Organisation affiliée : OMCT – Ligue tchadienne des droits de l’homme
Type de publication : Rapport alternatif
Date de publication : Novembre 2022
Lien vers le document original
Le Tchad a connu une situation très instable et tumultueuse depuis 2014 liée notamment au terrorisme et à de nombreuses rébellions, expliquant ainsi un recours excessif à la force par les autorités dans le but de maintenir une stabilité.
Le pays a maintenu au cours de la dernière décennie des institutions et structures favorables à la torture et aux mauvais traitements. La torture est devenue avec le temps un recours utile pour une gouvernance autocrate et répressive des groupes armés, des partis politiques, des organisations de la société civile et des citoyens contestataires. Des systèmes d’écoute, de filatures, d’intimidations et de répression se sont multipliés dans les quartiers, villes et villages du pays, normalisant ainsi des pratiques pourtant proscrites par des lois très récentes parfois conformes aux standards internationaux.
Définition et criminalisation de la torture
La torture est prohibée par la Constitution de 2018 révisée en 2020 par les articles 18 et 19 qui disposent que : « Nul ne peut être soumis, ni à des sévices ou traitements dégradants et humiliants, ni à la torture (Article 18) physique ou morale (Article 19) ». En 2017, l’État a réformé son code pénal, qui prévoit désormais une interdiction absolue de la torture à son article 323. La définition de la torture que prévoit le Code pénal n’est pas entièrement conforme aux dispositions de l’article 1er de la Convention contre la Torture. Le code pénal retient uniquement les auteurs comme agents publics et autorités traditionnelles alors qu’il existe d’autres catégories des détenteurs de pouvoirs qui peuvent occasionner la torture.
Arrestations arbitraires et détentions
Le Tchad s’est doté d’un nouveau Code de procédure pénale en 2017 qui fournit de grandes garanties de protection des droits des personnes suspectées et privées de leur liberté. Cependant, en matière d’enquête de flagrance, la prolongation de la garde à vue peut être accordée sans présentation de la personne gardée à vue, sur instructions écrites ou téléphoniques.
Au Tchad, plusieurs détenus de différentes maisons d’arrêts du pays dont les dossiers sont confiés à des juges d’instruction passent plusieurs années sans être situés sur leur sort. Dans les maisons d’arrêts, il existe des cas de détention préventive d’un an à plus de 5 ans.
Au Tchad, les tortures se pratiquent dans les maisons d’arrêts aussi bien que dans les services étatiques tels que les brigades de gendarmerie, commissariats de police et les services spéciaux dont l’ANS et les Renseignements Généraux qui ont en leur sein des lieux de détention secrets. Ainsi, outre les lieux de privations de liberté officiels, les services de renseignement ont des lieux non-officiels où ils conduisent les personnes qu’ils arrêtent pour les y torturer.
Rôle de l’Agence Nationale de Sécurité (ANS)
Les services de renseignement de l’État ont toujours joué un rôle central dans la pratique généralisée et quelquefois systématique dans l’histoire du Tchad. Au cours des trente dernières années, l’ANS s’est retrouvée au cœur de nombreux cas recensés de répression violente et de torture notamment contre les défenseurs des droits humains, des journalistes et des autres opinions dissidentes au Tchad.
L’ANS a été créée le 8 juin 1993 à la suite de la Conférence nationale souveraine. Le 17 janvier 2017, un décret modifie ses attributions et les structures et lui octroie un pouvoir plus important et vague favorisant deux nombreuses violations de droits humains. C’est un service spécial qui a pour missions de contribuer à la protection des personnes et des biens ainsi que la sécurité des institutions de la République mais force est de constater que ce service procède à des actes de tortures et détient des prisons secrètes.
En réalité, sans être une unité ou un démembrement de la police, l’ANS est directement rattachée à la présidence de la république et dispose des pouvoirs légaux “d’arrêter et de placer en détention des personnes soupçonnées aux fins d’enquête, lorsqu’elles représentent une menace réelle ou potentielle, conformément aux lois de la République”.
Les articles 50 et 52 du Code de procédure pénale stipule que le suspect soit informé lors de la première audition de son droit de choisir un défenseur parmi les avocats inscrits au barreau du Tchad ou de tout autre pays reconnaissant la réciprocité de l’intervention des avocats ou toute autre personne de son choix sous réserve des dispositions légales en vigueur.
Droit à un avocat au stade de l’enquête préliminaire
Les articles 50 et 52 du Code de procédure pénale stipule que le suspect soit informé lors de la première audition de son droit de choisir un défenseur parmi les avocats inscrits au barreau du Tchad. L’article 57 prévoit malheureusement qu’en cas de défaut d’avocat pendant l’audience, le Président de la Cour Criminelle désigne toute personne qu’il juge apte à assurer la défense. La loi ne précise cependant pas les contours de cette désignation et les critères de cette aptitude du défenseur. Le pays fait face à un déficit d’avocats dans les provinces hors de la capitale.
Non refoulement, Migration et Déplacement forcé, Traite des êtres humains
Au Tchad, le nombre de personnes en déplacement représente 917.534 personnes, soit plus de 3% de la population tchadienne, ce qui en fait le premier pays d’asile en Afrique.
Des cas de violences sexuelles sur des femmes et enfants ont été constatés dans des camps de réfugiés. Ces violences sont commises autant par les milices, les groupes et forces armés que par toute autre personne. Les réfugiés et rapatriés du camp de Gaoui ont également du mal à accéder aux services de santé, et des difficultés d’accès à la justice. Des problèmes d’enregistrement des naissances des enfants de réfugiés et déplacés ont été relevés. Les réfugiés et les rapatriés du camp de Gaoui avaient des difficultés (en particulier pour les personnes handicapées et âgées) à s’alimenter. Quelque 3,8 millions de personnes sont en situation d’insécurité alimentaire grave et souffrent de la faim dans le bassin du lac Tchad.
Certaines personnes en déplacement ont été conduites dans des lieux déserts par des passeurs pour être frappées dans le but de leur faire donner plus d’argent. La menace d’une arrestation et d’une détention arbitraire plane tout au long des routes migratoires. Il a été signalé que certains réfugiés dans les zones urbaines sont réduits à la servitude domestique et que d’autres sont impliqués dans des travaux précaires et non réglementés. Les enfants déplacés risquent également d’être réduits à la servitude domestique, à la mendicité forcée et aux travaux forcés.
Violences faites aux femmes et aux enfants
Le code pénal dans son Art.349 dispose que « constitue un viol, et puni de huit à quinze ans, tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violence, contrainte, menace ou surprise. La tentative de viol est punie de la même peine prévue à l’alinéa 1 ci-dessus ». Pourtant, la situation des enfants exposés à de nombreuses violences reste préoccupante. Le Tchad n’a toujours pas, même après 20 ans de discussions, adopté un code de la famille conforme aux standards internationaux. Bien que le nouveau Code pénal promulgué en mai 2017 criminalise les violences faites aux femmes, l’inceste, le viol conjugal et le harcèlement sexuel ne sont pas punis.
Au Tchad, la dernière Étude Démographique et de Santé (EDS 2014) révèle que plus d’une femme sur trois (38 %) déclare avoir été excisée. Cette pratique est encore très courante et tolérée dans presque toutes les régions du Tchad, car elle est liée aux traditions et aux coutumes et touche principalement les jeunes filles.
Les violences basées sur le genre (VBG) sont un problème fondamental et omniprésent dans les communautés tchadiennes, marquées par de nombreuses crises et affrontements armés. On estime qu’environ 23 % des filles sont mariées avant l’âge de 15 ans et 65 % avant l’âge de 18 ans. Également, une femme sur trois déclare être victime de violence physique et 12 % des femmes subissent des violences sexuelles chaque année.
Accès à la justice et responsabilité, réparation et réhabilitation
L’accès à la justice au Tchad, est une problématique importante qui nécessite des solutions durables. L’impunité est devenue de plus en plus une banalité au Tchad. Les abus – notamment les meurtres, les arrestations et détentions arbitraires, la torture et l’extorsion – se sont multipliés sans que rien, ou presque, ne soit fait pour punir les responsables. Le Tchad compte plus d’une centaine d’ethnies caractérisées, d’une part, par un ensemble de coutumes et pratiques tenaces, d’autre part, par des pratiques religieuses profondes. Le droit coutumier et le droit positif coexistent avec une prédominance du droit coutumier.
Cette impunité découle d’une variété de facteurs parmi lesquels les conditions précaires de travail des magistrats, cette profession est largement délaissée et le nombre de magistrats n’est pas suffisant pour faire face aux nombreux dossiers à traiter. Il convient d’ajouter à ce manque de ressources humaines l’absence d’indépendance de la magistrature et la corruption en tant que facteurs de cette impunité.
Lutte contre le terrorisme, torture et peine de mort
Au cours des dernières années, le Tchad a été confronté à une importante menace terroriste notamment dans le bassin du lac Tchad et à N’Djamena. Afin de répondre à cette crise et ses conséquences humaines désastreuses, le pays a développé un arsenal législatif, institutionnel et sécuritaire important. Ceci a été notamment caractérisé par la mise en place de régime exceptionnel réduisant les garanties juridiques fondamentales des détenues et leur protection contre la torture.
Le Tchad a observé un moratoire sur la peine de mort depuis 2003 jusqu’à son abolition définitive en 2020. Cependant, en 2015, à la suite de plusieurs attentats-suicides menés par Boko Haram à N’Djamena, le Parlement a réintroduit la peine de mort pour les auteurs d’actes terroristes. Bien que le Code pénal adopté en 2017 ne prévoyait plus l’application de la peine de mort, celle-ci est restée en vigueur dans la loi anti-térroriste jusqu’en 2020. Toutefois, l’abolition de la peine de mort n’est toujours pas constitutionnalisée. Elle peut donc aisément être réintroduite à tout moment.
Manifestations pacifiques et usages excessifs de la force
Les manifestations publiques sont régies par l’ordonnance du 27 octobre 1962 et la Constitution de 1996 en son article 27. Le droit de manifester est aussi garanti par le droit international relatif aux droits humains. Dès 2016, les autorités tchadiennes ont eu recours, à de multiples reprises, à un arsenal archaïque de textes législatifs et réglementaires datant des années 1960 pour justifier légalement la répression des voix contestataires.
De nombreux militants ont été placés sous surveillance et ont subi des actes de harcèlements, des menaces et des agressions physiques. Dans le contexte des élections d’avril 2016 les autorités ont fortement réprimé les droits humains et les manifestations ont été systématiquement interdites.
Il appert que le recours à la torture et la force et notamment létale est systématique pendant les manifestations pacifiques :
- Le 2ème porte-parole du mouvement citoyen « Iyina » a été enlevé, détenu et torturé par le commissaire central de la police suite aux différentes manifestations organisées en début d’année, précisément le 19 février 2018.
- Lors de la manifestation pacifique du 27 avril 2021, 18 jeunes manifestants ont été tués à balle réelle, plusieurs d’autres ont été arrêtées, détenues et torturées.
Depuis avril 2021, les autorités militaires de transition continuent d’avoir recours à la violence y compris armée, aux arrestations arbitraires et aux détentions pour réduire au silence les manifestants et ceux qui demandent une transition plus inclusive au Tchad et un retour au gouvernement civil.
De nombreux cas de disputes interpersonnelles se soldent très souvent par l’intervention de membres de forces de sécurité intervenant individuellement ou en groupe pour soutenir un proche ou pour se faire justice. Ainsi des cadres purement privés des policiers et gendarmes font usage de leurs armes pour résoudre des disputes dans lesquelles eux ou leurs proches sont directement impliqués.
Disparitions forcées, Exécutions extrajudiciaires
Le pays a une longue histoire de disparitions forcées notamment dirigeants politiques de l’opposition ou de leaders de groupes armés. De nombreux acteurs de la société civile, militants de l’opposition et autres personnalités sont signalés comme disparus, après avoir été mis sur écoute et suivis par les services de renseignement dont l’ANS.
Le cas de la disparition depuis fin 2020, de Tom Erdimi, qui était neveu et premier directeur de cabinet d’Idriss Deby Itno mais aussi ancien coordinateur du projet pétrole est aussi préoccupant. Il était en rupture avec le régime de son oncle avant de rejoindre l’Union des forces de Résistance. Il a été arreté en Egypte et extradé au Tchad à la demande des autorités. Sa famille n’a pas eu de nouvelles de lui depuis lors.
Recommandations :
- Réviser la définition de la torture dans le Code pénale de mannière à inclure « toute autre personne agissant à titre officiel » conformément à la Convention contre la torture.
- Veiller à inclure dans le Code de procédure pénale l’imprescriptibilité des actes de torture et l’irrecevabilité des aveux et déclarations obtenues par la torture.
- Prendre toutes les mesures législatives, administratives, judiciaires et politiques efficaces afin de prévenir les conflits intercommunautaires et y faire cesser les actes de violence.
- Réviser le Code de procédure pénale dans les plus brefs délais et veiller à ce que les garanties juridiques fondamentales entourant les enquêtes y soient incluses et respectées en pratique, notamment, le droit d’être assisté par à un avocat pendant les enquêtes et les interrogatoires, et le droit de se faire examiner par un médecin.
- Développer un programme de sensibilisation et de formation des cadres de police, de gendarmerie et de la Garde Nomade et de l’ANS sur les conventions et autres textes subséquents relatifs à la torture.
- Établir des mesures de protection transparentes et contraignantes permettant aux migrants de se tourner vers la justice sans craindre d’être arrêtés, détenus ou expulsés en raison de leur statut de migrants.
- Adopter sans délai le Code de la famille en y intégrant des dispositions garantissant la protection des femmes et des enfants contre le mariage précoce, les violences conjugales et les pratiques traditionnelles néfastes.
- Abroger l’ordonnance nº 45/62, relative aux réunions publiques et le décret nº 193/620 sur les manifestations publiques et adopter des lois favorisant la liberté de manifestation sur la base d’un régime de déclaration et pas d’autorisation.
- Adopter une loi sur le maintien de l’ordre notamment pendant les manifestations publiques qui prévoit les conditions de réquisitions des forces de différentes catégories, la supervision des opérations par une autorité civile, l’encadrement stricte de tout recours à la force notamment létale et l’obligation d’ouvrir des enquêtes en cas de recours à la force.
- Ratifier la convention des nations unies sur les disparitions forcées.