Auteur : Mme Robertine DENODJI, Dr Koly FALL, Mme Bintou Rassouloulah AW, Mr Pathé DIAKHATE, Mme Mame Diarra Bousso NDIAYE, Mme Binta DIEDHIOU, Pre Rokhaya CISSÉ, Pr Abdou Salam FALL
Organisations affiliées : Forum for African Women Educationalists (FAWE), Institut Fondamental d’Afrique Noire (IFAN) – Cheikh Anta Diop
Type de publication : Rapport
Date : Janvier 2024
Lien vers le document original
Introduction
La scolarisation des filles au Tchad reste un défi central en termes d’équité (accès, achèvement, participation aux filières scientifiques et technique) et les ressources manquent pour pouvoir étendre les interventions porteuses de changement mises en œuvre dans certains programmes et projets.
Il est identifié en premier lieu des problématiques socioculturelles relatives au statut de la femme : croyances et rites d’initiation discriminatoires, mariages précoces et forcés et grossesses non désirées, excision, surcharge des tâches domestiques et champêtre, ignorance des potentialités des filles à l’école, la faible éducation sexuelle des filles et les tabous autour de l’hygiène menstruelle, etc.
Ensuite des facteurs économiques viennent contraindre les choix des familles et les capacités d’actions du Ministère : pauvreté des familles et pratiques du travail des enfants et donc, coûts directs et d’opportunité de la scolarisation des filles liés à la faiblesse des budgets alloués à la promotion de l’éducation des filles.
Enfin, en plus des contraintes financières, des difficultés liées aux facteurs éducatifs et institutionnels sont observées : faiblesse du système éducatif en termes de couverture, de qualité et de conditions d’accueil (hygiène, toilettes séparées, convivialité, écoute, orientation), les attitudes négatives des enseignants (es) vis-à-vis des élèves-filles, la sous-représentation des femmes dans les établissements éducatifs et universitaires ou encore le manque de structures d’encadrement de la petite enfance.
Présentation des résultats de l’étude
- Travaux domestiques
Tous les garçons et toutes les filles du primaire effectuent des tâches domestiques. Au collège, 90,5 % des garçons et 100 % des filles. Au secondaire, 75,3% des garçons et 83,6 % des filles. Il est à noter que tous les élèves effectuent des tâches domestiques et presque toutes les filles effectuent des tâches domestiques de l’ordre de 93,6 % contre 85,3% des garçons. Cela montre une légère différence des charges domestiques entre les filles et les garçons. Toutefois, ces résultats cachent des disparités entre les filles et les garçons. Les filles travaillent tous les jours alors que les garçons travaillent les week-ends ou les jours de congés.
La prise de conscience progressive des parents pour la scolarisation des enfants et particulièrement les filles les amène à vouloir alléger les tâches domestiques pour permettre aux filles de mieux apprendre. Ainsi, 68,2 % des filles et 31 % des garçons effectuent chaque jour des tâches domestiques.
Les données relèvent clairement que la répartition des tâches se fait par sexe. Il y a des tâches réservées uniquement aux filles telles que le ménage, la vaisselle et la cuisine quand bien que quelques garçons s’y intéressent. Les garçons s’intéressent beaucoup plus au linge et aux courses domestiques. Ces deux derniers points sont partagés aussi par les filles. Les garçons particulièrement exécutent d’autres tâches telles que le jardinage, l’arrosage des plantes, laver les motos et véhicules.
Les garçons consacrent au minimum une heure et au maximum sept heures pour les tâches domestiques. En moyenne, ils consacrent 2,5 heures pour les tâches domestiques. Les filles quant à elles consacrent au minimum 1 heure comme les garçons mais peuvent travailler au maximum pour 9 heures de temps par jour et en moyenne 2,7 heures. On retient de cette analyse que les filles consacrent un peu plus de temps que les garçons aux tâches domestiques.
Le nombre d’heures élevé impacte directement sur les résultats scolaires des filles. Cela occasionne des retards répétés qui débouchent sur une baisse des performances scolaires pouvant entraîner le découragement, le manque de confiance en soi et le décrochage.
- Environnement scolaire
Dans l’ensemble, 18,5% des enquêtés habitent très loin de leurs établissements contre 6,7% qui habitent très proche de l’école. Cette tendance est légèrement plus élevée chez les filles. En effet, 17,8% des garçons habitent très loin et 19,1% des filles habitent très loin de leurs établissements.
La disposition des tables bancs est souvent mélangée. Les filles et les garçons restent ensemble à 81,3% dans les établissements. Il faut noter que quelques établissements (18,7%) disposent encore de tables-bancs séparés car les élèves sont réticents ou l’établissement n’a pas opté pour le mélange.
Quelques fois ce sont les parents qui ne veulent pas que les filles restent à côté des garçons. C’est l’une des causes de la non scolarisation de beaucoup de filles.
- Hygiène et sécurité dans l’espace scolaire
Dans l’ensemble, une grande proportion soit 63,6 % des élèves dont 100 % au primaire, 60,5% au collège et 63, 3 % au secondaire interrogés déclarent que les toilettes des filles sont séparées de celle des garçons dans leur école.
Quand les toilettes sont adaptées et propres, beaucoup d’élèves peuvent en faire usage. En effet, selon les élèves, le manque de propreté est cité comme principale raison de la non-utilisation des toilettes par les élèves dans les écoles (68,2% dont 63,4% chez les filles et 78,6% chez les garçons).
Globalement, plus de sept filles enquêtées sur dix (72,3%) ne viennent pas à l’école durant leurs menstrues. Ainsi, cette situation est mise en relief avec l’absence de dispositif ou d’hygiène dans les toilettes.
Or, pendant que ces filles sont absentes, les autres élèves continuent à suivre les cours et à dérouler le programme scolaire avec leurs enseignant.e.s, ce qui peut renforcer les inégalités, surtout que des cours de rattrapage ne sont pas organisés à l’endroit de ces filles.
La faible sensibilité face à la situation des filles en période de menstrues met en évidence la persistance de violences basées sur le genre dans l’espace scolaire tchadien.
Il faut noter que les violences sur les filles scolarisées ne se produisent pas seulement au sein de l’école. Lorsqu’elles sortent de l’école, certaines filles sont vulnérables et sont victimes de personnes souvent plus âgées qu’elles.
Dans un autre registre, certaines filles sont exposées à la prostitution avec la complicité d’un de leur parent comme le note l’enquêté ci-dessous.
- Accès et maintien des enfants à l’école
La pauvreté des parents (manque de moyens financiers) et le coût élevé de la scolarité est l’une des principales difficultés pour l’accès des filles à l’école au Tchad. C’est pourquoi la Loi 16 de la Constitution portant orientations du système éducatif parle de la gratuité de l’école. Le primaire et le fondamental doivent être obligatoires. Or, ces dispositions peinent à être appliquées. Ainsi, face à l’incapacité de couvrir les charges relatives à l’éducation de leurs enfants, certains parents décident de retirer leurs filles de l’école comme on le note dans les propos ci-dessous.
En plus des barrières économiques, les croyances socioculturelles semblent avoir un effet sur le choix de scolariser ou non les filles.
En réalité, la réticence des membres de la famille à scolariser les filles au lycée traduit leur volonté de ne pas laisser celles-ci poursuivre les études, mais plutôt de comment se préparer à la vie conjugale.
- Perceptions sur les effets des normes sociales de genre et l’éducation des filles
Dans la même perspective, la majorité des acteurs déclarent que le rôle de la femme dans la communauté doit évoluer pour occuper des postes de responsabilité. Ainsi, selon cet élève, la marginalisation des femmes dans la société est due à l’ignorance ou l’inconscience du rôle qu’elle doit effectivement occuper.
Cette marginalisation est foncièrement ancrée et se transmet dès le plus jeune âge des filles. Ainsi par exemple, 54% des filles pensent que les tâches ménagères leur sont réservées contre seulement 26,7% chez les garçons. Cette tendance est plus visible au niveau primaire où 71,4% des filles pensent que les tâches domestiques sont uniquement réservées leurs sont réservées contre 33,3 % des garçons. Au collège, 20% des garçons et 58,6% des filles affirment que les tâches domestiques sont uniquement réservées aux filles tandis que ces proportions sont respectivement de 35,3% et 44,4% au lycée.
En définitive, ce sont 41,2% des garçons et 39,1% des filles qui estiment dans l’ensemble que les pratiques culturelles ancrées dans leur communauté entravent le succès scolaire des filles.
Facteurs favorables au changement de comportement
En plus de la participation dans les clubs d’autonomisation, l’occupation des postes de responsabilité figure parmi les facteurs favorables à l’éducation des filles. En effet, dans l’ensemble, plus de trois parents enquêtés sur quatre (76,3%) estiment que les filles doivent occuper des postes de responsabilité à l’école pour promouvoir leur leadership en vue de leur succès à l’école.
Résistances au changement de comportement
Dans cette catégorie, on peut citer la persistance des barrières socioculturelles. Foncièrement ancrées, ces dernières plombent les efforts dans ce domaine. Ainsi, plusieurs acteurs, notamment des élèves, estiment qu’une fille doit être envoyée en mariage très tôt pour éviter de prendre une grossesse indésirée qui ferait honte à sa famille.
Les mariages précoces et leurs corollaires sont quelquefois favorisés par la pauvreté des ménages et les conditions de vie difficiles.
En définitive, il apparaît que les principaux facteurs de résistance et les barrières liées à la scolarisation et la réussite des filles s’articulent autour des croyances religieuses, aux normes sociales de genre et la pauvreté.
Recommandations
Pour une prise en compte du genre en milieu scolaire :
- Renforcer les campagnes de sensibilisation en vue de déconstruire les barrières liées à l’éducation des filles,
- Former les enseignants à la pédagogie sensible au genre et à l’incitation des filles en particulier,
- Renforcer les équipements sensibles au genre dans les établissements scolaires en les dotant de matériels d’apprentissage adaptés et de ressources humaines qualifiées et sensibilisées sur l’éducation des filles,
- Réviser les manuels d’apprentissage en promouvant des images positives des femmes,
- Construire des infrastructures, clôture, salles de classe, salle à cycle complet, laboratoire, de l’eau potable, les toilettes
- Encourager les filles à rester à l’école en satisfaisant leurs besoins de 1èreS nécessités ;
- Impulser un cadre de concertation de l’ensemble des acteurs de la communauté (parents, responsables de l’éducation, leaders de la communauté…).
- Appliquer les 30% des femmes dans les fonctions électives et nominatives ;
Pour un changement de comportement en faveur de l’éducation des filles,
- Améliorer les cadre juridique et réglementaire pour la promotion de l’éducation des filles,
- Améliorer la carte scolaire nationale et réduire les coûts de la scolarité, en particulier dans les écoles publiques,
- Multiplier les campagnes de communication et de sensibilisation à travers des outils de communication adaptés et mettant en avant les bonnes pratiques en matière d’éducation des filles,
- Créer un cadre de concertation et de contrôle des actions menées dans le cadre de la scolarisation des filles,
- Promouvoir les femmes à des postes décisionnels afin de susciter un plus grand intérêt chez les filles,
- Renforcer et sécuriser le financement en faveur du genre et de l’éducation des filles,
- Capitaliser et partager les bonnes pratiques en matière d’éducation des filles et de prise en compte du genre,
- Primer/récompenser les meilleur filles (kits scolaires, bourses d’études, distinctions) afin de susciter un intérêt manifeste de la communauté en faveur de l’éducation de filles,
Pour une mise à l’échelle des programmes d’appui à l’éducation des filles et à la prise en compte du genre en milieu scolaire :
- Produire des évidences et des données probantes et partager régulièrement les bonnes pratiques en matière d’éducation des filles,
- Stabiliser et institutionnaliser la pédagogie sensible au genre et sécurise les sources de financement,
- Améliorer l’environnement d’apprentissage des filles en construisant des infrastructures prenant en compte leur conditions sexo-spécifiques. Ces infrastructures devront être adaptées aux élèves en situation de handicap.