Organisation affiliée : Banque mondiale
Type de publication : Rapport d’enquête
Date de publication : 2023
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Au Tchad, la mauvaise qualité de la prestation de services d’enseignement primaire est l’un des principaux facteurs qui contribuent aux mauvais résultats du pays en matière de capital humain. A l’indice du capital humain (ICH) 2020, le Tchad se classe bien en dessous de la moyenne de 0,40 de l’ensemble de l’Afrique subsaharienne. La performance du pays signifie qu’un enfant tchadien né aujourd’hui ne peut espérer réaliser que 30% du potentiel qu’il aurait pu atteindre s’il avait bénéficié d’une scolarité complète et de qualité, ainsi que de conditions de santé optimales. Dans le domaine de l’éducation, même si l’enfant tchadien moyen effectue 5,3 années de scolarité, la mauvaise qualité de l’éducation reçue fait que ce nombre n’équivaut qu’à 2,8 années de scolarité lorsqu’il est ajusté du facteur « apprentissage » (3,4 pour les garçons et 2,3 pour les filles). Ces faibles niveaux d’apprentissage sont mis en évidence dans l’évaluation 2019 menée par le Programme d’analyse des systèmes éducatifs (PASEC) en Afrique francophone. Parmi les 14 pays participant au PASEC, le Tchad présentait la plus faible proportion d’élèves en 6ème année d’études atteignant le niveau minimal de compétence en langues et en mathématiques.
Apports de l’enseignant
Les taux moyens d’absence des enseignants de l’école et de la salle de classe sont très élevés, en particulier dans les écoles publiques, avec environ 1 enseignant sur 4 (29,4%) ne se trouvant pas dans l’enceinte de l’école et plus de 1 enseignant sur 3 (35,4%) ne se trouvant pas dans la salle de classe au moment d’une visite inopinée.
En milieu rural, le taux d’absence des enseignants de la salle de classe atteint 38,3%, soit près de 2 enseignants sur 5 absents dans la salle de classe au moment de la visite inopinée. Dans les écoles primaires privées, les taux d’absence des enseignants de l’école et de la salle de classe s’élèvent respectivement à 12,3% et 17,0%.
Les taux d’absence de l’école et de la salle de classe sont nettement plus élevés chez les enseignants publics que chez les maîtres communautaires subventionnés et non subventionnés, soit supérieurs de 12 et 13% respectivement. On note également que la probabilité d’absence de la salle de classe chez les enseignants titulaires d’un Certificat d’aptitude professionnelle (CAP) était inférieure d’environ 13% à celle des enseignants qui n’avaient pas de formation pédagogique, tandis que la probabilité d’absence de l’école chez les enseignants titulaires d’un Diplôme d’enseignement arabe (DENA) et ayant reçu une formation professionnelle était inférieure d’environ 17%.
Il semblerait que les taux d’absence des enseignants sont essentiellement liés à des problèmes de gestion des écoles, notamment le manque de redevabilité au sein de l’école. Dans les écoles où les directeurs eux-mêmes sont absents, les enseignants sont presque 6 fois plus susceptibles d’être absents de l’école, avec un taux d’absence des enseignants qui, partant de 14% lorsque les directeurs sont dans l’enceinte de l’école, s’envole jusqu’à 82% lorsqu’ils ne le sont pas. En outre, les retards de paiement des salaires sont associés à une plus grande probabilité d’absence des enseignants concernés par ce problème (14% de plus pour l’absence de l’école et 12% de plus pour l’absence de la salle de classe).
Les absences des enseignants et des directeurs d’école réduisent considérablement le temps d’enseignement effectif dont les élèves bénéficient. Ces absences des enseignants, conjuguées au peu de temps consacré à l’enseignement à proprement parler en classe font que le temps d’enseignement effectif par jour dont les élèves du CM1 des écoles publiques bénéficie n’est que de 2 heures 37 minutes, soit 43% de moins que le temps d’enseignement officiellement prévu. Cette forte réduction du temps d’enseignement liée aux absences indique qu’il faudrait renforcer la redevabilité des enseignants et des directeurs d’école pour résoudre ce problème, y compris par le biais de mécanismes d’incitation et de supervision.
Le niveau moyen de connaissances des matières des enseignants est faible en langues et en mathématiques. Ainsi, aucun des enseignants de l’échantillon qui ont pris part au test de langue (français ou arabe) n’a obtenu le score de 80% qui correspond au seuil indicateur du niveau de connaissances minimal qu’un enseignant doit avoir pour bien enseigner l’une de ces deux langues. Les scores en mathématiques n’étaient que légèrement supérieurs, avec seulement 2% des enseignants qui ont obtenu un score d’au moins 80%.
Intrants scolaires
D’importantes carences sont également observées en ce qui concerne la disponibilité d’équipements et d’infrastructures scolaires. Par exemple, on ne retrouve pratiquement pas de manuels scolaires dans les écoles publiques et communautaires tchadiennes. En moyenne, seul 1 élève sur 10 environ dispose d’un manuel pour la matière observée (mathématiques, français, arabe) dans les écoles publiques et communautaires.
Près de 17 écoles publiques sur 20 et 19 écoles communautaires sur 20 n’offrent pas les infrastructures minimales (toilettes, électricité, eau) à leurs élèves. La principale contrainte est l’accès à des installations sanitaires fonctionnelles, c’est-à-dire des toilettes accessibles et propres qui garantissent l’intimité (espace clos et toilettes séparées pour les filles et les garçons). Les élèves de trois écoles rurales et communautaires sur cinq n’ont pas accès à des toilettes fonctionnelles. En outre, seules 4 écoles publiques, communautaires et rurales sur 10 sont dotées d’installations d’assainissement destinées aux élèves dont la propreté peut être considérée comme adéquate.
La disponibilité de supports pédagogiques est également faible dans les écoles tchadiennes, près des deux tiers des classes du CM1 des écoles publiques ne disposent pas des supports pédagogiques minimaux pour les élèves. La principale contrainte se situe au niveau de la disponibilité de cahiers d’exercices pour les élèves.
Résultats d’apprentissage des élèves
La faiblesse de la prestation de services d’éducation, telle que constatée à travers les indicateurs IPS, contribue à d’importantes carences dans l’apprentissage des élèves. En moyenne, un élève tchadien du CM1 parvient à obtenir un score d’à peine 39,2% du total des points du test de français élaboré à partir du programme scolaire du CE2. Il est à noter en particulier que les deux tiers des élèves sont incapables de lire une phrase simple et 58% n’ont pas le vocabulaire nécessaire pour identifier une image simple. En arabe, le score moyen s’élève à 40,2%, avec moins de 41% des élèves réussissant à lire une phrase simple et 67% à identifier des images simples. En mathématiques, les élèves du CM1 enquêtés ne sont parvenus à obtenir que 51,1% du total des points possibles au test basé sur le programme scolaire du CE2. On note, en particulier, que 40% d’entre eux sont incapables d’effectuer une addition à deux chiffres et 75% une soustraction à deux chiffres.
L’apprentissage des élèves varie considérablement selon le type d’école (publique, communautaire, privée) et son milieu d’implantation (rural ou urbain). Les écoles publiques et communautaires présentent des scores moyens nettement inférieurs dans toutes les matières. Les différences sont particulièrement marquées en français, avec les élèves du CM1 fréquentant les écoles publiques (28,5%) et communautaires (32,1%) obtenant un score moyen inférieur de plus de 30 points à celui des élèves du CM1 inscrits dans le privé (65%). Les différences sont également marquées en arabe, avec les élèves du secteur public (37,7%) obtenant un score moyen inférieur de 30 points de pourcentage à celui des élèves du secteur privé (67,2%). En ce qui concerne le test de mathématiques, la différence est moins marquée à hauteur de 17,1 points de pourcentage (46,2% pour le premier et 63,3% pour le dernier). Lorsque les écoles sont considérées selon leur milieu d’implantation (rural contre urbain), les différences de score s’élèvent à près de 24 points de pourcentage en français, 18 points en arabe et 9 points en mathématiques, au désavantage des élèves des écoles rurales.
Les résultats d’apprentissage des élèves sont associés aux caractéristiques des enseignants. Les élèves, dont les enseignants sont titulaires d’un diplôme d’achèvement du lycée ou ont fait des études supérieures, ont obtenu des notes significativement plus élevées en français et en mathématiques que ceux des élèves dont les enseignants n’ont pas de diplôme d’achèvement du lycée. Ces résultats mettent en évidence la nécessité de recruter des enseignants ayant une meilleure formation et/ou de dispenser une formation supplémentaire à ceux qui exercent déjà afin d’améliorer les résultats d’apprentissage des élèves au Tchad. Par ailleurs, les élèves des enseignants contractuels privés ont obtenu des scores en français de près de 12 points de pourcentage supérieurs à ceux des élèves des enseignants employés dans le secteur public. La disponibilité de manuels scolaires est une caractéristique de l’école qui est positivement associée à des résultats significativement meilleurs aux tests de français chez les élèves.
Les scores obtenus aux tests sont fortement associés aux caractéristiques socioéconomiques de l’élève. Il est à noter en particulier que les élèves des quintiles les plus pauvres ont obtenu des scores significativement inférieurs à ceux des élèves des quintiles les plus riches en français et en mathématiques, avec une différence de 34 et 11 points de pourcentage respectivement. On note également que le niveau d’instruction du chef de ménage est fortement associé aux scores d’un enfant aux tests de français et de mathématiques. En revanche, la grande taille du ménage est négativement associée à la performance des élèves.
Plusieurs différences de scores des élèves en rapport aux zones géographiques sont également constatées. Il est particulièrement noté que les élèves du CM1 inscrits dans les écoles primaires situées dans le Barh El Gazal, le Hadjer Lamis, le Mayo Kebbi Ouest, le Salamat et le Logone Occidental obtiennent des scores en mathématiques inférieurs à ceux des élèves inscrits dans les écoles primaires se trouvant à N’Djamena. En revanche, les élèves du CM1 du Mayo Kebbi Est, du Moyen Chari et Ouaddai obtiennent au test de français des scores significativement plus élevés que ceux des élèves inscrits dans les écoles primaires de N’Djaména.
Comparaison de la performance du Tchad avec celle d’autres pays où des enquêtes IPS ont été menées
La performance du Tchad est inférieure à celle des autres pays d’Afrique subsaharienne et d’Afrique du Nord qui ont participé à l’enquête IPS. Le faible niveau de connaissances de ses enseignants est particulièrement frappant. Aucun enseignant de français et de mathématiques (ainsi que d’arabe) n’est parvenu à atteindre le score combiné d’au moins 80,0% considéré comme le seuil de connaissances minimal. Le nombre d’enseignants ayant un niveau de connaissances supérieur au seuil minimal au Tchad est nettement inférieur à la moyenne des pays des enquêtes IPS en Afrique (12,7%).
Les taux d’absence de l’école des enseignants au Tchad sont élevés et sont supérieurs à la moyenne régionale. Le taux d’absence de l’école des enseignants dans les écoles publiques (29,4%) est supérieur au taux moyen constaté dans les pays d’Afrique subsaharienne participant à l’enquête IPS (20,1%), tandis que le taux d’absence de la classe, en dépit d’être élevé, à hauteur de 35,4%, est légèrement inférieur à la moyenne des pays de l’enquête IPS (42,%) et est comparable à celui du Togo. Les taux d’absence de l’école et de la classe au Tchad sont, en revanche, plus de six fois supérieurs à ceux du Maroc, par exemple. Ces taux d’absence élevés ont une incidence sur le temps d’enseignement effectif par jour d’une classe du CM1 du secteur public tchadien. Il est inférieur de 16 minutes par rapport au temps d’enseignement effectif moyen des pays concernés par les enquêtes IPS. Le temps d’enseignement prévu est également plus court.
Le taux de disponibilité des manuels scolaires pour les différentes matières au Tchad (8,9%) se situe bien en dessous de la moyenne des pays d’Afrique subsaharienne (37,2%). De même, la proportion d’écoles publiques au Tchad qui sont affectées par un manque d’infrastructures (assainissement et éclairage), soit près de 88%, vient en deuxième place (après la Mauritanie) parmi tous les pays enquêtés en Afrique subsaharienne (moyenne de 36,2%). En outre, la disponibilité relativement faible de supports pédagogiques dans les écoles tchadiennes (le critère qu’au moins 90% des élèves ont des cahiers et des crayons n’est satisfait que dans 38% des écoles) est nettement en dessous de la moyenne des pays subsahariens qui est de 58%.
Les résultats d’apprentissage des élèves du CM1 en mathématiques au Tchad ne peuvent être comparés qu’avec les scores moyens des élèves en 4e année d’études (équivalent du CE2) des pays d’Afrique subsaharienne. De plus, les scores combinés en langue (français ou arabe) et en mathématiques des élèves tchadiens en CM1 dans les écoles publiques sont inférieurs de près de 8 points de pourcentage à la moyenne des élèves en 4e année d’études des pays d’Afrique subsaharienne (français ou anglais).
En résumé, les niveaux des indicateurs IPS au Tchad se classent systématiquement bien en dessous des moyennes africaines en ce qui concerne le niveau de connaissances minimal des enseignants, la disponibilité de manuels, les infrastructures et les supports pédagogiques. Au final, les résultats d’apprentissage des élèves du CM1 tchadiens en français sont nettement inférieurs à ceux des élèves en 4e année d’études des pays des enquêtes IPS en Afrique et ne sont comparables qu’à la moyenne des élèves en 4e année d’études en Afrique en mathématiques.
Ces constats montrent à quel point il est critique d’améliorer la qualité de la prestation de services scolaire au Tchad. En se basant sur les conclusions de l’IPS et la littérature sur l’éducation à travers le monde, il serait prometteur d’investir dans les domaines prioritaires suivants pour promouvoir les apprentissages des élèves et améliorer la prestation des services de l’éducation au Tchad :
- Améliorer la qualité des compétences pédagogiques des nouveaux enseignants en cours de formation en restructurant le cursus au niveau des Ecoles normales d’instituteurs bilingues (ENIB) et en intégrant des stages professionnels dans les formations proposées dans ces institutions.
- Etant donné que peu d’enseignants ont les niveaux de connaissances minimaux requis, renforcer les compétences pédagogiques des enseignants à travers une formation continue structurée comprenant un encadrement, un mentorat et des supports didactiques pour stimuler l’apprentissage des élèves.
- Élaborer des politiques pour un enseignement et un apprentissage efficaces, notamment (i) l’utilisation de ressources d’apprentissage et d’outils de technologies de l’éducation, le cas échéant, pour s’assurer que les enfants sont équipés de livres de qualité et adaptés à leur âge, et que la technologie est mise à profit pour réaliser les objectifs d’apprentissage, (ii) le fait d’enseigner au bon niveau et dans une langue que les enfants comprennent, et (iii) la définition des attentes en matière de comportement professionnel.
- Renforcer le rôle (i) des directeurs d’école et des inspecteurs dans l’encadrement, le suivi et la supervision des enseignants ; et celui (ii) des inspecteurs dans l’encadrement, le suivi et la supervision des directeurs d’école.
- Mettre en place un mécanisme de suivi de la présence effective des enseignants et des directeurs d’école à l’école en impliquant les communautés qui en sont les principaux bénéficiaires ; renforcer la redevabilité des écoles envers la société en impliquant les parents dans les activités d’inspection et les processus décisionnels.