, émiraties, turques, et l’arrivée supposée de forces russes appartenant au groupe para-militaire Wagner, le conflit semble évoluer vers une stratégie du « tout-sécuritaire ». Pourtant, force est de constater que la lourde présence de Forces de défense et de sécurité (FDS) ne réduit pas, bien au contraire, les massacres civils. Selon la Coalition citoyenne, ces massacres auraient même augmenté entre 2020 et 2021. WATHI soutient donc l’initiative visant à recentrer la protection des populations locales avec une concentration particulière sur les groupes les plus vulnérables au centre de la réflexion autour de la résolution du conflit, notamment en termes de dialogues politiques et de lutte contre l’impunité. À travers l’utilisation d’indicateurs chiffrés permettant de mettre en évidence la crise institutionnelle, politique, sociale et humanitaire, ce rapport vise à sensibiliser les décideurs politiques sahéliens et leurs partenaires internationaux à entreprendre des actions plus courageuses et à cesser de favoriser à l’envi l’option militaire.
La Coalition citoyenne pour le Sahel formule des recommandations organisées en quatre piliers, à savoir : la protection des civils, les urgences humanitaires, le dialogue politique et l’impunité zéro. Sur la base de données chiffrées, elle recommande notamment de :
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Pilier 1 : Placer la protection des civils au cœur de la réponse à la crise au Sahel
Nombre d’attaques contre les civils
Chaque jour, 8 civils ont été tués en moyenne entre avril 2021 et mars 2022 dans des exactions au Sahel central. 2901 civils ont été tués au Mali, au Niger et au Burkina Faso pendant cette période, en hausse de 18% par rapport à l’année 2020.
Le nombre de civils tués dans des attaques attribuées à des groupes armés dits extrémistes a quasiment doublé depuis 2020. Les groupes armés étaient responsables de 58% des morts de civils entre avril 2021 et mars 2022, contre 35% en 2020.
Malgré une tendance à la baisse des exactions des Forces de défense et de sécurité (FDS), les forces militaires déployées dans la région restent cependant soupçonnées d’être responsables de 27% des morts civils entre avril 2021 et mars 2022. Malgré de brèves mentions relatives à la protection des populations, l’essentiel des communications des FDS consiste à recenser le nombre de « terroristes neutralisés » et à recenser les armes et moyens de communication saisis.
Comment améliorer la situation ?
Aux autorités sahéliennes et à leurs partenaires internationaux :
- Placer la protection des populations civiles et de leurs biens au cœur de leurs opérations et de leurs stratégies nationales de sécurité ;
- Assurer une collecte de données fiables de l’impact des violences armées sur les civils blessés et tués, désagrégées par âge, genre et handicap ;
- Créer, au sein des parlements des trois pays du centre du Sahel, une commission parlementaire dédiée à la protection des civils, afin d’évaluer les progrès réalisés par les gouvernements.
Mécanisme de suivi des dommages causés aux civils
Depuis avril 2021, aucune des forces présentes au Sahel n’a établi de nouveau mécanisme de suivi des dommages causés aux civils sur le modèle du MISAD (Mécanisme d’identification, de suivi et d’analyse des dommages aux civils) de la Force conjointe du G5 Sahel (FC-G5S), composée de contingents des différents pays sahéliens. Cela s’explique par une absence de volonté politique de la part d’autorités qui n’ont pas adopté de stratégie globale de protection des civils. Par ailleurs, le manque de donnée fiables sur les dommages causés aux civils ne permet pas d’en mesurer les conséquences et donc de prendre des mesures pour les prévenir et en atténuer les effets.
Le nombre de civils tués dans des attaques attribuées à des groupes armés dits extrémistes a quasiment doublé depuis 2020. Les groupes armés étaient responsables de 58% des morts de civils entre avril 2021 et mars 2022, contre 35% en 2020
Comment améliorer la situation ?
Aux armées sahéliennes du Burkina Faso, du Mali et du Niger :
- Adopter des mécanismes de dédommagement pour les incidents impliquant les civils dans la conduite des opérations militaires ;
- Assurer une compréhension, à tous les niveaux de la chaîne de commandement, des responsabilités des forces de défense et de sécurité et de leur rôle dans la protection des civils ;
- Permettre aux Commissions nationales des droits de l’Homme, institutions garantes de l’État de droit, d’exercer pleinement, en toute indépendance, le rôle de surveillance des FDS.
Pilier 2 : Appuyer des stratégies politiques pour résoudre la crise de gouvernance au Sahel
Dialogue avec tous les acteurs de la crise
Au Burkina Faso, au Mali comme au Niger, les autorités ont clairement réaffirmé leur priorité à l’option militaire pour faire face à l’insécurité endémique et à la progression des groupes dits extrémistes. Cependant, la négociation et le dialogue comme solution politique à la crise sont de plus en en plus sérieusement envisagés comme une option complémentaire, voire indissociable de l’intervention armée.
Au Mali, si des négociations précédentes entre chefs de communautés, insurgés et milices ont débouché sur plusieurs cessez-le-feu locaux, aucune avancée majeure n’a jusqu’ici permis des négociations de haut niveau, déplore International Crisis Group. Comme au Mali voisin, certaines communautés du Burkina Faso ont tenté ou se sont vues dans l’obligation, face à la recrudescence des attaques toute l’année 2021, de dialoguer localement avec des groupes armés.
Comment améliorer la situation ?
Aux gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger :
- Poursuivre la politique de soutien aux initiatives locales de règlement des conflits amorcée au Niger et au Burkina Faso, en lui donnant un cadre national cohérent ;
- Apporter des garanties de protection aux responsables communautaires engagés dans le dialogue avec les groupes armé
A l’Union africaine de :
- Confier à la Mission de l’Union africaine pour le Mali et le Sahel (MISAHEL) la mission d’accompagner et de soutenir les efforts des États sahéliens en faveur de solutions négociées à la crise, dans la lignée de l’initiative continentale « Faire taire les armes », en aidant à les inscrire dans une approche ré
Transparence dans les budgets de la défense
La lutte contre la corruption a été érigée en priorité par les autorités des trois pays du Sahel central, les enquêtes sur des détournements de fonds ont progressé, le rôle des autorités administratives indépendantes de contrôle a été réaffirmé et des audits ont été annoncés. Cependant, le risque d’instrumentalisation de procédures judiciaires a été constaté dans les trois pays.
Comment améliorer la situation ?
Aux gouvernements sahéliens :
- Permettre à la justice d’établir de manière impartiale et indépendante les responsabilités pour les détournements dans le secteur de la défense et de sanctionner les contrevenants avéré
- Appliquer de manière stricte au secteur de la défense et de la sécurité les principes de gestion des dépenses publiques internationalement reconnus, à savoir : la discipline, la transparence, la responsabilité, la prévisibilité et la contestabilité.
- Accroître les moyens des services d’inspection internes des armées du Burkina Faso, du Mali et du Niger.
Pilier 3 : Répondre aux urgences humanitaires
14,7 millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire d’urgence, soit près de 20% de la population des trois pays, en hausse par rapport à fin 2020. 9,6 millions de personnes sont menacées d’être en situation de crise alimentaire pendant la période de soudure (juin-août 2022), soit 14% des 68 millions d’habitants du Sahel central.
Financement humanitaire
Fin 2021, les besoins humanitaires pour le Burkina Faso, le Mali et le Niger (1,7 milliard de dollars) n’étaient financés en moyenne qu’à 43%, contre 61% fin 2020 (pour des besoins évalués à 1,4 milliard de dollars).
En 2021, les ONG nationales et locales n’ont reçu qu’une infime portion des financements humanitaires dans les trois pays du Sahel central (0,4%, contre 0% l’année précédente), 21% ont été versés directement aux ONG internationales (contre 22% en 2020) et l’immense majorité des financements a continué à transiter par les agences onusiennes.
La lutte contre la corruption a été érigée en priorité par les autorités des trois pays du Sahel central, les enquêtes sur des détournements de fonds ont progressé, le rôle des autorités administratives indépendantes de contrôle a été réaffirmé et des audits ont été annoncés. Cependant, le risque d’instrumentalisation de procédures judiciaires a été constaté dans les trois pays
Comment améliorer la situation ?
Aux bailleurs :
- Financer au moins 80% des Plans de réponse humanitaire d’ici décembre 2022, sans détourner l’attention portée au Sahel en raison d’autres crises.
- Veiller à une coordination renforcée et régulière entre bailleurs humanitaires pour s’assurer qu’aucun secteur essentiel de l’urgence ne soit financé à moins de 40% d’ici décembre 2022.
Assurer l’accès humanitaire
Les espaces de dialogue et de coordination entre humanitaires, autorités politiques et forces militaires nationales ou internationales se sont globalement renforcés, mais de gros progrès restent à faire au niveau décentralisé. En lien avec les régulations anti-terroristes en vigueur au Burkina Faso et au Niger, les garanties pour les humanitaires de pouvoir négocier leur accès avec les groupes armés, en application des principes humanitaires, restent floues.
Comment améliorer la situation ?
Aux autorités politiques et militaires, aux États donateurs et à la communauté humanitaire :
- Continuer à renforcer les mécanismes de coordination civilo-militaire, à travers : la mise à disposition de personnel dédié et formé; une participation à un haut niveau décisionnel de l’ensemble des forces militaires en présence sur le territoire (y compris les forces étrangères) ; la mise à l’agenda systématique, pour les coordinations en capitale, de sujets stratégiques ;
Aux États du Sahel Central et aux États donateurs :
- Démontrer une volonté politique de permettre aux humanitaires de négocier l’accès humanitaire avec toutes les parties aux conflits, notamment en application du droit international humanitaire.
Pillier 4 : Lutter contre l’impunité
Tolérance zéro pour les violations de droits humains commises par les forces de défense et de sécurité
L’impunité pour les violations graves perpétrées par les forces de défense et de sécurité (FDS) continue à prévaloir, minant la confiance des populations dans leurs institutions.
La justice militaire burkinabè a peu progressé dans les enquêtes sur les crimes graves attribués aux forces de défense et de sécurité. Deux ans après la découverte de 200 corps dans des fosses communes autour de Djibo, aucun des responsables n’a encore été jugé.
Des allégations de graves violations des droits humains ont visé des forces russes présentes aux côtés des forces armées maliennes lors d’opérations militaires, notamment à Moura en mars 2022. En l’absence d’information précise sur le statut de ces forces, il est difficile d’établir leur responsabilité en cas d’incidents contre des civils.
Comment améliorer la situation ?
Aux gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger:
- Rendre public le résultat des nombreuses enquêtes sur des allégations d’exactions impliquant des FDS ou des forces étrangères ;
- Renforcer les capacités et les moyens des Commissions nationales des droits de l’Homme (CNDH) pour leur permettre de mener des enquêtes efficaces en toute indépendance sur les exactions commises par tous les acteurs, y compris les FDS et les groupes d’autodé
Renforcement des capacités et des ressources des systèmes judiciaires
Des pôles judiciaires spécialisés dans la lutte contre le terrorisme (PJS) ont été créés au Mali en 2013 (avec une compétence étendue en 2019 aux crimes de droit international), au Burkina Faso en 2017 (mais n’a tenu son premier procès qu’en 2021) et au Niger en 2011. Ils sont en sous-effectif chronique. Aux problèmes d’effectifs, s’ajoutent des contraintes d’accès au terrain d’enquête.
Au Mali, de nombreux «terroristes» présumés arrêtés pendant des opérations militaires échappent au circuit judiciaire légal et sont détenus illégalement dans les locaux de la Direction générale de la sûreté d’État (DGSE) – rebaptisée Agence nationale de la sécurité d’État en octobre 2021 –, parfois pendant plusieurs années selon Amnesty International.
Des allégations de graves violations des droits humains ont visé des forces russes présentes aux côtés des forces armées maliennes lors d’opérations militaires, notamment à Moura en mars 2022. En l’absence d’information précise sur le statut de ces forces, il est difficile d’établir leur responsabilité en cas d’incidents contre des civils
Comment améliorer la situation ?
Aux gouvernements du Burkina Faso, du Mali et du Niger :
- Doter suffisamment les ministères de la justice en équipement et ressources, y compris humaines, en tenant compte de la dimension genre, afin que les procureurs et les officiers de police judiciaire puissent enquêter efficacement et poursuivre équitablement les auteurs d’
- Circonscrire la compétence des tribunaux militaires à des infractions de nature purement militaire, en excluant de leur champ de compétence les crimes commis par des militaires contre des civils, qui devraient relever des pôles judiciaires spécialisés
- Mettre en place des mesures de protection des témoins, survivants et défenseurs des droits humains, pour encourager leur participation aux enquêtes et aux procès, notamment une assistance judiciaire.
Source photo : squarespace.com