Auteur : Allan Ngari
Site de publication : ISS
Type de publication : Article
Date de publication : juin 2020
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Si l’abolition de la peine de mort constitue une avancée considérable, il convient toutefois d’œuvrer davantage pour protéger les droits des présumés terroristes. En début avril, 44 membres présumés de Boko Haram en détention provisoire ont été retrouvés morts dans leur cellule à N’Djamena, au Tchad.
Au vu des circonstances troubles entourant ces décès, des autopsies ont été pratiquées sur quatre corps ; les causes des décès présentées étaient l’asphyxie et l’arrêt cardiaque. Les 40 autres défunts ont été enterrés à la hâte sans aucun examen post-mortem. Selon Nodjitoloum Salomon, avocat au barreau du Tchad et président de la section Tchad d’Action chrétienne pour l’abolition de la torture, « il est inconcevable que 44 personnes puissent mourir dans une prison d’État dans des circonstances aussi mystérieuses ».
Ces décès mettent en évidence la fausse dichotomie qui existerait entre la lutte de l’État contre le terrorisme et son obligation de respecter les droits humains et l’État de droit. Les violations des droits humains sont présentées à tort comme des compromis acceptables pour préserver la sécurité nationale.
Le 28 avril, l’Assemblée nationale du Tchad a adopté une nouvelle loi antiterroriste qui abolit la peine de mort. Le pays a accepté d’appliquer la recommandation d’abolir la peine de mort en 2018, suite à l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Cette mesure s’applique notamment aux crimes relevant d’activités terroristes.
Comme la plupart des États africains confrontés à la menace terroriste, les dépenses militaires du Tchad sont élevées ; 14 % des dépenses publiques du pays sont consacrés aux forces armées. Mais en réalité, le pouvoir militaire et les déclarations d’état d’urgence érodent les droits humains fondamentaux de manière injustifiée. Tout cela affaiblit l’État de droit et favorise la récurrence de la violence.
Il existe des circonstances exceptionnelles dans lesquelles certains droits sont temporairement restreints. Cependant, le droit à la vie est absolu. L’État ne peut procéder à des exécutions extrajudiciaires ou sommaires de ses citoyens, et ce, même lorsqu’ils sont impliqués dans des activités terroristes.
Le Tchad pourrait cependant être sur la bonne voie. La décision d’abolir la peine de mort est une bonne nouvelle si l’on considère que ce pays avait rejeté en bloc les recommandations de l’Examen de 2013 du Conseil des droits humains des Nations Unies.
Face au terrorisme, l’adoption d’une réponse judiciaire pénale fondée sur l’État de droit permet de renforcer la légitimité de l’État en garantissant une reddition des comptes des personnes engagées dans la lutte contre le terrorisme. Dans le cadre de l’arsenal des mesures de lutte contre le terrorisme, les mesures judiciaires pénales, telles que l’arrestation et le procès équitable, retirent aux terroristes leur prétendu insigne d’honneur et délégitiment leur statut de combattants dans une guerre juste.
Pour soutenir les avancées de la loi abolitionniste sur les infractions de terrorisme, le Tchad devra impérativement réformer son système de justice pénale. Cela passera nécessairement par l’octroi d’un statut indépendant au mécanisme de surveillance des prisons afin qu’il ne relève plus du ministère de la Justice et du bureau du procureur. Cet organe indépendant pourrait superviser les conditions de détention et d’incarcération des auteurs présumés d’infractions terroristes et prendre des ordonnances de réparations en cas de violation des droits des détenus et des prisonniers.
L’insuffisance délibérée des dotations accordées aux systèmes de justice pénale, de manière à privilégier les réponses militaires, est contraire à une paix et une sécurité véritables pour les communautés touchées. Les pays africains doivent intégrer les réponses de la justice pénale et d’autres formes de justice dans la lutte contre le terrorisme et veiller à ce que les forces de sécurité accomplissent leurs tâches de manière plus efficace, plus responsable et plus transparente.