Organisation affiliée : US Department of State – Bureau of Democracy, Human Rights and Labor.
Type de publication : Rapport sur les pratiques liées aux droits humains.
Date de publication : 2022
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Respect de l’intégrité de la personne
Privation arbitraire de la vie et autres exécutions extrajudiciaires ou à motivations politiques
Des exécutions arbitraires ou extrajudiciaires imputées aux pouvoirs publics ou à leurs agents ont été signalées à plusieurs reprises. Des groupes de défense des droits de la personne ont accusé de façon crédible les forces de sécurité de tuer en toute impunité.
Les forces de sécurité ont violemment réprimé, au moyen de munitions réelles, des manifestations organisées le 20 octobre contre la prolongation de deux ans de la période de transition initiale de 18 mois, tuant un nombre indéterminé de personnes à N’Djamena et dans plusieurs villes du sud du pays, notamment Moundou. Les chiffres officiels du gouvernement font état d’une cinquantaine de morts tandis que les estimations des associations de défense des droits de la personne se situent entre 100 et 200.
Disparitions
Les forces de sécurité ont effectué des arrestations en très grand nombre dans les semaines qui ont suivi la répression violente par les autorités des manifestations organisées le 20 octobre contre la prolongation de deux ans de la période de transition initiale de 18 mois. Dans les quartiers où les manifestations ont eu lieu, les organisations locales de défense des droits de la personne ont signalé des fouilles, des arrestations et des détentions arbitraires d’hommes majoritairement jeunes, dont on ne connaît toujours pas le sort et l’état de santé. Les familles et les avocats des personnes détenues n’ont pas eu accès aux lieux de détention.
Torture et autres châtiments ou traitements cruels, inhumains ou dégradants et autres atteintes connexes
La Constitution et la charte de transition qui a suivi interdisent la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, mais des groupes de défense des droits de la personne, des militants de la société civile, des partis politiques d’opposition et des juristes de premier plan ont accusé de manière crédible les forces de sécurité de pratiquer la torture et d’autres traitements cruels, inhumains ou dégradants.
En juin, deux prisonniers sont morts en garde à vue dans des circonstances distinctes. Dans le premier cas, des lésions analogues à celles résultant d’actes de torture ont été constatées sur le corps d’un enfant de 13 ans qui était détenu par la police depuis un mois. Dans le deuxième cas, il a été établi qu’un homme détenu par la police avait la nuque brisée au moment de son décès. Dans les deux cas, les autopsies ont infirmé les affirmations de la police selon lesquelles les victimes seraient mortes de maladies.
- Conditions dans les prisons et les centres de détention
Dans les 41 prisons du pays, les conditions demeuraient très dures et potentiellement délétères en raison du manque de nourriture, de la forte surpopulation carcérale, des violences physiques, d’installations sanitaires inadéquates et de soins de santé insuffisants. Ces conditions posaient des problèmes majeurs pour les mineurs ou les personnes handicapées. En plus des prisons officielles, il a été signalé que l’Agence de sécurité nationale détenait des prisonniers dans des centres de détention non officiels.
Conditions matérielles abusives : Les prisons régionales étaient délabrées, surpeuplées et sans protection adéquate pour les femmes et les mineurs.
Arrestations ou détentions arbitraires
- Procédures d’arrestation et traitement des personnes en détention
Bien que la loi exige qu’un magistrat signe et délivre un mandat d’arrêt avant qu’une arrestation puisse avoir lieu, cette exigence n’était pas toujours respectée. La loi précise que les personnes en garde à vue doivent être mises en examen dans un délai de 48 heures ou remises en liberté, à moins que le procureur (juge d’instruction) n’accorde une prolongation à des fins d’enquête. Toutefois, il était fréquent que les autorités ne prennent pas ces décisions judiciaires dans les délais prescrits. La loi prévoit la libération sous caution et l’accès à un avocat, mais dans certains cas, les autorités ne respectaient ni l’un ni l’autre de ces droits. Bien que la loi prévoie qu’un avocat soit commis d’office aux prévenus à faibles ressources et la possibilité pour ceux-ci de prendre contact rapidement avec leurs proches, d’après certains observateurs juridiques, ces dispositions étaient rarement respectées.
Arrestations arbitraires : Selon des médias locaux, les forces de sécurité arrêtaient arbitrairement, entre autres des journalistes, des manifestants et des détracteurs du gouvernement.
Détention provisoire : La détention provisoire prolongée de personnes en attente de jugement était toujours un problème, bien que le ministre de la Justice ait visité, au début de l’année, des prisons généralement soupçonnées de pratiquer de longues détentions provisoires et leur ait demandé d’accélérer l’administration de la justice.
Déni de procès public et équitable
La charte de transition et la loi prévoient un système judiciaire indépendant, mais celui-ci, débordé et corrompu, subissait l’ingérence du pouvoir exécutif. D’après certains représentants du barreau, les membres de l’appareil judiciaire n’étaient pas toujours impartiaux dans les affaires civiles, recevaient parfois des menaces de mort ou étaient rétrogradés pour ne pas avoir cédé aux pressions des hauts fonctionnaires, ou encore, se voyaient contraints de manipuler les décisions. Les agents de l’État, en particulier les militaires, parvenaient souvent à échapper aux poursuites judiciaires.
- Procédures applicables au déroulement des procès
La loi prévoit la présomption d’innocence et une procédure de jugement équitable et publique menée dans des délais raisonnables.
Seuls les procès au pénal avaient lieu devant un jury, sauf lorsqu’il s’agissait d’affaires politiquement sensibles. Bien que les accusés soient en droit de consulter un avocat dans un délai raisonnable, ceci n’a pas toujours été le cas. La loi prévoit que toute personne à faible revenu est en droit de bénéficier des services d’un avocat aux frais de l’État dans tout type d’affaires, mais des spécialistes du droit ont précisé que cela n’arrivait que rarement ; des organisations de défense des droits de la personne fournissaient parfois gratuitement un avocat aux clients indigents.
- Prisonniers et détenus politiques
L’estimation la plus récente du nombre de prisonniers politiques date de 2018 ; à cette époque, l’ONG Action citoyenne pour l’application intégrale de l’amnistie au Tchad a évalué qu’il y avait au moins 72 détenus politiques. Citizen Action n’a pas été en mesure de réaliser une étude plus récente.
Ingérence arbitraire ou illégale dans la vie privée, la famille, le domicile ou la correspondance
La Constitution prévoit le droit à la vie privée et l’inviolabilité du domicile, mais les pouvoirs publics ne respectaient pas toujours ces droits. Il était pratique courante pour les autorités de pénétrer chez des particuliers sans autorisation judiciaire et de saisir des biens privés sans respecter la procédure régulière. Selon certaines informations, les autorités bloquaient ou filtraient des sites Web et des plateformes de réseaux sociaux.
Respect des libertés civiles
Liberté d’expression, notamment pour les membres de la presse et d’autres médias
Liberté d’expression : La loi interdit « l’incitation à la haine raciale, ethnique ou religieuse » qui est passible d’une peine maximale de deux ans de prison et d’amendes. Des discussions privées ouvertes et libres étaient possibles, mais elles avaient tendance à être autocensurées par crainte de représailles de l’État.
Violence et harcèlement : Les autorités auraient harcelé, menacé, arrêté et agressé des journalistes pour des reportages critiques à l’égard du gouvernement. Les médias locaux ont indiqué que les journalistes étaient régulièrement arrêtés après la publication de ces articles.
Liberté d’accès à internet
Le gouvernement limitait et perturbait l’accès à internet de plusieurs façons. Il censurait directement des contenus en ligne, comme Facebook, bloquait occasionnellement des sites et des applications de messagerie populaires, comme WhatsApp, et arrêtait des militants pour des messages affichés sur les réseaux sociaux. Rien n’indiquait que le gouvernement surveillait les communications privées en ligne sans fondement juridique approprié.
Liberté de réunion et d’association pacifiques
- Liberté de réunion pacifique
Bien que la Constitution et la charte de transition prévoient la liberté de réunion pacifique « dans les conditions fixées par la loi », le gouvernement ne respectait pas toujours ce droit. Les autorités imposaient régulièrement les lieux des manifestations de l’opposition et des rassemblements de la société civile afin de limiter leur base de soutien populaire. Elles interdisaient régulièrement des rassemblements et arrêté leurs organisateurs, et les forces de sécurité faisaient un usage excessif de la force envers les manifestants. La loi exige des organisateurs d’une manifestation qu’ils notifient le ministère de la Sécurité publique et de l’Immigration au moins cinq jours à l’avance ; cependant, les groupes qui respectaient cette règle ne recevaient pas toujours l’autorisation de se rassembler.
- Liberté d’association
Bien qu’une loi exige du ministère de la Sécurité publique et de l’Immigration qu’il délivre une autorisation préalable à la constitution de toute association, y compris d’un syndicat, rien n’indiquait que cette loi était appliquée. La loi prévoit également la dissolution administrative immédiate d’une association et permet aux autorités d’avoir un droit de regard sur le financement des associations.
Liberté de circulation et le droit de quitter le pays
Déplacements à l’intérieur du pays : L’insécurité dans l’est du pays, essentiellement à cause du banditisme armé, empêchait parfois les organisations humanitaires de dispenser leurs services aux réfugiés. Dans la province du lac Tchad, les opérations militaires de l’État et les attaques de Boko Haram et de l’État islamique en Afrique occidentale ont limité la capacité des organisations humanitaires à aider les déplacés internes. Invoquant des raisons de sécurité, les autorités ont décrété un couvre-feu quotidien de 18 heures à 6 heures du 20 au 22 octobre, et de 22 heures à 5 heures du 3 novembre jusqu’à la fin de l’année.
Protection des réfugiés
Droit d’asile : La loi prévoit l’octroi de l’asile ou du statut de réfugié. La mise en œuvre de la première loi du pays adoptée en 2020 sur l’asile est en cours, mais les réfugiés pouvaient, selon certaines sources, obtenir des documents d’identité et des permis de travail.
Maltraitance des migrants et des réfugiés : Dans les camps de réfugiés, comme dans la majeure partie du pays, les autorités poursuivaient rarement les auteurs de violences sexuelles. Les survivants choisissaient souvent de ne pas signaler les crimes sexuels.
Liberté de participer au processus politique
Élections et participation au processus politique
Élections récentes : La campagne électorale présidentielle, qui s’est déroulée en mars et en avril 2021, a abouti à l’élection d’avril 2021. L’opposition politique disposait d’un espace très limité pour agir, tant avant que pendant l’élection. Amnesty International a fait état de détentions provisoires, d’interdictions systématiques de rassemblements et de tentatives d’empêcher la libre circulation des informations avant l’élection.
Partis politiques et participation au processus politique : Il y avait environ 200 partis politiques enregistrés, dont plus de 100 étaient associés au MPS, le parti dominant. De nombreuses lois désavantagent la pleine participation politique des citoyens ayant des opinions ou des allégeances politiques non alignées sur le parti dominant, le MPS. Par exemple, la loi interdit aux partis d’opposition de posséder des médias.
Participation des femmes et des membres de minorités : La loi exige que les instances dirigeantes de tous les partis politiques soient constituées d’au moins 30 % de femmes. Cependant, la participation des femmes au processus politique était limitée par de nombreux facteurs, notamment le manque d’accès aux ressources économiques et culturelles qui les décourageaient d’être actives en politique.
Les nordistes, en particulier les membres de l’ethnie zaghawa à laquelle appartient le président de transition, étaient surreprésentés dans les principales institutions, notamment dans le corps des officiers militaires, les unités militaires d’élite et le cabinet du président.
Corruption et manque de transparence au sein du gouvernement
La corruption, très répandue, l’était particulièrement dans les domaines suivants : marchés publics, octroi de licences ou de concessions, règlement des différends, application des réglementations, douanes et fiscalité.
Position du gouvernement face aux enquêtes internationales et non gouvernementales sur les violations présumées des droits de la personne
Représailles contre des défenseurs des droits de la personne : Des défenseurs des droits de la personne ont déclaré avoir fait l’objet d’intimidations et d’entraves à l’exercice de leurs fonctions, notamment à la suite de la répression mortelle menée par les autorités contre les manifestants de l’opposition le 20 octobre.
Discrimination et violences sociales
Femmes
Viol et violences familiales : Le viol est passible d’une peine de 8 à 30 ans de réclusion criminelle. Néanmoins, les viols, y compris de femmes réfugiées, demeuraient un problème. La loi ne traite pas spécifiquement du viol conjugal, du sexe des victimes, ni des violences familiales.
Mutilations génitales féminines/excision (MGF/E) : La loi interdit les MGF/E sur les filles et les femmes, mais cette pratique restait répandue, en particulier dans les zones rurales.
Discrimination : Bien que les lois en matière de propriété et de succession accordent le même statut juridique et les mêmes droits aux femmes et aux hommes, les autorités ne faisaient pas appliquer la législation de manière efficace. Les pratiques en matière d’héritage, de propriété et de logement étaient souvent discriminatoires à l’égard des femmes en raison de facteurs culturels et religieux propres à de nombreuses communautés. Les femmes ne pouvaient souvent pas hériter des biens de leur père ou de leur mari.
Enfants
Des organisations de défense des droits de la personne ont cité parmi les obstacles à l’éducation le problème des mouhadjirines, enfants migrants fréquentant certaines écoles coraniques qui étaient forcés par leurs enseignants à mendier de la nourriture et de l’argent.
Maltraitance d’enfants : Il existe des lois locales contre la maltraitance d’enfants. L’administration des États-Unis a déterminé que Boko Haram et l’État islamique en Afrique occidentale recrutaient et utilisaient des enfants soldats dans le pays.
Mariage d’enfants, mariage précoce et mariage forcé : La loi fixe à 18 ans l’âge minimum du mariage pour les hommes comme pour les femmes. Selon les données 2019 de l’UNICEF, environ 24 % des femmes âgées de 20 à 24 ans étaient mariées ou en couple avant l’âge de 15 ans et près de 61 % étaient mariées ou en couple avant l’âge de 18 ans. La loi interdit d’invoquer le consentement des époux mineurs pour justifier le mariage d’enfants et prévoit des peines allant de cinq à dix ans de prison, ainsi que des amendes, à l’encontre des personnes condamnées pour avoir organisé un mariage d’enfants.
Actes de violence, criminalisation et autres violations basées sur l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre ou les caractéristiques sexuelles
Criminalisation : La loi sanctionne les rapports sexuels consentis entre adultes de même sexe, une infraction passible d’une peine de trois mois à deux ans de réclusion et des amendes.
Personnes en situation de handicap
Les personnes en situation de handicap ne pouvaient pas avoir accès à l’éducation, aux services de santé, aux bâtiments publics et aux transports sur un pied d’égalité avec les autres. Aucune loi spécifique ne prévoit l’égalité d’accès aux bâtiments publics, à l’éducation, aux services de santé, au système judiciaire ou à d’autres services publics. Les écoles, les transports et les autres bâtiments publics étaient en grande majorité inaccessibles aux personnes en situation de handicap.
Autres formes de violence ou de discrimination sociétale
L’empiètement des éleveurs sur les zones agricoles a attisé les tensions et conduit à l’impunité de ceux qui ont déclenché les affrontements. Les conflits entre éleveurs et agriculteurs ont fait des dizaines de morts et de blessés. D’après le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humaines, 528 personnes ont trouvé la mort et plus de 600 ont été blessées lors des 36 affrontements de ce type signalés pendant l’année.
Les ONG ont déclaré que ce conflit persistait en raison de l’augmentation des populations humaines et bovines, de la concurrence pour les ressources rares et de l’impunité judiciaire dont bénéficiaient les auteurs de violences qui avaient des liens politiques ou économiques avec les autorités. Le changement climatique a modifié les itinéraires et les périodes de transhumance du bétail : des zones auparavant sèches sont devenues fertiles pour la pêche et l’agriculture, augmentant ainsi la probabilité et l’incidence des conflits entre des communautés ayant des modèles d’utilisation des sols concurrents.
Droits des travailleurs
Interdiction du travail forcé ou obligatoire
La loi sanctionne les infractions liées à la traite des personnes à des fins d’exploitation par le travail, y compris le travail forcé.
Les autorités avaient recours au travail forcé en milieu carcéral et peut légalement contraindre les prisonniers politiques à travailler. Des responsables de l’administration pénitentiaire forçaient des prisonniers à travailler sur des projets privés, indépendamment des sanctions prévues par la peine prononcée à leur encontre. D’après les ONG de défense des droits de la personne, le recours au travail forcé en milieu carcéral était chose courante. Les autorités n’appliquaient pas la loi de manière efficace. Elles ne menaient pas des inspections adéquates. Aucune poursuite judiciaire n’a été signalée.
Discrimination en matière d’emploi et de profession
Les personnes en situation de handicap étaient souvent victimes de discrimination en matière d’emploi. Bien que la loi interdise la discrimination fondée sur la nationalité, les étrangers rencontraient souvent des difficultés à obtenir un permis de travail, percevaient des salaires inférieurs et travaillaient dans des conditions difficiles.
Conditions de travail acceptables
Sécurité et santé au travail : La loi établit des normes de sécurité et de santé au travail qui sont à jour et appropriées pour les principales industries. Les travailleurs ont le droit de se retirer de conditions de travail dangereuses sans risquer de perdre leur emploi, mais ils ne le faisaient généralement pas.
Lois relatives aux salaires et au temps de travail : La loi prévoit un salaire minimum national pour tous les secteurs de l’économie, et le salaire minimum était supérieur au taux de pauvreté déterminé par la Banque mondiale. La loi limite dans l’ensemble le temps de travail hebdomadaire à 39 heures, des heures supplémentaires étant payées au-delà de cette durée. Le travail agricole est limité à 2 400 heures par an, soit 46 heures en moyenne par semaine. Tous les travailleurs ont droit à une période de repos hebdomadaire de 24 à 48 heures consécutives et à des congés payés annuels. Les arriérés de salaire demeuraient un problème pour certains employés, le plus souvent dans les secteurs de l’éducation et de la santé, qui ont connu de multiples grèves tout au long de l’année. Les travailleurs ne faisaient pas toujours valoir leurs droits en matière de temps de travail, en grande partie parce qu’ils préféraient percevoir un supplément de revenu.