La perception de la place de la jeune femme dans notre société “J’ai été activiste dans une association de jeunes femmes qui voulaient coûte que coûte être plus considérées dans la société lébou. Je suis lébou donc c’était un peu normal que j’adhère à cette cause. C’était très difficile pour nous de nous imposer en tant que jeunes femmes dans la société parce qu’ici, on nous informe que nous devons tout le temps rester à la maison. On ne devait pas travailler. Donc maintenant, la tendance a commencé à changer et ils ont pris conscience que le développement, local surtout, reposait sur les jeunes femmes. Ils ont commencé à créer des mécanismes d’accompagnement dans les quartiers pour pouvoir donner plus de voix à ces jeunes femmes. Et sachant aussi que le taux de scolarisation a un peu baissé dans la zone, ils ont essayé de récupérer ces personnes qui ont quitté l’école pour les accompagner.” Les débuts dans l’entreprenariat “Je me suis lancée à la fin de l’année 2019. Je venais de quitter mon travail de mon propre gré parce que cela ne me correspondait plus. Je n’arrivais pas à avoir une vie sociale normale et avec les études, ce n’était pas du tout évident. Donc, il fallait que je réorganise un peu ma vie professionnelle et ma vie sociale. Au début, c’était très, très difficile de savoir sur quoi entreprendre. J’avais fait des études en gestion de projets, donc j’avais pas mal d’idées, seulement l’idée ne suffisait pas. Il fallait plusieurs paramètres pour que cela puisse se concrétiser. Donc il fallait vraiment avoir du temps pour soi, essayer de penser carrément sur les points à l’aide desquels je pouvais entamer le projet.” L’accès aux mécanismes de financement “Personnellement, depuis le début du projet, c’est avec des fonds propres que je travaille. Certes, il y a des mécanismes de financement qui existent, bien sûr, j’ai travaillé avec deux structures qui les mettent en place, mais malheureusement, l’accessibilité n’est pas aussi facile. Parce que, les projets qu’on finance le plus, ce sont des projets déterminés, selon eux, banquables sur une courte période, c’est-à-dire que les bénéfices sortiront à partir des mois suivants. Alors que pour mon projet, il faut attendre vraiment au moins une année pour pouvoir faire des bénéfices considérables. Au début, je l’ai proposé à une structure de financement et ils m’ont dit carrément qu’ils n’avaient pas confiance au projet, sans détour. Alors j’en ai parlé autour de moi, à un ami particulièrement et c’est lui-même qui, au début finançait mon projet. Maintenant, avec les bénéfices que je fais, j’arrive à gérer mon stockage.” Les difficultés au-delà du financement “L’une des difficultés pour moi est le benchmarking ; pouvoir m’adapter au prix du marché, ensuite pouvoir déterminer ma cible. C’est très difficile parce que je veux vendre des produits de qualité à des prix abordables, selon moi. Il y a plusieurs motivations derrière chaque entrepreneur, il y en a qui veulent coute que coute faire du profit, il y en a qui mettent en avant la qualité. Ce qui est sûr, c’est que la majorité cherche le profit d’abord avant la qualité. Ce n’est pas le cas de tout le monde bien sûr. Mais moi, par exemple, je le vis très difficilement parce que si je vends un produit à un prix moindre, il y a certainement une autre personne qui va venir dire que c’est parce que ce n’est pas de la bonne qualité. Alors que c’est le même produit que l’autre vend, mais à un prix exorbitant. Donc cette personne a plus de popularité vis à vis de la clientèle et on cherche les mêmes clients. Le marché est structuré de sorte que si tes prix sont plus accessibles, la qualité de ta marchandise est souvent remise en question. Pourtant, j’ai la même qualité que ceux qui vendent plus cher, juste que je ne cherche pas un profit énorme. C’est difficile pour moi, dans ces situations, d’écouler ma marchandise. Ensuite, il y a des personnes au début qui me disaient : « comment est-ce que tu peux vendre du maquillage ? Parce que ce n’est pas toi, tu as fait des études, tu as un master, etc. » Comme si avoir un master veut dire que je devais aller travailler dans un bureau, avoir un travail de bureau, être cadre dans une société etc. Donc, il y a eu des personnes qui ont indexé ce que je faisais, tout simplement parce qu’elles pensaient que c’était dégradant par rapport à ma formation et mon parcours scolaire. Je ne peux pas dire que ces personnes réagissent de la sorte car elles me souhaitent mieux. Avec mon activité j’arrive à gérer des choses que je ne pouvais pas gérer quand je travaillais dans une structure bien organisée, etc. J’avais un travail impeccable, mais je n’arrivais pas à me gérer comme maintenant. Ces personnes peuvent en témoigner. Je pense que c’est juste de la méchanceté gratuite et parfois cela fait très mal. Cela fait très mal de voir qu’on n’apprécie pas ce que tu fais à sa juste valeur, tout simplement pour des préjugés.” Le besoin de rendre plus accessibles les financements, de former et d’accompagner toutes les catégories de femmes “Il ne faudrait pas avoir, par exemple, des critères sur le type de projet. Tout projet qui peut créer des profits sur le long terme ou le moyen terme ou court terme est un bon projet. Il ne faudrait pas que les structures de financement se limitent juste au fait qu’il faut faire tourner la structure. Il faudrait aussi qu’elles pensent à mettre en place un accompagnement continu sur l’élaboration du projet jusqu’à son aboutissement. Les structures ont tendance, au moment de déposer un projet, au lieu de peut-être écouter présenter le projet, de savoir peut être ce qui a manqué au projet, de rejeter de facto ton dossier, sans pour autant prendre le temps de connaître les réelles motivations derrière. Ce n’est pas tout le monde qui sait utiliser des stratégies ou faire l’analyse financière. Il y a des personnes qui ne pourront pas déterminer à quel moment elles vont récupérer leur investissement etc. Donc, je pense que le mécanisme de suivi doit être mis sur place et devra être beaucoup plus souples. Les structures doivent privilégier les femmes dans leurs mécanismes de financement parce qu’elles assurent carrément leurs projets. Pour les femmes moins instruites, il faudra les former à de véritables métiers qui pourront les laisser indépendantes à la fin de la formation et aussi leur permettre de faire des métiers qui leur permettront d’être indépendantes financièrement. J’ai donné tout à l’heure l’exemple des femmes à Yoff qui ont commencé à s’activer dans les céréales. Elles ont commencé dans la transformation, ensuite, elles sont en train de vendre et vendent en grandes quantités chaque semaine pratiquement. Ce genre d’initiative portée par le Fonds d’aide et de développement de la ville de Dakar sont à maintenir et à multiplier. Si les femmes sont indépendantes financièrement, elles pourront ainsi mieux participer au développement local.” Messages aux jeunes femmes “Je leur dirais de croire et de suivre leur passion. La passion, c’est vraiment important parce que, c’est ce qui détermine vraiment la motivation. On peut beau faire une formation, faire de grandes études, et se retrouver malheureux dans ce qu’on est en train de faire. Donc, autant aller vers ce qui nous rend heureux et le faire bien surtout, et essayer de vraiment se donner au maximum et surtout de ne pas laisser les gens nous décourager. Parce que cela aurait été le cas, plusieurs d’entre nous n’auraient pas réussi dans ce que nous faisons. Donc croyez en vos rêves et faites les bien.”
Il a fallu que je reste au moins cinq mois au chômage avant de me lancer concrètement, le temps de savoir exactement sur quoi j’allais entreprendre.
Yaye Anta a suivi une formation en droit des affaires et gestion de projets à l’Institut supérieur de management de Dakar. Elle a eu à travailler avec le Fonds d’aide et de développement de la ville de Dakar, aujourd’hui, elle accompagne des petites et moyennes entreprises dans l’élaboration de leurs projets. Elle est également entrepreneure.